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colonies :le temps de l’esclavage

23 05 2009

Peinture anonyme représentant un groupe d'esclaves dans un convoi en partance pour Zanzibar, en Afrique, vers 1860.
Peinture anonyme représentant un groupe d’esclaves dans un convoi en partance pour Zanzibar, en Afrique, vers 1860. 

INTERVIEW – L’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur d’une importante synthèse sur les «Traites négrières» (Gallimard) qui provoqua l’ire de certaines associations en 2005, publie deux nouveaux ouvrages sur l’esclavage. Il invite à ne pas commettre d’anachronismes lorsqu’on aborde ces questions.

colonies :le temps de l'esclavage coeur- LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Que vous a inspiré la polémique qui a eu lieu autour de vos travaux ? Est-ce à dire qu’il y a encore des sujets sensibles, en France, dont l’historien ne pourrait se saisir sans risque ?
*Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU. -Oui, bien sûr, il y a des sujets sensibles. Il y en aura d’ailleurs toujours, tout sujet pouvant le devenir, en fonction des circonstances. Ce sont aujourd’hui les questions mémorielles qui dominent et rendent souvent difficile le métier d’historien, mais d’autres facteurs pourraient tout aussi bien conduire aux mêmes dérives, heureusement désormais mieux cadrées puisque les parlementaires ont reconnu qu’il serait préférable que le législateur ne s’occupe pas de la (ré)écriture de l’histoire. Ceci dit, ­­­l’histoire peut et doit contribuer à dépasser ce genre de blocages. D’une part parce qu’elle montre souvent que les choses sont complexes et permet de sortir ainsi d’interprétations trop manichéennes. D’autre part parce qu’elle nous apprend que les hommes du passé ne pensaient pas forcément comme nous, que divers choix s’offraient à eux et que rien n’était donc inéluctable…

°Que peut faire l’historien face à cette dérive «mémorielle» qui penche vers l’anachronisme ?
**L’histoire permet – ou devrait permettre – de mettre à distance les choses, et d’éviter de concevoir le présent comme la répétition ou la conséquence immédiate de tel ou tel phénomène isolé du passé. D’où l’intérêt de cette histoire «compréhensive» à la Max Weber dont l’objectif est de nous faire comprendre comment nos ancêtres percevaient le monde, au lieu d’essayer à tout prix de trouver d’assez illusoires explications définitives ou des chaînes de causalité linéaires.

°Revenons à l’Histoire de l’esclavage que vous avez publié l’an dernier * : qu’avez-vous voulu mettre en avant ?
**En fait, j’ai tenté de décloisonner ces études en insistant sur les liens et les différences entre les formes d’esclavage de différentes époques. J’ai aussi tenu à rappeler que, malgré ce que l’on imagine souvent, l’esclavage n’est jamais allé de soi, même dans les sociétés les plus esclavagistes.

°Comme si, au fond, depuis le christianisme, l’esclavage froissait une sorte de «droit naturel» ?
**Oui. Sinon, pourquoi aurait-on été obligé de fourbir autant d’arguments pour tenter de le légitimer ? Simplement, pendant des siècles, on s’est plus ou moins accommodé des contradictions suscitées par l’existence de l’esclavage. Des contradictions entre le droit naturel et le fait d’avoir des esclaves, ou bien encore des contradictions au sein des textes sacrés, comme entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Et puis, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, certains, d’abord minoritaires, n’ont plus accepté ces contradictions. Le combat abolitionniste était né. Avec Regards sur la rhétorique abolitionniste, Michel Erman (qui est linguiste) et moi avons été intéressés par les rapprochements entre le discours abolitionniste du XIXe siècle et l’actuelle question du droit ou du «devoir d’ingérence» dans les affaires d’États souverains pour des questions touchant aux droits de l’homme.

°On sait qu’au départ la logique abolitionniste, est d’abord «utilitariste». Certains, comme Adam Smith, prônent l’abolition parce que l’esclavage n’est pas économiquement rentable.
**L’un des deux textes que nous avons analysés dans cet ouvrage, celui du cardinal Lavigerie (1888), renvoie aussi à une vision confinant parfois à une sorte d’anti-islamisme rappelant un peu ce conflit des «civilisations» vers lequel d’aucuns ont voulu nous entraîner. On s’aperçoit aussi, à la lecture de ces textes d’abolitionnistes, combien nombre de poncifs actuels relatifs à la traite et à l’esclavage remontent au temps où abolitionnistes et esclavagistes étaient obligés d’élaborer des discours édifiants chargés de se répondre mutuellement.

°Votre thèse est consacrée à l’argent de la traite à Nantes. De nombreuses fortunes y sont liées au commerce des esclaves. L’exemple nantais vous paraît-il représentatif de l’essor d’une certaine bourgeoisie d’affaires ?
**Le problème, avec la question de l’argent de la traite, est qu’elle a suscité beaucoup d’études quantitatives afin de connaître le taux de profit moyen annuel des expéditions négrières, mais que les travaux qualitatifs consacrés à telle ou telle bourgeoisie négrière sont presque inexistants. Dans ce livre, qui est la version «grand public», c’est-à-dire considérablement réduite, d’une thèse soutenue en 1994 et publiée pour la première fois en 1996, je me suis donc attaché à reconstituer l’histoire concrète de la plupart des familles négrières de Nantes en les suivant en amont et en aval, de la fin du XVIIe siècle à 1914, afin de savoir d’où elles venaient, pourquoi elles avaient participé à la traite, si elles avaient fait autre chose, ce qu’elles en avaient retiré, etc. En sondant aussi bien leurs conceptions économiques que politiques, sociales et culturelles et le rôle qu’elles ont joué à Nantes et dans la basse Loire, en occupant les fonctions municipales ou bien en jouant aux notables. Il en résulte une vision nuancée.

°C’est-à-dire ?
**Il apparaît, on le savait déjà, que les négociants n’ont guère investi dans l’industrie et ont assez peu été des acteurs du progrès économique. Mais d’un autre côté, on s’aperçoit que, côté dynamique sociale, associée à d’autres trafics, la traite permit à ­nombre de dynasties négociantes de s’enrichir et d’accéder au pouvoir ; thème souvent négligé dans l’historiographie anglo-saxonne, plus soucieuse d’études statistiques que d’analyses qualitatives. Le cas n’est pas inintéressant lorsque l’on sait que Nantes fut la capitale de la traite française et la place marchande en Europe qui fut sans doute la plus spécialisée dans ce trafic, à la différence de Liverpool, par exemple, qui arma plus de négriers, mais dont les activités étaient plus diversifiées. (Le Figaro- 22.05.09.)

* L‘Histoire de l’esclavage racontée en famille (Plon, 2008) et Abolir l’esclavage. Un réformisme à l’épreuve. France, Portugal, Suisse, XVIIIe-XIXe siècles (Presses Universitaires de Rennes, 2008).

» L’Argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle d’Olivier Pétré-Grenouilleau Aubier, 424 p., 25 €. Le Cri des Africains. Regards sur la rhétorique abolitionniste d’Olivier Pétré-Grenouilleau et Michel Erman Manucius, 160 p., 16 €.

*****************************

Sans minimiser les exactions des Européens en Afrique…..

Nous sommes à Paris, en 1879. La France républicaine commémore l’abolition de l’esclavage, et Victor Hugo, toujours aussi ly­rique, fait un discours qui ne déparerait pas dans les dialogues de Bouvard et Pécuchet. «Le moment est venu de faire remarquer à l’Europe qu’elle a à côté d’elle l’Afrique… Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? À personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la… Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez les prolétaires en propriétaires… Allez, faites !… »….On croit rêver. Car d’une certaine manière tout y est, le ly­risme messianique et l’idéalisme mâtiné de cynisme qui vont nourrir la rhétorique sur la «mission civilisatrice de la France»…Victor Hugo exhorte les Français et les Européens à deposséder d’autres peuples et à s’emparer de leurs biens et de leurs terres…au nom de la « civilisation »…..Il ne fait de doute que la colonisation de l’Afrique et d’autres régions du monde, a engendré des massacres, le travail forcé et l’esclavage, la déculturation, le mépris et le racisme, les exactions de toutes sortes, toutes formes de crimes contre l’humanité, comme on le peut appeler ainsi maintenant….«Les méfaits de la traite au Soudan, en Afrique de l’Est et de l’ouest, et ailleurs, avaient été dénoncés par Livingstone et, après lui, dans les récits des voyageurs européens. La dénonciation des crimes contre l’humanité qu’occasionne cette traite (chasse aux esclaves, massacre de villageois résistants, castration des jeunes garçons) est reprise à la conférence géographique de Bruxelles en 1876….. et par beaucoup d’historiens objectifs actuels et anciens… 


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