Jours intranquilles de Bruno Boudjelal
2112009Après un retour aux racines douloureux, le photographe Bruno Boudjelal parcourt son pays d’origine, à la recherche de ceux qui espèrent.
Le 3 février 2003, dix ans après avoir découvert l’Algérie, Bruno Boudjelal décide d’y retourner.
Il a toujours «cette boule au creux du ventre», mais il se sent «plus déterminé, plus volontaire». Presque apaisé. Derrière lui, sa quête identitaire et sa famille paternelle enfin retrouvée dans un village de la région de Sétif, où il est accueilli comme un fils prodigue par les «youyous» de femmes en pleurs, lui, Bruno Boudjelal, né le 26 août 1961 à Montreuil (Seine-Saint-Denis), d’une mère française et d’un père algérien …..
Devenu photographe, Boudjelal a erré telle une ombre dans la mémoire de cette tribu brisée, une partie des siens respirant dans un pays dont le cœur ne bat plus et qui ne cesse de compter ses morts, ses disparus, ses torturés, ses déplacés, ses exilés. Ces souvenirs-là sont fixés en noir et blanc, et les photographies tanguent parfois, comme si Boudjelal coulait en silence. Trop de douleur.Lorsqu’il repart en 2003, Boudjelal est en quête d’une autre Algérie, «plus éloignée de mes racines» et de sa propre histoire. Il n’a rien oublié, ni le visage de son grand-père Amar, ni les ninjas (surnom des policiers d’élite encagoulés) qui l’avaient fouillé à la gare d’El-Harrach en 1993, ni les horreurs des années noires. Son but est d’aller d’est en ouest, de la frontière tunisienne à la frontière marocaine, à la rencontre des autres. Ceux qui «ont su résister à la barbarie et aux ténèbres». Ceux qui continuent à espérer.
Constantine. Tazmalt. Beni-Yenni. Alger. Meftah. Ténès. Oran. La traversée dure vingt-cinq jours. Kamel et Dadi, des amis, l’accompagnent, ils roulent en voiture. Le soir, Boudjelal recueille les témoignages. Neige, pluie, routes bloquées, paysages paralysés. Et la lumière ? «Magnifique, violente, changeante.» La plupart du temps, il cache l’appareil photo, par prudence, mais aussi par goût, il aime «la fluidité que donne cette manière de photographier sans se soucier de cadrer ou pas, en mouvement». Que cherche-t-il ? «C’est instinctif, je réagis face à des situations. Par exemple, les images de cette traversée ne sont qu’une succession d’expériences. Des semaines, voire des mois après, tout se met en place et prend du sens.»
Ses amis algériens se reconnaissent dans le flou de ses photographies, ils voient leur pays. Une nuit, à Oran, dans un cabaret sur la corniche, Boudjelal danse le raï et Mohamed lui murmure : «Tu es des nôtres !» Il y a aussi de la joie dans Jours intranquilles, récit d’un homme reconstruit. (Libération-02.11.09.)
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