“Les pieds-noirs resteront, malgré tout, des Algériens”
3 02 2010* a déclaré Yasmina Khadra lors d’un hommage rendu à Albert Camus
La participation de Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, à l’hommage rendu à Albert Camus samedi dernier (30.01.2010.) au centre Pompidou de Paris, n’est pas passé inaperçue. Ne cachant pas son admiration pour l’auteur de la Peste, le directeur du Centre culturel algérien a fait des déclarations “tranchantes”. Il déclara que “Camus mérite d’être au Panthéon… Sur sa lancée, il n’a pas hésité à affirmer que l’enfant de Dréan (ex-Mondovi) était “le seul prix Nobel algérien” !
Mieux encore, Yasmina Khadra lança, devant une assistance visiblement ravie, un autre “projectile”. En soutenant que “les pieds-noirs resteront, malgré tout, des Algériens”, il est entré dans un discours qui ne peut laisser indifférent….
L’écrivain directeur s’est également distingué par son silence. Présent à la tribune, David Camus, petit-fils du prix Nobel 1957 et également écrivain, est revenu sur ce qui s’est passé lors de la guerre d’Algérie.
Il a commencé par remettre en cause l’authenticité de la fameuse phrase de son aïeul sur la justice et sa mère (Albert Camus avait déclaré en 1957 “entre la justice et ma mère, je choisis ma mère”, ce qui avait suscité une grande polémique). À propos de la guerre d’indépendance, le descendant de l’“Algérien” déclara : “Nous devons condamner le terrorisme pratiqué par le FLN.”(…)Il faut ajouter que Yasmina Khadra n’a pas raté l’occasion d’épingler les “responsables” algériens. En voulant expliquer les critiques subies par le défunt écrivain, il dira qu’“ils (les responsables) n’ont pas compris Camus”. Au passage, il n’omettra pas de lâcher : “Chez-nous, on conteste la réussite.”….Toutefois, l’auteur de l’Attentat a mis un bémol à son enthousiasme “camusien”. Il a ainsi critiqué l’écrivain français. Il lui reprocha de ne pas avoir donné de “dimension héroïque” à “l’Arabe” après avoir souligné que “j’ai boudé” l’Étranger (roman de Camus paru en 1942, ndlr) comme tous les Algériens qui se respectent”. (source: Liberté-02.02.2010.)
****L’OLYMPE DES INFORTUNES DE YASMINA KHADRA
Raconter son pays n’est pas dévalorisant
Ici les dieux déchus et anonymes de Yasmina Khadra font leur résidence dans le paradis improbable de leur songe.
En publiant L’Olympe des Infortunes (*), Yasmina Khadra se donne, à la fois, une raison de revenir sur son pays qu’il aime de toutes ses fibres et qu’il connaît le mieux, et la verve de ceux qui ont le bon sens, le bon sens paysan de chez nous. Car, historiquement, sociologiquement, traditionnellement, chez nous, le malheur réveille la générosité spontanée, plus que la compassion ou la solidarité des bonnes gens, tandis qu’à notre époque dite moderne, hélas! il semble que l’on favorise le choc des civilisations, non le dialogue des civilisations. Aussi est-il important pour tout écrivain, dont la conscience s’ouvre à la conscience de l’humain, de dire l’homme en quelque lieu qu’il se trouve et de dénoncer toutes les ségrégations qu’il subit, y compris l’intellectuelle. C’est ainsi qu’après avoir écrit, sur des pays en proie au désespoir, des livres comme Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat, Les Sirènes de Bagdad, Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra s’interroge sur la marche de la société mondiale dont l’impotence est manifeste, aggravant inexorablement sa décadence: comment va le monde et où va le monde.
L’Olympe des Infortunes pourrait apparaître pour le simple lecteur comme une fable moralisatrice avec quelques idées philosophiques ou comme une forte parabole de la comédie humaine. Mais ici, me semble-t-il, la réalité développe la fiction et la fiction conforte la réalité. Avec ce «roman», nous sommes d’une certaine manière en plein dans ce qu’aucun auteur algérien n’a encore dit de son pays, quelque chose qui suscite aussi bien un intérêt sociologique immense (voire citoyen) qu’une admiration pour un talent authentique débridé parce que sincère et complètement enraciné dans sa Terre Maternelle. Certes, raconter son pays n’est pas dévalorisant, mais tout dépend, comme c’est le cas ici, de la qualité de la pédagogie appliquée et de la pertinence du propos. Je crois beaucoup, par le temps qui court, à l’action pédagogique pour éveiller les consciences endormies par les discours soporifiques des clercs en mal d’ambition. Voici donc un thème universel subtilement développé en un drame qui se joue à la surface de la Terre des Hommes. De quoi s’agit-il?
Un peuple – au sens de populus – habite un vague territoire sur lequel s’élève une montagne d’immondices, déchets des richesses de la société voisine en déliquescence. Ce peuple constitue une communauté sociale unie par des liens divers et multiples. Mais, réduite à l’infortune, cette communauté prend conscience de l’Absurde de la vie. Un groupe d’êtres humains, des miséreux, des laissés-pour-compte, des parias, des vagabonds, des clochards (et quoi encore d’autres?), se trouvent exilés (ou se sont exilés), face à la mer infinie, la mer aux mille horizons où, peut-être, que de rêves, les solitaires pourraient réaliser! Chacun d’eux est un personnage d’un royaume fantastique et y tient son rang imposé dans la hiérarchie de cette société de va-nu-pieds. Une foule, hors du temps et de l’espace, s’y anime. Il y a des anges et des monstres, des braves et des couards, ceux qui sont nés pour commander, ceux qui sont nés pour être commandés, des poètes et des spirituels, certains fouillent dans les poubelles,…c’est-à-dire une tribu étrange, formée d’étranges individus conçus pour être tous les acteurs d’une histoire vraie: oui même une fable sociale à laquelle on ne croit pas, on ne peut croire, mais que l’actualité, de son plein phare lumineux et brûlant, nous met crûment sous les yeux. Tout devient ombre de corps déformé, sans gloire possible, sauf dans une étourdissante projection d’un réalisme psychologique rare que seule l’imagination transcende en type humain revivant l’humanité disparue et capable d’envisager le futur. Les personnages d’une action qui se déroule en un seul lieu comme dans la tragédie classique française, s’ébauchent dans des situations extraordinairement pathétiques souvent, lyriques parfois, ambiguës la plupart du temps, humaines toujours, et tout leur intérieur, leur fond, l’essentiel de leur réalité, noyés constamment dans l’alcool, – et sans doute dans l’oubli philosophique. Ils s’appartiennent à eux-mêmes, chacun conservant les marques de son individualité singulière; ils constituent la tribu des «Horr», des hommes libres, échappés à tous les pouvoirs. Ce sont des marginaux, si j’ose dire, exemplaires, vivant loin de la ville et de sa civilisation qu’ils ne sentent pas dans leur coeur. Vision de ceux qui, assumant les conditions de leurs tourments avec la fortitude requise, nient tout ce qu’ils ne conçoivent pas librement, sont éternellement insatisfaits, fuient les barbares et leur civilisation rétrograde. Chaque modèle de personnage est une force exceptionnelle; il est créé pour participer à un jeu dramatique universel. L’image pitoyable de chacun d’eux concourt à la vérité d’existence de l’ensemble du groupe: des cas douloureux, des plaintes émouvantes, des volontés rebelles, des intelligences de talent, tous victimes de la destinée se dressant avec éloquence pour se dire et dire une civilisation sous influence morbide. Le gros de ce peuple se moque de la civilisation d’à-côté, il refuse d’y retourner; il rêve de ne plus y retourner; il rêve d’une utopie transcendantale où l’on ne renonce ni à la poésie ni à l’existence et où l’on ne croise jamais l’enfer sur son chemin de liberté. Or, en fait, ces protagonistes vivent en vase clos, un enfer à leur mesure, ce qui les rend sympathiques, cocasses, truculents, plus d’une fois, et assurément séduisants par bien des aspects. Alors voici quelques personnages qui se débattent dans la solitude du vivre où tous les coups sont permis, sans honte ni regret, complètement fermés sur eux-mêmes, chacun pour soi et sans partage de la Bonne Fortune, même si elle est imaginaire. Il y a, comme dans tout pays souverain, un Chef, ici c’est le Pacha et sa cour qui ne dessoûlent pas. Il y a les deux occupants d’un ancien fourgon de police abandonné: le philosophe Ach le Borgne (appelé aussi «le Musicien», il joue du banjo et fait chanter la lune) et son «souffre-douleur», son cohabitant Junior le Simplet que la Ville attire. Il y a les deux fins rôdeurs Bess le Solitaire avec son chien, Haroun qui fait le sourd pour n’écouter personne, l’énigmatique Mama la Fantomatique et son soûlard de compagnon dont le lien est flou (est-ce son père, son frère ou même son fils?), et bien d’autres personnages aussi obscurs qu’attachants. J’imagine bien le bonheur de Yasmina Khadra à l’instant de faire le portrait de ses personnages, de leur donner une âme et de les faire agir. Ah! quelle vivacité de langage ou plutôt de l’à-propos émaillé de riches proverbes, de répliques mordantes chez ses personnages de grand théâtre populaire! En voici un échantillon: «L’argent est la plus vilaine vacherie.», «Un bon Dieu, c’est comme un préposé aux postes. Si on le charge tout le temps, il finit par péter un câble.». Et ce dialogue entre Ach et Junior? «- Qu’est-ce qu’un Horr, Junior? – Un clodo qui se respecte, Ach. – Il marche comment, un Horr,
Junior? – Il marche la tête haute, Ach. – Et toi, comment tu marches, Junior? – Je marche la tête haute. – Parce que tu as choisi de vivre parmi nous. C’est-à-dire: Ici… Dans notre patrie. Où pas une bannière ne nous cache l’horizon. Où pas un slogan ne nous met au pas. Où pas un couvre-feu ne nous oblige à éteindre le feu de notre bivouac à des heures fixes. D’ailleurs, il n’y a pas d’heures chez nous. (p. 20)» Ainsi, Yasmina Khadra revient spécialement à son pays, si tant est qu’il l’ait vraiment quitté, un jour. Il s’y arrête donc librement, afin de poursuivre son aventure littéraire, c’est-à-dire pour essayer de raconter son pays en toute conscience. La parabole qu’il nous propose dans L’Olympe des Infortunes nous incite à la réflexion et nous invite à nous «revoir», et peut-être le travail que nous ferions sur nous-mêmes, nous aiderait-il à nous rencontrer enfin avec nous-mêmes pour une existence humaine, et pourquoi pas hautement poétique. Le talent de conteur de Yasmina Khadra rejoint celui de notre merveilleux meddâh au temps de nos derniers meddâd-ha qui apparaissaient et devinaient nos angoisses et nos espérances et nous aidaient à comprendre et à aimer. Rien des profondeurs de ce drame évoqué dans L’Olympe des Infortunes ne doit échapper à nos regards intelligents. (L’Expression-03.02.2010.)
(*) L’OLYMPE DES INFORTUNES de Yasmina Khadra, Éditions Julliard, Paris, 2010, 232 pages.
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**Albert Camus et le drame algérien
L’homme qui écrivit « Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros boulons dans les amas de pierre »(1), Albert Camus venait de succomber, le 4 janvier 1960, dans un effroyable accident de voiture dans le sud de la France. Il n’avait que 46 ans, trop jeune pour que son destin prenne fin aussi brutalement. Il mourait et laissait son pays, l’Algérie, en guerre.
Je ne peux m’empêcher de me demander quelle aurait été sa réaction s’il avait connu les conflits qui ont suivi ? Quelle aurait été son approche du conflit israélo-palestinien ? Ou du conflit sahraoui ? Plus récemment, qu’aurait-il écrit suite à l’échec de la conférence de Copenhague ? Et qu’aurait-il pensé de l’élection d’Obama ? Tant de sujets où son propos et son analyse aurait été précieux.
*Camus et l’Algérie
Il est parfois bizarre, et combien injuste dans la trajectoire d’une vie, de ne retenir que les derniers gestes, les dernières paroles qui scellent à jamais le parcours, aussi immense soit-il, d’une personne ; et c’est bien là toute la tragédie camusienne avec son pays. Car, la dernière parole de Camus fut bien pour l’Algérie sur la justice et sur sa mère. Des mots qu’il a prononcés lorsqu’il reçut à Stockholm le prix Nobel en 1957 : « Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice ». Bien sûr, on a tenté d’en analyser la sémantique, de ne pas extraire la phrase hors de son contexte, de trouver les termes expiatoires à son propos : l’écrivain, harcelé à ce moment-là par un militant algérien, excédé par ses questions, aurait tenu pareils propos qui ont échappé à son esprit et entraîné cette fatale erreur…
Cette phrase restera indélébile et fera sans nul doute une partie de sa légende. « J’étais certain que Camus dirait des conneries », déclara en privé Hubert Beuve-Méry, le directeur du Monde lorsqu’il commente son interview de Stockholm. Ces adversaires, ici ou ailleurs, n’ont pas manqué de l’anathématiser et ont involontairement alimenté les incertitudes d’un Camus plus que jamais tiraillé par une conscience universelle transcendante et immanente. Pour beaucoup, cette phrase fut pensée et je partage cet avis. En effet, on retrouve une fois dans une lettre parue dans Carnet : « Aucune cause, même si elle était restée innocente et juste, ne me désolidarisera jamais de ma mère, qui est la plus grande cause que je connaisse du monde. » S’il manquait donc une affirmation à son propos, il l’apporte ici de manière on ne peut plus claire.
Mais comment un homme qui a défendu toute sa vie les valeurs de justice, d’équité, de liberté et de combat contre toutes les oppressions nouvelles et anciennes, a-t-il vécu tout ça ? Heurté de face et avec force à tout ce qu’il a cru dans une Algérie en guerre et qui reflétait inconditionnellement les valeurs-mêmes qu’il encensait. Certes, la justice est une vertu divine ; et quand bien même nous essayons – les hommes – de la rendre, elle n’est que l’expression de nos pensées collectives du moment, du temps et de l’espace où nous évoluons. On peut se révolter contre l’oppression, mais ce serait une entreprise absurde de ne pas aller plus loin en analysant les instruments et méthodes qui ont engendré cette dérive de l’homme, que nous devons comprendre pour mieux combattre. Camus avait compris la misère des Algériens qu’il a si bien décrit dans ses onze chroniques parues dans Alger Républicain « Alger Républicain ne sait pas tout, mais tout ce qu’il sait, il le dit », il avait fait sienne cette devise du quotidien Alger Républicain et lancé une série de reportages sur la Kabylie où il rapporte pour la première fois dans la presse l’état endémique de misère que connaît la population musulmane.
« Dans la région de Sidi Aïch, 60% des habitants sont indigents. Dans le village d’EI Flay, au-dessus de centre de Sidi Aïch, on cite et on montre des familles qui restent souvent deux et trois jours sans manger. » Il fut le premier journaliste qui mit à nu le système colonial qui avait spolié et réduit à la misère tout un peuple. La valeur de ses écrits avaient poussé La Dépêche d’Alger et L’Echo d’Alger, deux journaux acquis à l’administration coloniale, à mener une contre-enquête, inutile à décrire ici. Camus espérait que ses reportages réveilleraient les consciences : « Qu’ajouterai-je à tous ces faits ? Qu’on le lise bien. Qu’on place derrière chacun d’eux la vie d’attente et de désespoir qu’ils figurent. Si on les trouve naturels, alors qu’on le dise, mais qu’on agisse si on les trouve révoltants et si enfin, on les trouve incroyables, je demande qu’on aille sur place. »(2) Est-il juste donc de le considérer comme un militant de l’Algérie Française ? Lui qui avait quitté le parti communiste pour protester contre ses dirigeants qui collaboraient avec l’administration coloniale et dénoncer les militants nationalistes…
« Ceux qui parlent au nom des Français d’Algérie refusent de reconnaître que le peuple arabe vivait sans avenir et dans l’humiliation. Mais c’est qu’ils refusent inconsciemment de considérer ce peuple comme une personne. »(3)
Néanmoins, il ne sut pas déceler, au-delà du sentiment social, la profonde aspiration nationaliste et indépendantiste des Algériens. L’humanisme et la compassion de Camus s’étofferont dans un lyrisme solidaire qui, projeté dans la réalité coloniale, s’avouera creux de consistance et tragique en démesure. Sa tentative de trêve civile en 1956 avait regroupé des militants sincères d’une Algérie fraternelle : Emanuel Roblès, Ferhat Abbas, Amar Ouzegane et Jean de Maisonseul. « Si je me sens plus près, par exemple, d’un paysan arabe, d’un berger kabyle, que d’un commerçant de nos villes du Nord, c’est qu’un même ciel, une antre impérieuse, la communauté des destins ont été plus forts, pour beaucoup d’entre nous, que les barrières naturelles ou les fossés artificiels entretenus par le colonialisme. » (3)
Tout à ses yeux pouvait encore être possible dans une Algérie qui ne se résignait pas à la déchirure et l’éclatement, mais il avait prêché par naïveté. Des centaines de manifestants pro-Algérie Française avaient détruit tout espoir. « Des pierres venaient frapper les fenêtres et il fallut en hâte rabattre les volets. La tension montait dans la salle surchauffée. Je ne regardais plus que Camus et je le voyais blêmir. » C’est la description que fait Charles Poncet du meeting du 21 janvier 1956. « Camus traître », « Algérie française », voilà ce que scandaient les « siens ».
L’Algérie était un empire d’illusions pour les « siens » et un monde d’injustice pour les « nôtres ». La pensée de Camus se diffracte, son discours ne convainc plus — même si au demeurant il n’a jamais rassemblé —, la voix dissonante des partisans de l’Algérie française finit par annihiler tout espoir de paix juste. Le peuple algérien a répondu aux années de « cette violente répression par la violence de sa révolte ». Quelques mois plus tard, Ferhat Abbas rejoignit le FLN et devint le premier président du GPRA et sûrement un des dirigeants les plus valeureux de l’Algérie post-indépendance, Amar Ouzegane monta au maquis et Jean de Maisonseul fut arrêté et jugé ; il devait, après l’indépendance, être le premier conservateur du musée des Beaux-Arts d’Alger et directeur de l’Institut d’Urbanisme d’Alger.
Depuis, il s’impose le silence, un silence assourdissant au moment où d’autres (Sartre, Jeanson, Germaine Tillon), au nom des valeurs de la France, dénoncent toutes les exactions de l’armée coloniale. Il manque certainement le rendez-vous de l’histoire avec les « hommes justes », mais à sa manière, il rentre justement dans l’histoire. Par la suite, les événements furent encore plus douloureux. La folie criminelle et meurtrière de l’OAS a fini par entraîner l’exil de toute la population pied-noir d’Algérie.
« Depuis trente ans, en effet, nous avons beaucoup promis au peuple arabe et nous n’avons à peu près rien tenu. A l’époque du projet Blum-Violette, en 1936, les Ouléma, aujourd’hui nationalistes, avaient comme revendication extrême l’assimilation … La réaction des Français d’Algérie fut alors si puissante que le projet ne vint même pas devant les Chambres. Ce jour-là, l’Algérie perdit sa meilleure chance. »(3) Quelles que soient la race, la confession ou la couleur de peau, un colonisateur n’a aucune identité, il est simplement colon, il n’existe pas de « colonisateur humaniste ». Camus restera aveugle à la plus grande épopée de ce XXe siècle, la libération des peuples colonisés.
*Camus et L’Étranger
L’Étranger a fait à lui seul la notoriété de Camus. Des dizaines de colloques, d’expertise psychanalytique et d’approches sociologiques ont été faits au sujet de l’œuvre. Que doit-on en fait reprocher à Meursault ? De n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère ou d’avoir tiré, tiré et tiré encore, pour tuer certainement l’Arabe. Cet Arabe qui n’était coupable de rien. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il l’avait tué, Meursault répondit que c’était à cause du « coup de soleil ». Kateb Yacine n’a pas manqué de relever que « le seul livre où Camus met en scène un Algérien, celui-ci n’arrive pas à vivre : il est tué … à cause d’un coup de soleil, gratuitement, le personnage disparaît, et c’est toujours Camus qui est sur la scène » à la différence d’Emmanuel Roblès et de Jules Roy, Camus n’avait jamais, dans ses écrits ou romans, mis en scène l’Algérien, donnant aux Algériens une véritable place dans ses œuvres, si ce n’est ce pauvre Arabe mort au bord de la plage sans raison, seulement parce qu’il était Arabe, innocent et même pas suspect aux yeux de son meurtrier. Il est mort parce qu’il était Arabe et qu’il était là.
L’Étranger est la face littéraire, subliminale du colonialisme. Le crime colonial est à la fois l’âme et le subconscient de cette œuvre que l’on ne peut voir que sous ce prisme pathétique autrement complice. J’ai été terrassé d’une frayeur dysphorique par la cruauté de la narration. Ce roman est, à mes yeux, l’œuvre magistrale d’Albert Camus l’Algérien. A ce jour, aucun autre livre ne m’a fait pareille impression. Je l’avais lu d’une seul traite lors d’une journée d’automne à Alger où toutes les saisons se ressemblent, le soleil n’étant pas avare dans notre pays. Tout vous rend mal à l’aise quand on lit ce livre. Très vite, on s’aperçoit qu’un drame inexorable va arriver, qu’une tragédie sans pareil se dessine dans un décor pas du tout étranger, ni à l’auteur ni à son héros. « Meursault, écrit Brian T. Fitch, se sent séparé des autres par un gouffre infranchissable et ce gouffre est d’un ordre ontologique. Il est étranger à toute conscience humaine autre que la sienne propre et son univers est celui de l’homme voué à la solitude et pour qui toute communication avec autrui est impossible. »
Le discours de Camus au travers de Meursault n’exprime aucune culpabilité et encore moins d’indignation, comme si l’épisode de la plage était juste une parenthèse dans l’univers tourmenté d’une société coloniale absoute de toute responsabilité. C’est ce langage sans émoi qui met à nu cette vérité intacte. De plus, Meursault apparaît sans excès. Il est au procès – et non pas à son procès – d’une indécente insensibilité, indifférent, étranger, arborant une neutralité hallucinante à ce qui se passe et à ce qui s’est passé. Lors du procès, le concierge représentant la société des normalités esquisse une pointe d’autocritique, voire d’auto-condamnation à Meursault : « Il a dit que je n’avais pas voulu voir maman, que j’avais fumé, que j’avais dormi et que j’avais pris du café au lait. J’ai senti alors quelque chose qui soulevait toute la salle et, pour la première fois, j’ai compris que j’étais coupable. » Il avait compris qu’il était coupable, mais pas senti qu’il l’était.
Nous sommes toujours sur le volet de la socialisation et non de la personnalisation de l’acte de Meursault et, au même moment, on ne déroge pas à la règle de la société coloniale bien présente et bien pensante. L’Arabe n’existe pas, ni dans l’intériorité ni dans la perceptibilité « (. . .) Entre les personnages dont il parle et le lecteur, Camus va intercaler une cloison vitrée. Qu’y a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? Il semble qu’elle laisse tout passer, elle n’arrête qu’une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de L’Etranger. C’est bien, en effet, une transparence : nous voyons tout ce qu’elle voit. Seulement, on l’a construite de telle sorte qu’elle soit transparente aux choses et opaque aux significations », écrit Jean Paul Sartre, dans Critiques littéraires sur l’Etranger.
Meursault, doublé par la voix de Camus, n’est pas le purgatoire d’une Algérie française. Ce n’est pas non plus une personne dénuée d’esprit d’analyse. Lorsqu’il parle, on a souvent l’impression qu’il veut en dire plus, mais pris d’un doute sur ce qu’il est, il préfère se taire. Il est terriblement traversé par des contradictions qui viennent s’abattre sur un mur de certitude. Il s’interdit de privilégier l’avenir au détriment du présent et la raison au détriment des sentiments. « Il n’était même pas sûr d’être en vie, puisqu’il vivait comme un mort. »
Par
(A suivre)Dr N. B. : Chirurgien
Notes de renvoi :
1- Noces édité chez Gallimard, écrit en 1937 et paru en 1939 comprend : Noces à Tipasa, Le Vent de Djemila, Le Désert, L’Eté à Alger.
2- Actuelles III chronique algérienne 1939
3- L’Express 9 juillet 1955.
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