L’islam gagne du terrain au Brésil
6022010Après les attentats du 11 septembre 2001 et sous l’impulsion d’une « telenovela », les conversions se sont multipliées dans les périphéries urbaines du pays.
Prière dans une mosquée de Sao Paulo, en 2001.
Cinq fois par jour, Rosangela cherche la direction de La Mecque dans son petit appartement de Vila Ferreira, un quartier pauvre de Sao Bernardo do Campo, une ville industrielle située à quelques kilomètres de Sao Paulo. À 45 ans, sa vie est rythmée par l’islam, qu’elle a embrassé au début des années 1990. Voilée, vêtue d’une longue tunique, Rosangela assure l’accueil au Centre de divulgation de l’islam pour l’Amérique latine. «Je donne aussi des cours sur le Coran», précise-t-elle, soucieuse qu’on ne la prenne pas pour une simple hôtesse.
Converser avec Rosangela n’est pas facile : elle s’interrompt toutes les cinq minutes pour répondre au téléphone ou renseigner des visiteurs sur les conférences du cheikh Jihad Hassan Hammadeh, le directeur du Centre. «La demande de corans en portugais est telle que mon stock est épuisé, assure-t-elle . Alors, en attendant d’être réapprovisionnée, je donne des versions espagnoles.»
Premier pays catholique du monde, le Brésil connaît depuis une décennie une croissance importante de l’islam. «Il est impossible de savoir combien le pays compte de musulmans, puisqu’ils sont enregistrés dans la catégorie “autres”, mais on estime qu’il y en a environ un million», indique Paulo da Rocha Pinto, professeur à l’université Fluminense.
Pour lui, le meilleur indicateur de l’expansion de cette religion est la multiplication du nombre de lieux de culte. Malgré l’arrivée dès le début du XXe siècle de vagues de musulmans, syriens, libanais et palestiniens en majorité – on les appelle au Brésil les «Turcos» en référence à la tutelle qu’exerçait à l’époque l’Empire ottoman -, la première mosquée n’a été inaugurée qu’en 1960. La construction de lieux de culte n’a véritablement commencé qu’à partir des années 1980 et s’est accélérée au début des années 2000.
Au départ de cet emballement, les attentats du 11 septembre 2001. «Certains voulaient en savoir plus sur ce peuple capable de faire trembler l’empire américain, d’autres doutaient de ce que racontait la presse, relate Rosangela. En venant ici, ils ont vu que l’islam n’avait rien à voir avec la haine et progres-sivement certains sont devenus musulmans.»
Le mouvement de conversion à l’islam a toujours existé au Brésil, malgré un très faible prosélytisme. «En général, c’était lié à une amitié, un mariage. Le 11 Septembre a augmenté la visibilité des musulmans et nourri la curiosité », dit Paulo da Rocha Pinto. À l’université, les cours sur le monde arabe et l’islam, autrefois exotiques, sont bondés. Ce regain d’intérêt a été constaté dans le monde entier. Mais au Brésil, l’engouement a été attisé par une spécificité locale : la telenovela. En octobre 2001, soit trois semaines après les attentats du World Trade Center, la chaîne Globo a lancé Le Clone. La série, située au Maroc, avait l’ambition de dépeindre le monde arabe et musulman. «C’était une coïncidence : le feuilleton était programmé depuis des mois», se souvient Francirosy Ferreira, spécialiste de l’islam à l’université de Sao Paulo.
Le succès est tel qu’il devient commun, dans les rues de Rio de Janeiro et de Sao Paulo, de se saluer par un «inch’Allah !». «Beaucoup de femmes envisageaient d’abandonner leur religion pour pouvoir épouser un “Saïd” , le héros musulman de la novela», raconte Francirosy en riant. Caricatural à souhait, le personnage est romantique, respectueux de sa femme, qu’il couvre d’or.
(…) . Rosangela, elle, est une convaincue. Sa conversion résulte d’une quête identitaire. Noire, pauvre, militante du Mouvement noir unifié (MNU) dès l’adolescence, elle n’a jamais trouvé ses repères spirituels dans sa famille catholique. «Jésus est toujours représenté en homme blanc. Qu’est-ce qu’ils en savent ? Tout le monde n’était pas blanc à Jérusalem !», assène-t-elle. Les premiers musulmans à s’installer au Brésil n’étaient pas des commerçants libanais et syriens, mais «les milliers d’esclaves déportés d’Afrique» rappelle Paulo Farah, qui dirige le Centre d’études arabes. Connus sous le nom de Malês et de Muçulmis, ils représentaient, selon les spécialistes, 15 % des esclaves. Entre 1807 et 1835, ils se révoltèrent à plusieurs reprises. La plus importante de ces révoltes, dite la Révolte des Malês, eut lieu à Salvador de Bahia, dans la nuit du 24 janvier 1835. «Les autorités l’effacèrent des livres d’histoire», remarque Paulo Farah. Elle donna lieu à une féroce répression et à une méfiance durable à l’égard de l’islam.
C’est cet héritage que revendique le rappeur Honerê al-Amin Oadq, une star du hip-hop à Sao Paulo. Honerê al-Amin Oadq, 32 ans, s’appelait auparavant Carlos Soares Correia. «J’ai choisi le hip-hop pour dénoncer le génocide dont sont victimes les jeunes Noirs au Brésil et montrer que nous pouvons aussi représenter des valeurs positives», explique-t-il. En tombant sur la Révolte des Malês, qu’il qualifie d’«Intifada noire», il trouve une source d’inspiration. Le film Malcolm X et la fascination exercée par le boxeur Mohammed Ali (né Cassius Clay) feront le reste.
Un quart des musiciens de son groupe baptisé le «Posse Hausa», en référence à un autre soulèvement d’esclaves musulmans au XIXe siècle, s’est converti à l’islam. Les autres, précise le jeune homme, «ont opté pour notre mode de vie : ils ne boivent pas, ne fument pas, respectent les femmes et aident leur communauté». L’islam a ainsi sauvé, selon lui, des dizaines de ses amis de l’alcool, la drogue et la prison.
L’introduction de l’islam dans les périphéries est en train de changer le visage d’une religion auparavant identifiée avec les descendants d’Arabes appartenant souvent à une classe sociale élevée. Pour Paulo Farah, «le message d’égalité raciale et de justice sociale de l’islam connaît un important succès au sein des communautés les plus pauvres, en particulier auprès des jeunes qui souffrent du racisme et des violences policières».
La motivation de ceux qui optent pour l’islam n’est pas la même que celle qui pousse vers les Églises évangéliques ou des religions afro-brésiliennes, comme le candomblé, estime Paulo da Rocha Pinto. «En général, les nouveaux convertis ont approché auparavant d’autres confessions. Avec l’islam, ils découvrent une religion plus ouverte sur le monde.» L’universitaire réfute toute dérive politique violente : «Il y a une solidarité avec les peuples palestinien, irakien ou libanais, mais ce n’est pas une identification. Ce qui compte, c’est que l’islam se présente comme une idéologie tiers-mondiste, semblable à celle qu’on pouvait trouver dans la théorie de la libération latino-américaine avant que l’Église catholique décide de freiner son expansion.»
L’absence d’une rhétorique revancharde s’explique aussi par la politique de l’État brésilien, qui refuse d’identifier les musulmans comme une population à part. Au lendemain des attentats du 11 Septembre, le département d’État américain avait demandé aux gouvernements paraguayen et brésilien de regarder de près les communautés musulmanes, en arguant qu’elles pouvaient abriter des foyers de terrorisme.
Le Paraguay s’était exécuté avec zèle. Des commerçants musulmans de Ciudad del Este avaient été emprisonnés, certains avaient même été torturés. Le Brésil en revanche avait répondu qu’il défendrait tous les citoyens brésiliens contre des ingérences étrangères.
L’islamophobie n’est pas absente pour autant du Brésil. Certaines publications évangéliques en font une description alarmiste et la population continue à percevoir cette religion comme «étrangère». Rosangela a toujours en permanence un voile de rechange dans son sac, en cas d’agression.
Mais paradoxalement, pour le cheikh Jihad, c’est la telenovela qui a le plus contribué à faire accepter l’islam. Lorsque des adeptes venaient le voir à la mosquée pour protester contre l’image caricaturale du feuilleton, il leur répondait qu’il en était ravi : «Avant, nous avions une image d’extraterrestres ou de terroristes. Maintenant, nous sommes perçus comme des gens qui adorent la fête et la danse. Vous préférez quoi ?» (Le Figaro-05.02.2010.)
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