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La culture de la haine en Amérique

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*Délires paranoïaques et culture de la haine en Amérique

Puissance occupante en Irak, les Etats-unis ne misent pas sur le relatif modernisme laïc de la société irakienne pour renforcer leur prestige civilisateur. Au contraire, l’« administration » américaine liquide les corps sociopolitiques encore stables, assiste, inerte, aux émeutes et au chaos, défait les solidarités économiques et réprime les résistances. Les occupants se comportent en colonisateurs, instaurant leur domination sur l’humiliation des autochtones. La culture américaine semble tournée vers l’agression et non vers la conciliation sociale.

Avec Gangs of New York,son très beau film sur les années 1840, Martin Scorsese montre que la violence américaine n’a jamais été cantonnée à la conquête du Far West, ni, a fortiori, à quelques épisodes sporadiques comme les mafias sous la prohibition des années 1920 ou les émeutes raciales des années 1960. Elle se manifeste très tôt dans l’histoire du pays, dès la première minute du débarquement de chaque immigré. Cette violence immédiate, extrême, sans fin, concerne d’emblée toutes les strates de la société. Elle saisit l’arrivant pauvre en le propulsant dans des hangars hideux où s’entasse une foule hurlante. Mais aussi le riche qui voit brûler sa maison à la moindre échauffourée. Et encore la population modeste dont les canonnières du gouvernement d’Abraham Lincoln  (1) bombardent les habitations en représailles de manifestations de rue. Déjà le recours aux bombardements civils était une technique privilégiée de la police sociale, nationale ou internationale !

Certes, la violence mortifère paraît liée aux nouveaux mondes envahis par l’Europe depuis cinq cents ans. Mais elle semble se renouveler sans cesse à partir du foyer des Etats-Unis, bien davantage qu’au Canada ou même qu’en Amérique latine. L’explication du désormais célèbre documentariste Michael Moore, dans son passionnant Bowling for Columbine  (2), porte moins sur le nombre d’armes possédées par ses concitoyens que sur le climat de peur, de paranoïa et de haine réciproque entretenu par les médias. Pourquoi les médias des Etats-Unis (et pas des autres pays) entretiennent-ils un tel climat ?

En réalité, on est frappé par le fait qu’il est impossible de se dire « états-unien », comme on se dit mexicain, canadien ou même québécois ou brésilien… Et si la tendance intrinsèque des Etats-Unis à la violence sous toutes ses formes avait quelque chose à voir avec cette absence volontaire de nom collectif ? Ce manque ne relève en rien d’un hasard ou d’une futilité. Il tient à la tentative de certains Américains de gagner leur indépendance vis-à-vis des patries européennes par la multiplicité des entités politiques et culturelles, et non par une recherche de solidarité identitaire. Or cette volonté de multiplicité n’a été contrebattue que superficiellement par le pacte de la Constitution de 1787, quelle qu’en soit la pérennité. De sorte que, depuis le milieu du XVIIIe siècle, se reproduit une implacable tendance à se battre pour le maintien des différences internes et externes, et pour la négociation minimaliste des formes de solidarité.

La culture « états-unienne » est bien, hier comme aujourd’hui, celle d’une bataille continuelle entre individus, groupes, communautés, Eglises, Etats, entre droits et conceptions civiques, etc. La contrepartie - en apparence paradoxale - de cette compétition est toujours une coalition, c’est-à-dire un groupement de bandes, une discipline corporative ou un rassemblement militaire d’alliés sous la houlette d’un chef, dans une visée agressive ou répressive. Comme lorsque les « gangs » se rassemblaient, il y a cent soixante ans, dans la grande rue des faubourgs new-yorkais pour se battre à mort et assurer l’hégémonie d’un clan sur les autres, il s’agit encore et toujours d’affronter l’autre en position de force et de l’emporter par tous les moyens.

L’attitude américaine vengeresse, qui conduit à traiter inhumainement les prisonniers afghans (et non afghans) à Guantanamo ou à tirer sur les femmes et les enfants d’une foule à Bagdad, ne relève donc pas seulement d’une logique de grande puissance désinhibée, qui prétend imposer sa loi au monde, quel qu’en soit le prix. Elle s’enracine dans l’histoire d’une conception de la vie en société, qui est une négation de la notion même de société. Si plus de 10 000 personnes meurent par balles aux Etats-Unis chaque année (contre quelques dizaines au Canada, au Royaume-Uni ou en France), cela ne tient pas qu’aux médias agitant l’angoisse sécuritaire ; cela vient du fait qu’une part de ce qui fonde la substance d’une société n’a jamais été formée dans ce pays.

Sans doute cette explication n’est-elle pas absolument vraie, mais elle constitue un fil rouge pour rendre compte de la violence essentielle en provenance des Etats-Unis, jusques et y compris ce désir buté de régler les désaccords internationaux par l’action illégitime et le massacre de civils.

Au premier abord, entre l’Amérique imaginée par un juriste comme Thomas Jefferson  (3) - républicain au sens de la Grèce antique - et la réalité des actes de souveraineté violente, le contraste paraît flagrant. Là où Jefferson voulait créer une nation pacifique, qui se distinguât d’une Europe « toujours en guerre »,s’est construit une entité guerrière furieusement en compétition contre elle-même (guerre de Sécession), contre ses propres immigrés forcés (esclaves d’abord, travailleurs libres ensuite) et contre ses premiers occupants (extermination programmée de dizaines de millions d’Indiens). Au cours des temps, les Etats-Unis ont pratiqué, vis-à-vis des autres pays, ce que Jefferson reprochait aux Français sous Napoléon : tenter d’« imposer à leurs voisins leur conception personnelle de la liberté  (4)  ».

Retour du maccarthysme

Toutefois, ce qui distingue les Etats-Unis hyperindividualistes des autres nations américaines plus sensibles aux idées de la solidarité sociale  (5) se trouve déjà dans la phobie extrême qui caractérise Jefferson à l’encontre de l’Etat, considéré comme un monstre immonde par nature. Pour lui, le devoir permanent de tout citoyen est de s’opposer à la « longue suite d’abus et d’usurpation, tendant invariablement au même but  », qui « marque le dessein de le soumettre au despotisme absolu  ». Certes, ce despotisme est d’abord celui de la puissance coloniale anglaise honnie, dont il s’agit de se libérer par de nouvelles lois.

Mais le ton jeffersonien est imprégné d’un accent qu’un psychiatre pourrait aisément qualifier de délire paranoïaque. Ce gouvernement despotique n’a-t-il pas, selon Jefferson, «  envoyé dans ce pays des essaims de nouveaux employés pour (…) dévorer sa substance, (…) pour accomplir l’oeuvre de mort, de désolation et de tyrannie (…) avec des circonstances de cruauté et de perfidie dont on aurait peine à trouver des exemples dans les siècles les plus barbares  » ? N’a-t-il pas « mis en quartier de gros corps de troupes armées, afin de les protéger, par une procédure illusoire, contre les châtiments des meurtres qu’ils auraient commis sur la personne des habitants de ces Etats  (6)  » ? Notons que, par un curieux retournement, les dirigeants et militaires américains réclament de disposer d’une protection semblable, en s’excluant des lois internationales et de la juridiction pénale mondiale que constitue la Cour pénale internationale (CPI).

On ne peut nier le caractère progressiste des libertés que le premier président des Etats-Unis entendait soustraire à l’autorité « destructrice » de l’Etat : libertés de pensée et d’expression, de commerce, de religion, droit à la vie et à la recherche du bonheur, droit de s’expatrier, garantie de non-rétroactivité des lois, refus de la prison pour dettes, franchise de toute obligation perpétuelle, droits de communiquer entre mandants et représentants, de commercer avec les nations voisines, de travailler pour gagner son pain, de se défendre contre agresseurs et malfaiteurs, habeas corpus, etc. Mais on ne peut non plus ignorer que la haine fondatrice viscérale envers tout Etat fort se révéla à la longue contradictoire avec le « devoir sacré de chasser les passions qui nous divisent  (7)  ».

Jamais la tentative jeffersonienne ne visa, au-delà de l’indépendance, la construction d’une réelle solidarité nationale sur la base de principes collectifs communs. Elle consacra plutôt une trêve entre les aristocrates sudistes anglophiles et les démocrates nordistes, eux-mêmes issus d’exilés de la guerre civile anglaise. A fortiori, le projet ne concernait pas les populations locales. Le républicain tolérant Jefferson bâtit sa carrière sur une alliance privilégiée - contre les bourgeois de la côte orientale - avec les colons de l’intérieur en constante chasse aux Indiens, « ces sauvages sans pitié, dont la manière bien connue de faire la guerre est de tout massacrer, sans distinction d’âge, de sexe ni de condition  (8)  ». Dès le milieu du siècle suivant, des primes seront offertes aux nouveaux habitants de la Californie pour abattre les Indiens comme des animaux nuisibles.

Tout au long de l’histoire, les nouvelles couches d’arrivants ont toujours fini par tenter de fermer la porte aux suivants (par des lois de quotas concernant leur propre communauté nationale) et, à défaut, de les soumettre à une exploitation épuisante - rite de passage transférant la haine du pays d’origine vers le pays d’accueil. Le caractère punitif en est évident : l’inexistence de systèmes de solidarité sociale au travail a toujours permis, à toutes les époques, des taux d’accidents et d’usure au labeur sans commune mesure avec ceux des autres pays « civilisés ».

Enfin, il n’y a guère plus de trente-cinq ans, les Etats-Unis étaient encore un pays d’apartheid officiel (comme l’Afrique du Sud) envers les personnes « de couleur ». De nos jours, la plupart des villes, grandes ou petites, connaissent encore des frontières spatiales rigides entre catégories sociales et entre groupes ethniques qui recoupent les premières. Des ghettos noirs aux quartiers juifs, des banlieues « latines » ou hispaniques aux «  gated communities  » (communautés fermées) et autres «  country clubs  » réservés aux milliardaires, les Etats-Unis sont le symbole même du découpage socio-spatial.

De l’idéal wilsonien  (9) de Société des nations au projet de Lyndon B. Johnson de « grande société », les politiciens dirigeant « cette entité multiple et sans nom » ont toujours rêvé d’un modèle de société comme si, en fait, celui-ci était… impossible. La volonté de Thomas Woodrow Wilson de créer en 1920 un ordre démocratique mondial ne s’est pas réalisée, et d’aucuns pensent qu’elle a même contribué à déclencher la seconde guerre mondiale. Mais elle a fini, comme un commentateur le note  (10), par inspirer davantage la construction européenne actuelle que les Etats-Unis eux-mêmes.

Depuis le 11 septembre 2001, ces derniers sont en proie à un intense raidissement militaro-policier. Pour les partisans de la guerre en Irak, l’union sacrée sert à la défense patriotique du « nid » ; mais, pour ses opposants, le conflit n’est qu’une bouffée xénophobe du même type que le classique populisme raciste s’exerçant à l’intérieur du pays depuis toujours. Ont-ils tort ? Un soldat américain, interviewé le 21 mars 2003 par la chaîne de télévision CNN, affirme qu’il veut « se venger en Irak… des attentats du 11 septembre  ». Il partage avec 55 % de ses concitoyens consultés par sondage la conviction que M. Saddam Hussein est lié à Al-Qaida et fut responsable de l’attaque contre le World Trade Center. On peut supposer que, pour beaucoup d’entre eux, cet amalgame ignorant s’étend aux Arabes en général, et finit par ressembler aux phobies épidémiques d’époques passées : envers les Indiens d’Amérique, les Noirs ou les Asiatiques.

Ce brutal dérapage raciste nous renvoie à la pire - mais à la plus constante - des traditions sous-jacentes de la culture américaine. En cas de durcissement, on aurait, d’un côté, le « gang » des milices de patriotes liées aux autorités, renouant avec le mélange de terreur occulte et de répression policière sanglante qui fit les beaux jours du maccarthysme, et, de l’autre, la tribu des « intellectuels », des « multiculturels » et autres « traîtres » potentiels. Or, comme l’indique Michael Lind  (11), cet antagonisme reprend - dans la géographie même des partis politiques - les contours de la plus ancienne fracture intérieure : sud colonial, antiféministe, homophobe et raciste contre Nord puritain, laïcisé, communautaire, libéral et universaliste.

La notion de « coalition » semble bien représenter l’idéal de la solidarité loyale dans le langage belliqueux d’un George W. Bush. Mais elle ne tient, comme le constate Andrew J. Bacevitch  (12), que dans le cadre d’une volonté « unipolaire » de victoires successives sur le monde, qui est une tendance directrice sans faille de la diplomatie américaine depuis un demi-siècle. Cet « unipole » n’est pas seulement celui de la « seule puissance mondiale ». C’est aussi celui du groupe entourant le président, et celui forgé par lui-même, combinant les attributs du chef de guerre, du pontife religieux et du meneur populaire charismatique. Du coup, l’Amérique médiatique et satirique s’est enfin trouvé un nom : le « Bushland  », qui évoque, à travers le patronyme présidentiel, le caractère sauvage des forêts coloniales à défricher sans états d’âme. Cependant, de très nombreux citoyens des Etats-Unis ne s’y reconnaissent pas : le « Bushland  » ne désigne qu’un clan ayant pris le contrôle du pays.

On a beaucoup glosé, et à juste titre, sur le caractère de secte doctrinaire ou de faction du groupe de collaborateurs proches de M. Bush. On a insisté sur le fanatisme de croisade de plusieurs membres et sur le lien étrange qu’il entretient avec l’affairisme pétrolier. Mais on a moins retenu que ces traits caractérisent toute formation communautaire aux Etats-Unis depuis trois cents ans : l’entité collective de base « états-unienne » est en effet presque toujours un groupement qui conserve, dans sa farouche opposition à tout ce qui lui résiste, les caractères d’un peloton de vassaux, petit nombre d’affidés au « senior », vivant avec lui et chevauchant vers la gloire en amassant butins et territoires ou en périssant au cours de l’aventure.

C’est le message du romancier James Ellroy, décrivant la saga des groupes en compétition à la tête des Etats-Unis pendant la tragique ère Kennedy. Dans son fameux American Tabloid, nous voyons chaque « institution » (CIA, FBI, présidence, syndicats, communautés ethniques, mafias, armée, groupes de patriotes, presse à scandale, etc.) fonctionner pour elle-même et contre les autres au travers du combat de héros sanguinaires. L’assassinat de John puis de Robert Kennedy, celui de Jim Hoffa (patron du syndicat mafieux des Teamsters), voire la mort suspecte de Marilyn Monroe, l’attaque contre Cuba en 1961, la mise en train de la guerre au Vietnam, etc., nous sont présentés comme autant d’événements étroitement associés dans une seule dramaturgie : celle de la guerre des bandes ennoblies par leur montée sociale dans les cercles du pouvoir.

Si les détails inventés par Ellroy sont mythiques, la teneur sociologique de son récit est d’une étonnante véracité : les Etats-Unis fonctionnent, de bas en haut, comme une vaste arène de combat permanent de groupes quasi familiaux constitués dans une logique féodale non encore bridée par un appareil central ferme, et pouvant néanmoins se répéter à l’identique.

La personnalisation du conflit est un trait inévitable d’une telle vassalisation de la vie politique. Là encore, tout se passe comme dans Gangs of New York : le leader s’impose en personne par la force et par la ruse (comme cela s’est vu aux nombreux trucages de la dernière élection présidentielle) à un ensemble disparate de bandes armées ; il tente ensuite de se maintenir jusqu’au bout dans une position fascinatrice de « mâle alpha », pour reprendre l’expression des primatologues. Il doit brandir sans cesse la menace contre les siens, et surtout remobiliser leur enthousiasme faiblissant en leur offrant en proie un concurrent malheureux, que l’on « diabolise » pour l’occasion.

« La guerre du président »

Contrairement à ce que supposent des commentateurs éblouis par la stratégie américaine, MM. Slobodan Milosevic, Oussama Ben Laden ou Saddam Hussein n’ont pas été érigés en ennemis numéro un grâce à une doctrine savante. Ils représentent les nécessaires figures du défi lancé par le candidat le plus fort à la chefferie, dans une logique de combat de rues. Ils permettent aussi de cacher la minutieuse préparation de la joute, qui ne donnera en réalité aucune chance au « concurrent stratégique ». Ainsi, l’« Etat-voyou » supposé détenir des armes de destruction massive n’est-il qu’une petite nation incapable de présenter la moindre menace sérieuse pour le puissant prétendant au contrôle du secteur. Bombardé sans cesse depuis dix ans, espionné par des experts et démantelé par un long blocus, il sera offert en pâture au groupement dominant et à son « parrain », implacablement - et théâtralement - rancunier.

Seul un observateur un peu abrité de l’ire du « gourou-guerrier » peut alors faire remarquer que la notion d’« Etat-voyou » désigne mieux qu’aucune autre expression la pratique même du chef du gang attaquant, qui instrumentalise son propre Etat dans la poursuite de son projet de domination. Les nombreux opposants à la politique du président Bush l’ont d’ailleurs souvent exprimé à travers la formule : « c’est la guerre du président, pas celle du pays. »

Mais la « coalition » guerrière n’a pas seulement pour but d’unir autour d’un personnage les opinions et les énergies dans une démonstration de force incontestable et réitérée. Elle a aussi pour objet de remplacer toute idée de vraie solidarité. Elle s’impose au détriment des mécanismes légitimes des Nations unies (les faisant apparaître, par un contraste inattendu, dans une perspective d’Etat-Monde qu’elles n’avaient jamais eue auparavant), et elle occupe tout l’espace imaginaire que l’idée de solidarité sociale pourrait remplir.

Après les scènes effroyables de la guerre, on a pu voir, dans les jours qui suivirent la « victoire », des images de sympathiques et généreuses patrouilles américaines multiethniques en Irak. M. George W. Bush espérait récolter les fruits du succès « allié »… au moment où la situation sociale et économique de la société « états-unienne » ne cessait de s’aggraver : 3 millions d’emplois supprimés depuis l’élection présidentielle (contestée), dont 200 000 rien qu’à New York, la capitale financière.

Pendant que la parade martiale continue, l’administration Bush n’a pas tenté de restaurer la prospérité économique par des mesures appropriées. Bien au contraire. Elle a diminué les impôts au profit presque exclusif des plus hauts revenus (1 % bénéficiant de 43 % de remises). Elle a déstructuré tout ce qui peut encore évoquer la responsabilité publique de l’Etat dans le bien-être des citoyens. Elle a réduit de 86 % le programme communautaire d’accès aux soins (qui organisait la coopération entre hôpitaux publics et privés pour aider les malades dépourvus d’assurance médicale). Elle a diminué de 700 millions de dollars la réhabilitation des logements sociaux, de 60 millions de dollars le programme des logements de la fondation d’aide à l’enfance, de plusieurs centaines de millions de dollars le fonds permettant aux personnes à bas revenus de faire garder leurs enfants pendant leur travail. Elle a interdit toute contribution fédérale aux organisations de planning familial favorables à l’interruption volontaire de grossesse.

Guère plus soucieuse de la culture commune, elle a enlevé 200 millions de dollars à la formation des chômeurs, a éliminé un programme d’apprentissage de la lecture chez les familles défavorisées. Elle a soustrait 39 millions de dollars aux bibliothèques fédérales et 35 millions de dollars à la formation en médecine pédiatrique… Elle a nommé aux postes de la protection de l’environnement des ennemis déclarés de celle-ci, comme à la direction de l’Environmental Protection Agency (EPA, agence de l’environnement), confiée à une dirigeante du trust Monsanto, qui a aussitôt diminué son budget d’un demi-milliard de dollars. Elle a ouvert les parcs nationaux à l’exploitation forestière et aux forages. Elle a aboli les lois permettant à l’Etat fédéral de refuser des contrats avec des entreprises polluantes et dangereuses pour leurs travailleurs, et éliminé une série de réglementations protectrices dans ce domaine. Elle a mis aux enchères des fonds marins de Floride, libéré des terres protégées en Alaska, réduit de 50 % le budget de la recherche sur les énergies renouvelables et de 28 % celui concernant les véhicules moins polluants.

On retrouve, sur le plan international, la même récusation butée de toute solidarité : l’administration Bush a refusé de signer le protocole de Kyoto sur l’effet de serre, trahi ses promesses de réguler les émissions de dioxyde de carbone, et réussi à repousser le règlement réduisant les niveaux « acceptables » d’arsenic dans l’eau potable. Elle a enfin renié son engagement d’investir 100 millions de dollars par an dans la protection des forêts tropicales.

Bref, l’hégémonie américaine sur le monde a pour exact revers une entreprise de « dé-solidarisation » systématique. Le comportement de Washington en Irak n’en est, au fond, qu’une illustration parmi d’autres. Sa victoire, depuis longtemps acquise par un habile mélange de corruption des chefs baasistes et d’intimidation préventive des troupes d’élite, est transformée en démonstration de surpuissance, au prix de bombardements meurtriers de quartiers populeux et de rues commerçantes. Puis l’occupant organise et installe le chaos durable. Une image reste en mémoire des téléspectateurs : le visage indifférent des marines robotisés au pire moment des pillages dans Bagdad. Il n’est ainsi guère de meilleure métaphore que l’Irak occupé pour exprimer la répugnance du citoyen « états-unien » envers la moindre évocation de la solidarité, et sa passion pour recréer - tout comme dans ses propres bas-fonds urbains d’Amérique - un décor ravagé de tiers-monde, habité par un autrui vaincu, humilié, jamais relevé. Comme s’il s’agissait de transmettre interminablement la haine. (Le Monde Diplomatique-aout 2003.)

Denis Duclos

notes…

(1) Abraham Lincoln (1809-1865), républicain et antiesclavagiste.

(2) Columbine est l’école de Littleton (Colorado) où deux jeunes gens massacrèrent quatorze étudiants, le 20 avril 1999, jour anniversaire de la naissance de Hitler.

(3) Troisième président des Etats-Unis, de 1801 à 1809.

(4) Lettre à James Monroe du 11 juin 1823.

(5) L’appel du président brésilien, M. Inácio « Lula » da Silva, à établir un programme mondial contre la faim est un exemple de cette sensibilité différente.

(6) Lettre à Edward Carrington, 27 mai 1788.

(7) Lettre à Richard Rush, 20 octobre 1820. (Envoyé en Angleterre pendant près de huit ans, Rush y a négocié un nombre important de traités.)

(8) Lettre à James Monroe, op. cit.

(9) Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), partisan d’un système de sécurité collective et de la Société des nations.

(10) Johann Hari, « A disputed legacy », Times Literary Supplement, Denville, 28 mars 2003, pages 14 et 15.

(11) Interview, « Les conservateurs au pouvoir ne représentent pas l’Amérique », Libération, Paris, 4 mai 2003.

(12) American Empire, the realities and consequences of US diplomacy, Harvard University Press, 2003.

*****L’Argent, au coeur des élections….(nouvelle loi électorale)

La Cour suprême des Etats-Unis a levé jeudi (21.01.2010.) les limites au financement des campagnes électorales nationales par les entreprises, une révolution dans la loi électorale américaine qui limitait ce droit depuis vingt ans. La décision – la plus attendue cette année à la Cour suprême – a fait l’effet d’une bombe aux Etats-Unis où des élections législatives sont prévues en novembre 2010.

Le président américain Barack Obama a dénoncé  » l’irruption brutale » de l’argent des groupes de pression dans les campagnes électorales que représentait cette décision. « Nous étudions la décision », a déclaré le président, dont l’administration avait plaidé contre une modification de la loi. La plus haute juridiction des Etats-Unis a renversé une règle, qui prévalait depuis deux décennies, interdisant aux entreprises privées de puiser directement dans leur trésorerie pour financer des spots électoraux en faveur ou en défaveur d’un candidat.

« Les entreprises n’ont pas une pensée unique »

Elle l’a fait au nom du premier amendement de la constitution qui érige depuis plus de 200 ans la liberté d’expression au premier rang des valeurs des Etats-Unis d’Amérique. « Quand le gouvernement essaie d’utiliser son pouvoir (…) pour décider où quelqu’un peut obtenir une information, ou à quelle source il ne peut avoir accès, il recourt à la censure pour contrôler la pensée », a estimé la Cour, qui s’est prononcée par cinq voix contre quatre pour cette analyse. « Les entreprises, comme les individus, n’ont pas une pensée unique », a-t-elle ajouté. « Nous ne trouvons aucune base à l’affirmation selon laquelle, quand il s’agit de politique, le gouvernement pourrait imposer des restrictions à certains », a constaté la Cour, « l’histoire et la logique nous permettent d’arriver à cette conclusion ».

En 2010, une précédente décision de la Cour suprême avait établi que les sociétés privées ne pouvaient débloquer des fonds qu’au moyen d’un « comité d’action politique », une association spécialement consacrée et créée à cette seule fin. Les actionnaires qui le souhaitaient pouvaient y verser de l’argent. Contre l’avis de l’administration Obama, qui défendait l’ancienne loi électorale, les sages ont également estimé que cette levée des limites de financement par les entreprises n’offrait pas un risque accru de corruption.

Décision à l’encontre « du bon sens du peuple américain »

Dans un argumentaire presque deux fois plus long que celui de la majorité, les quatre juges – progressistes – qui ont voté contre affirment que la décision va à l’encontre du « bon sens du peuple américain (…) qui s’est battu contre la possibilité de corruption ». « Si la démocratie américaine est imparfaite, très peu de gens hors de la majorité de cette Cour penseraient que ses défauts comprennent la limite du financement de la politique par les sociétés privées », ont-ils affirmé. Ils se sont en revanche rangés à l’avis de la majorité pour confirmer l’obligation faite au financeur de faire apparaître son nom sur un spot électoral lorsque celui-ci n’a pas été conçu par le candidat ou son parti.

A l’origine de l’affaire, un documentaire intitulé « Hillary: le film », complètement à charge contre celle qui était alors candidate à l’investiture démocrate à la Maison Blanche en 2008. Son producteur, l’association Citizens United voulait le diffuser sur une chaîne câblée de vidéo à la demande, et pour cela avait tourné de courts spots de publicité pour le film, donc contre Mme Clinton. Le gouvernement américain avait porté l’affaire devant la justice, arguant que la loi électorale interdisait le financement d’une campagne ouvertement pour ou contre un candidat par les sociétés privées, quand elles le faisaient sur leurs fonds propres. (AFP-21.01.2010.)







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