Rendez-vous des météorites dans le désert algérien
15012010Passé le rush de fin d’année vers le Sud, une autre catégorie de touristes nomadise dans les déserts, les chasseurs de météorites, ces pierres noires qui se vendent comme des petits pains cosmiques. La destination de prédilection de ces chercheurs de bouts d’univers, la région de In Salah d’où provient la majorité des météorites algériennes qui se retrouvent sur les marchés internationaux. De l’argent tombé du ciel.
Mars 1989, El Idrissia. Sur ces Hauts-Plateaux aux portes du désert, une boule de feu traverse le ciel de la petite ville, embrasant l’atmosphère et finissant par un bruit assourdissant, « semblable à la chute d’un avion », résume un témoin. Après l’effroi qui s’est emparé de la population, El Idrissia accueille positivement cet objet venu du ciel, « c’est la baraka ». Une équipe du CRAAG (Centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique) se rend sur les lieux. La météorite est alors étudiée et son prix, à raison de 100 dollars le gramme, est estimé à l’époque à plusieurs centaines de milliers de dollars. En 2002, le caillou est déclaré à la Meteoritical Society et, depuis, même si les cratères météoritiques comme ceux d’Amguid ou Tin Bider sont connus de par le monde, des spécialistes algériens commencent à s’intéresser aux météorites de leur pays : « Au-delà de leur intérêt scientifique, étant donné qu’elles sont contemporaines de la naissance de notre système solaire (4.5 milliards d’années), il y a tout un trafic autour, nos météorites sont revendues au Maroc sous le label marocain et exportées », explique Djelloul Belhaï, l’un des spécialistes des météorites en Algérie. Mais ils ne sont pas les seuls à s’y intéresser. Aujourd’hui, toute une faune de chasseurs se rend dans le désert algérien pour dénicher ces bouts d’univers et les revendre. Sauf que les prix ne sont pas les mêmes que pour celle d’El Idrissia. Sachant qu’une météorite qui « tombe » (une chute) est fraîche et non altérée par le climat terrestre, elle vaut de fait 100 fois plus qu’une météorite « trouvée », sur Terre et donc altérée. Pour ces dernières, les prix sont variables selon leur taille et leur nature, les météorites d’origine martienne étant les plus recherchées (jusqu’à 1000 dollars le gramme), alors que les petites chondrites ordinaires sont cédées à quelques dizaines d’euros. Mais c’est une manne, un don du ciel.
*Un très bon terrain de chasse
Aïn El Hadjadj, sur le plateau de Tadmaït. Ici, sur ce point désertique où la route dévale abruptement le plateau rocheux pour atterrir sur la plaine sableuse du Tidikelt et In Salah, les gendarmes et militaires ont installé un cantonnement et un barrage fixe pour surveiller l’activité de la région et les trafics en tout genre. C’est la limite entre les deux wilayas de Ghardaïa et Tamanrasset, vaste région de contrebande qui fait la jonction entre l’extrême sud et le Sahel d’une part, et le nord algérien de l’autre. Ici, les météorites abondent, bien qu’il n’y ait pas d’endroit particulier où elles tombent. Sauf qu’ici, de par le climat sec et aride, elles s’y conservent longtemps. Le directeur de l’antenne de In Salah du parc de l’Ahaggar, explique qu’il y a un champ de météorites récemment découvert du côté de Aïn El Hadjadj. Au Ksar Badjoudja, adossé au marché de In Salah, là où l’antenne du parc a élu domicile, le directeur montre deux spécimens rapportés par des citoyens : « Nous attendons les experts pour confirmer cette découverte. » A première vue, ce sont bien des météorites ; lourdes de par leur composition ferreuse (densité 3 à 3.5), fortement magnétiques, possédant une croûte de fusion due à leur passage par l’atmosphère et des chondres, grains caractéristiques. Si ce strewnfield (champ météoritique) n’est pas encore localisé avec exactitude, d’autres sont largement connus, comme celui d’Amguid ou ceux d’Aguemmour et Reg Açfer, dans la région de In Salah. Pourquoi ici ? « La majorité des météorites algériennes viennent de la région de In Salah et on ne sait pas pourquoi », explique Djelloul Belhaï. « Sauf que l’on a remarqué que les météorites tombaient plus souvent dans les régions tropicales. » On y est, le tropique du Cancer passe juste un peu plus bas.
*Nayazik
In Salah, oasis enfouie dans une plaine de sable. Au marché de la ville, il y a de fait marché et marché. Le premier est traditionnel, gris clair, et l’autre est noir foncé. Où l’on vend de tout, des panneaux solaires subtilisés des installations expérimentales, des gravures rupestres, du bois silicifié et des météorites, bref tout ce qui est illégal. On y vendrait même des armes. « On est bien obligés. Ici, il n’y a rien et on est isolés de tout », explique un commerçant. A la brigade de gendarmerie de In Salah, l’officier comprend : « Ah oui, nayazik (météorites, en arabe), bien sûr. » Il est STRICTEMENT interdit d’en ramasser, même si pour la gendarmerie, ce délit n’est pas le principal danger de la région. En tout état de cause, à l’aéroport de la ville, un scanner a été installé et une brigade d’agents veille sur le patrimoine matériel et cosmique qui s’enfuit par avion. Des gendarmes ont été formés pour reconnaître les météorites, et les derniers chasseurs européens attrapés ont fait deux mois de prison. Mais où vont toutes ces météorites ramassées ici ? Sur e-bay ou dans les sites de vente aux enchères, chez les collectionneurs privés et les bourses aux minéraux, dans les laboratoires internationaux où les scientifiques préfèrent acheter clandestinement des météorites plutôt que de financer de coûteuses expéditions pour en chercher. Dans les musées, à l’image du muséum d’histoire naturelle de Paris où la météorite de Zerhamra (Beni Abbès) trouvée en 1967 et qui pèse pas moins de 630 kilos est exposée, tout comme celle de Tamentit (Adrar), trouvée en 1865. Ou encore à Errachidia et Erfoud, deux villes marocaines frontalières connues pour leur marché aux météorites, où elles sont acheminées clandestinement du Sud algérien pour être vendues comme « trouvaille marocaine ». Ce qui a obligé le Comité de Nomenclature Internationale pour les Météorites à mettre en place une base de données pour les NWA (North West Africa) afin de déterminer l’origine de ces pierres qui se baladent presque autant sur Terre que dans l’espace. Selon même certains experts, comme le diamant finance les guerres, le marché des météorites financerait le terrorisme dans le Sahara et le Sahel.
*Pièces détachées du cosmos
Ksar Badjoudja, In Salah. Le parc du Hoggar débute officiellement ici, ce grand musée naturel de 500 000 kilomètres carrés qui équivaut à l’Espagne, le Portugal et l’Italie réunis. Pour cette mission de traque des chasseurs de météorites, le directeur avoue qu’ils ne sont qu’une vingtaine de personnes et deux véhicules 4X4, dont l’un vient d’être volé. La tâche est rude, d’autant qu’à In Salah chez le non initié, on se dit étonné par cet attrait pour les météorites, qui ne sont finalement que de simples pierres. L’attrait ? Leur prix bien sûr, leur intérêt scientifique en tant que témoins privilégiés de la naissance de la Terre et leur charge affective, chacun désirant avoir un bout d’univers chez lui. Et toute une symbolique. Autour de La Mecque, 1 milliard et demi de musulmans veut se presser pour tenter d’embrasser cette pierre, el hadjra essaouda, enchâssée dans l’un des quatre coins de la Kaâba sacrée et dont on dit qu’elle est d’origine extraterrestre. D’après Tabari, le célèbre chroniqueur arabe, cette pierre a été ramenée du paradis par Adam lors de sa chute sur Terre. Une météorite ? Peut-être. Son prix ? Inestimable. (El Watan-15.01.2010.)
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