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Egypte,quand le haschisch devient phénomène « culturel »

20012010

Fumer un joint n’est pas mal vu dans la société égyptienne. La consommation ne cesse d’augmenter. Et la fumée bleue, qui réunit des Egyptiens de tous bords, abolit les clivages sociaux.

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Si la plupart des peuples préparent de bons plats, décorent leurs appartements et allument des bougies pour le nouvel an, nombre d’Egyptiens saisissent l’occasion pour se retrouver avec leur meilleur ami, le haschisch. Selon les statistiques de la commission des Affaires sanitaires du Parlement, la population a dépensé en 2008 des dizaines de millions d’euros pour cette drogue, estimation fondée sur les quantités saisies par la police. Or celles-ci ne représentaient qu’environ 10 % des quantités disponibles sur le marché. Au début de l’année 2009, le ministère de l’Intérieur a par ailleurs indiqué que la valeur des saisies de haschisch avait augmenté de 124 % en une année, ce qui veut dire que la consommation a probablement augmenté d’autant. Les consommateurs ne sont pas considérés comme des drogués, mais comme de simples fumeurs. Car, dans la « culture » populaire égyptienne, le haschisch passe pour un “ingrédient complémentaire” du tabac. Par ail­leurs, les hommes en fument plus que les femmes, ce qui s’explique par la conviction largement partagée – et erronée – que le haschisch est un aphrodisiaque. Quand quelqu’un organise un mariage, il prévoit de la musique, prépare de bons plats… et se procure du haschisch. Ce qui, au demeurant, n’est pas difficile. Tout le monde sait où en trouver. Chacun connaît le marchand du quartier, et c’est rare que celui-ci se fasse dénoncer à la police. On ne l’appelle pas “trafiquant de drogue”, ce qui paraîtrait disproportionné à tout le monde, mais “dealer”. Personne ne s’étonne lorsqu’un jeune vous demande : “Où est-ce que je peux trouver le dealer du quartier ?” Quant au grossiste, il est appelé doulab [placard].

Les grosses sommes d’argent en jeu pourraient faire penser que beaucoup d’acheteurs sont des bandits ou des personnes à deux doigts de basculer dans la criminalité. Or il suffit de faire un tour chez des adeptes du pétard pour se rendre compte qu’il s’agit de fonctionnaires, de journalistes, d’ingénieurs… réunis dans un nuage de fumée bleue qui efface les clivages sociaux. Mais, si le haschisch occupe une place de choix parmi les drogues en Egypte, il n’a pas pour autant l’exclusivité. D’autres pratiques sont largement répandues, comme l’inhalation d’essence, de cirage de chaussures, de gaz de briquet ou encore de fumée de fourmis brûlées. Sans parler de la bissa, plus récente. C’est un mélange d’héroïne et de calmants dissous dans du jus de citron. [A propos d’héroïne], on peut rappeler l’énorme succès de ¼ Gram. Ce roman d’Issam Youssef raconte l’histoire d’un jeune homme qui de­vient toxicomane après avoir pris 250 milligram­mes d’héroïne avec des amis. Il dé­crit le monde de la drogue sans emphase. La première édition de son livre [sorti en 2008] a été épuisée en moins d’un mois. Les différentes drogues arrivent par vagues et suivent les modes. L’opium a la faveur des chauffeurs de poids lourds, l’essence, la colle et l’acétone – faciles à obtenir et peu onéreuses – sont consommées par les enfants de la rue, et les comprimés sont très répandus parmi les professions libérales. A la fin des années 1970, c’est la marijuana qui s’est fait sa place parmi les étudiants et dans les classes populaires. Son succès s’explique par son prix abordable et par la facilité avec laquelle on peut la cultiver. Quant aux journalistes, artistes et autres professionnels de la création, ils sont depuis des lustres adeptes du haschisch. Le plus célèbre d’entre eux a été Sayyid Darwish [1892-1923], chanteur et compositeur, qui a consacré un air aux “fumeurs” : “Le plus courageux des beys ou des pachas, du mal du haschisch, il n’en dira pas.” Dans une autre chanson, il se moque de la cocaïne, drogue arrivée avec les Anglais à l’époque coloniale.

Le cinéma illustre bien la place que le haschisch a conquise en Egypte. Dans les films des années 1970, on voyait souvent quelqu’un qui, dans un état hystérique, cherchait à se procurer sa dose. Aujourd’hui, la scène typique serait plutôt celle d’un monsieur tout à fait normal qui se la procure et la fume en compagnie de ses amis. Ainsi, selon des études officielles, 6 mil­­lions d’Egyptiens en consommeraient de manière régulière. Ils ont inventé toutes sortes de noms pour les différentes variétés. Certaines sont appelées “Saddam”, d’autres “Obama”, tout comme il y a eu du “F-16” pendant la deuxième Intifada [en septembre 2000]. “Nancy” et “Haïfa” [d’après le nom de deux chanteuses de va­riétés libanaises] sont particulièrement prestigieuses. D’un autre côté, le mot “haschisch” sert parfois de prénom. D’après les re­gistres officiels, il y aurait 168 Egyptiens qui le portent, 7 qui s’appellent Boudra [poudre], 3 qui ré­pondent au nom d’Opium et 2 à celui de Chamma [schnouff]. (ElMoustakbal- Le Courrier international-21.01.2010.)

 







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