Jumeaux, une vie au miroir de l’autre
12102009
La naissance de vrais jumeaux reste un événement rare.
C’est une relation humaine unique qui transcende toutes les autres et laisse souvent l’entourage entre fascination et perplexité : le lien qui unit des jumeaux reste une énigme. Nils Tavernier lui consacre un documentaire diffusé lundi sur France 3.
Dans les années 60, aux Etats-Unis, des psychiatres ont eu l’idée bizarre de séparer des vrais jumeaux abandonnés à la naissance afin de tenter de mieux comprendre les différences entre l’inné et l’acquis. C’est ainsi que Paula et Elyse ont été adoptées chacune par une famille différente, l’une à New York, l’autre à Paris. Lorsqu’elles se sont retrouvées, trente-cinq ans plus tard, ce fut un «choc incroyable», a raconté Elyse dans un livre publié l’an dernier (1). La jeune femme se découvre mille et un points communs avec cette «autre version» d’elle-même : des études similaires, des parcours professionnels proches… Bref, deux vies parallèles sans le savoir.
Le lien qui unit les jumeaux reste une énigme que la science n’est pas près de percer. C’est une relation unique, universelle, qui transcende toutes les autres, résiste au temps et aux épreuves (et mêmes aux expériences saugrenues !).
Depuis trente ans, nos yeux se sont habitués à voir de plus en plus d’enfants du même âge à la forte ressemblance : le nombre de naissances de jumeaux a fait un bond de plus 60 % en France sous l’effet des maternités tardives et des progrès des traitements contre l’infertilité. Le plus souvent, il s’agit de faux jumeaux, nés de la fécondation simultanée de deux ovules par deux spermatozoïdes. Les grossesses gémellaires sont aussi mieux suivies et les naissances multiples sont moins risquées qu’autrefois, pour la mère comme pour les enfants. Grâce à la génétique, enfin, on comprend mieux le processus de fabrication de ces deux êtres au patrimoine génétique identique que sont les vrais jumeaux. Un événement qui reste rare (8 % des naissances gémellaires).
La révolution psychanalytique a, de son côté, bouleversé l’éducation des jumeaux. Depuis les travaux du psychologue René Zazzo, père de la « science des jumeaux », on sait que les vrais jumeaux, semblables au point qu’on les confond, «ne se ressemblent guère plus, psychologiquement, que des frères ordinaires». C’est ce qu’il a appelé «le paradoxe des jumeaux».
Mais il reste beaucoup à découvrir sur ces «clones naturels» et le lien si particulier qui les unit. C’est Le Mystère des jumeaux qu’ont choisi d’explorer Nils Tavernier, qui avait réalisé en 2006 L’Odyssée de la vie, et Marie-Noëlle Himbert, dans un documentaire diffusé lundi sur France 3 (2). «Notre vraie découverte, raconte Marie-Noëlle Himbert, c’est que cette relation ne concerne pas que les jumeaux: c’est comme regarder une relation d’amour sous une loupe.»
Car ils s’aiment, les jumeaux ! Devant la caméra, ils parlent sans retenue de leur amour l’un pour l’autre avec des élans de jeunes amoureux et un vocabulaire conjugal. «Ma jumelle, c’est ma femme», dit une jeune fille. «On est un ménage à nous deux», résume un autre. «Se séparer, ce serait comme un divorce.» Ou encore : «J’aurais plus de peine si ma sœur mourait que si c’était mon mari.» Madeleine et Marguerite, deux vieilles dames habillées exactement de la même façon, ne regrettent qu’une chose : «On ne sera pas dans la même boîte !»
Les séquences en 3D recréées à partir d’échographies montrent comment cette complicité s’est nouée dans le ventre de la mère. Près de neuf mois de huis clos in utero, de coups de pieds, de tâtonnements, de roulades, et de bisous ! Le film montre une superbe séquence où les deux fœtus se cherchent et s’embrassent à travers la fine membrane qui les sépare, comme un baiser échangé à travers une vitre.
Cette connivence dans le ventre de la mère, commune aux vrais et faux jumeaux, imprime toute leur petite enfance. «Elle impose une étape supplémentaire dans l’apprentissage de leur autonomie», explique Francis Bak, psychologue cognitif, spécialiste des jumeaux, installé à Lyon. «Il faut respecter cette phase de fusion gémellaire, et c’est une aberration de les séparer trop tôt.» C’est à l’entrée au primaire, vers l’âge de 6 ans, que la séparation peut et doit se faire. «L’adolescence est particulièrement sensible, poursuit Francis Bak, car c’est le moment où les jumeaux redéfinissent le lien à leur cojumeau.» Les ruptures sont rarissimes, mais elles existent, surtout dans les cas où le jumeau dominant écrase trop l’autre.
Malgré cet amour partagé, qui dure toute la vie, il n’est pas toujours aisé de se construire dans le regard de son double. «La gémellité est une chance quand elle ne devient pas un handicap, prévient Huguette Papiau, présidente de la Fédération Jumeaux et plus, qui regroupe 17 000 familles. Elle réclame un effort particulier des parents pour rappeler sans cesse aux enfants qu’ils n’ont pas à être pareils, qu’ils ont le droit d’avoir des idées et des personnalités différentes. C’est la condition d’une gémellité réussie.» La différenciation va bien au-delà de l’habillement, insiste cette mère de jumeaux de 24 ans, qui ne les a jamais amenés ensemble chez le pédiatre ou faire des courses. Résultat, dit-elle, «ils ont deux personnalités totalement différentes alors que, physiquement, ce sont les mêmes. L’un est tailleur de pierre et l’autre travaille dans l’informatique.» Selon elle, les cas de jumeaux fusionnels seraient de plus en plus rares.
Parmi les mystères les plus fascinants de la gémellité, il en est un que la science commence tout juste à sonder : un nombre non négligeable de grossesses (de 15 à 20 %, selon les études) seraient des grossesses gémellaires qui s’ignorent. L’un des fœtus n’ayant pas survécu, l’enfant qui naît seul resterait marqué à vie par ce « jumeau » manquant… Le Figaro-12.10.09.
Autrefois, la première vraie séparation survenait au moment du service militaire. Ce fut le cas pour Henri et René Proglio, inséparables pendant toute leur jeunesse, jusque dans leurs études supérieures à HEC. Chacun a ensuite suivi sa voie, l’un dans la finance, l’autre dans l’industrie. Aujourd’hui, à 60 ans, le premier s’apprête à prendre les rênes d’EDF après avoir dirigé Veolia et le second préside aux destinées de la banque Morgan Stanley en France. Ils continuent de s’appeler tous les jours «pour vérifier la liaison», disaient-ils l’an dernier dans un double portrait publié par Le Monde. Les frères Silvestre marcheront-ils sur ces traces illustres ? Chez eux aussi, l’un est plutôt entrepreneurial et l’autre se plaît dans la finance…
C’est en effet dans la vie professionnelle que chacun affirme véritablement sa propre identité. Les parcours sont rarement identiques. Ceux de Jacques et Bernard Attali, énarques tous les deux, ont divergé assez nettement : le premier a construit un itinéraire peu banal d’intellectuel, d’écrivain et de « conseiller du prince » alors que le second a dirigé Air France avant se lancer dans la finance (il est senior adviser d’un fonds d’investissement américain, Texas Pacific Group). Il y a quelques mois, par médias interposés, Jacques Attali dénonçait le rôle des hedge funds dans la crise financière mondiale et réclamait plus de régulation, quand son frère Bernard mettait en garde contre un excès de régulation… La gémellité a ses limites ! (Le Figaro-09.10.09.)
*******«Les jumeaux ne sont pas des clones»
Pour Christiane Charmelaine, psychologue, la gémellité n’est pas synonyme d’unité mais domine toutes les relations.
Le Figaro Magazine -Comment les jumeaux vivent-ils leur relation ?Christiane Charmelaine- Imaginez-vous vivre avec un double : c’est forcément complexe. Leur relation se construit avant tout sur les rapports qu’ils ont tissés avec leur mère dans leur petite enfance. Chacun va faire le maximum pour être considéré comme unique et se différencier. Celui qui va crier le plus fort sera servi le premier, par exemple. Cette situation engendre des frustrations qui vont avoir des répercussions sur leur devenir. Dans ce couple, il y a un dominant et un dominé dès les interactions fœtales. Mais l’alternance des rôles est possible si leur éducation laisse place à autre chose que la gémellité. Le dominé peut changer de statut.
Quelles sont les différences entre les vrais et les faux jumeaux ?
Les faux jumeaux, ou jumeaux dizygotes, se ressemblent de manière moins frappante que les vrais jumeaux et peuvent être de sexe différent. Mais, à l’instar des monozygotes, ils développent des relations très fortes dans le ventre de leur mère. Par ailleurs, ils sont souvent élevés « comme des jumeaux », ce qui contribue à les rapprocher, surtout dans une fratrie où ils sont considérés comme une paire. Les faux jumeaux vont donc développer une relation privilégiée comme les vrais jumeaux. Ces derniers, les jumeaux monozygotes, sont issus du même œuf. Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, il y a des différences entre eux, tant sur le plan génétique et biologique que psychologique. A la naissance, aucun n’a le même poids que son jumeau ou la même longueur de fémur. Ce ne sont pas des clones.
Que conseillez-vous aux parents de jumeaux pour leur permettre de s’épanouir au mieux ?
Le principe de la gémellité réussie, c’est de permettre à chaque enfant de se développer comme un individu à part entière. Considérer les jumeaux comme une seule entité, c’est une éducation maltraitante. Une dépendance extrême va se créer et les empêcher de développer des liens en dehors de leur couple. C’est ce que j’appelle l’unicité identitaire. Dans sa forme atténuée, des différences s’esquissent entre les enfants, mais la gémellité domine toutes les autres relations. Si les jumeaux se marient, ils continueront malgré tout à vivre l’un près de l’autre. C’est l’interdépendance. Il existe également des parents qui définissent, de manière consciente ou non, un « bon » et un « mauvais » jumeau. Heureusement, aujourd’hui, la majorité des parents de jumeaux arrive à répondre aux véritables différences entre leurs enfants. Ils les appellent par leur prénoms, ne les habillent pas de la même manière, tout en respectant la relation gémellaire. Le jumeau reste alors un « meilleur ami « …(Le Figaro-09.10.09.)
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