La première députée voilée d’Europe
11022010
INTERVIEW – Il y a huit mois, Mahinur Özdemir devenait la première députée voilée d’Europe en accédant au Parlement régional de Bruxelles. Même si elle déplore encore des «amalgames» avec l’islam, elle constate un léger «changement des mentalités» depuis sa prise de fonction.
«Etre pionnier, c’est toujours difficile» estime Mahinur Özdemir .
INTERVIEW
Le 7 juin 2009, Mahinur Özdemir devient la première députée voilée d’Europe (hormis une élue espagnole de la ville autonome de Ceuta). La jeune femme de 27 ans, d’origine turque, dit porter le voile islamique de sa propre initiative depuis l’âge de 14 ans. Son élection sur la liste du CDH (Centre démocrate humaniste), un parti centriste d’inspiration chrétienne, suscite alors une certaine émotion en Belgique. Même dans un Etat qui se dit «neutre», à défaut d’être laïc. Contrairement à la France, le principe de laïcité n’est, en effet, pas explicitement reconnu dans la Constitution belge.Cette neutralité se concrétise par la reconnaissance de certaines religions et s’accompagne notamment du financement du culte et de l’organisation de cours dans les écoles. Dans ce contexte particulier et huit mois après son élection, Mahinur Özdemir nous fait part de son expérience.
Lefigaro.fr : Peut-on porter le voile et exercer une fonction politique ?
Mahinur Özdemir : Bien sûr. Le contraire serait un déni de démocratie. Imaginez-vous, si on avait tous la même tête et le même uniforme pour aller voter… Il faut de la diversité ! En revanche, une fois qu’on est élu, il ne faut pas favoriser telle ou telle communauté. Je me considère comme «politiquement laïque».
C’est-à-dire ?
La religion fait partie de ma sphère privée. Quand je travaille, j’en fais complètement abstraction, je n’en parle pas. Par exemple, un jour, un député de l’opposition m’a interpellée dans l’hémicycle sur un verset du Coran supposé démontrer l’inégalité entre l’homme et la femme. Je lui ai répondu que nous pourrions en débattre en privé, mais que ce n’était ni le lieu ni le moment d’évoquer cette question.
*Vous dites que la religion fait partie de votre vie privée, mais vous l’affichez au reste du monde en portant le voile ?
On ne peut pas juger quelqu’un sur son simple aspect vestimentaire. Tout se joue dans la tête des gens et j’espère être jugée sur mon action politique.
* Mais n’êtes-vous pas censée représenter tout le monde, en étant élue par le peuple ?
Un parlementaire ne peut pas représenter la nation à lui seul. C’est le Parlement dans son ensemble qui est censé le faire. Moi, il y a plein de parlementaires de mon pays dans lesquels je ne me reconnais pas. Et à l’inverse, j’aimerais parfois représenter autre chose que les femmes voilées. Il faut faire attention de ne pas mettre les gens dans des cases.
* Depuis votre élection, avez-vous constaté une évolution dans l’attitude des gens à votre égard ?
Etre pionnier est toujours difficile. Je crois qu’un changement des mentalités s’opère doucement. Des détracteurs, c’est vrai, il y en a toujours. J’ai reçu beaucoup de messages racistes, haineux. Ce que je trouve bien entendu inacceptable. Par ailleurs, le parti d’opposition manifeste une certaine hostilité à mon égard. En ne me disant pas bonjour, par exemple. Mais cela dit, je constate un léger mieux. Evidemment, j’ai la chance de pouvoir compter sur la sympathie de mes collègues.
* Comprenez-vous les craintes de vos détracteurs ?
Absolument. C’est normal qu’il y ait des craintes. Beaucoup de femmes qui n’ont pas accès à l’éducation n’ont pas le choix de porter le voile. Du coup les gens font des amalgames. Bien entendu, les femmes qui s’engagent en politique ne sont pas, elles, sous pression et si elles portent le voile, c’est qu’elles l’ont choisi. En fait, je dois faire face aux fantasmes de ceux qui ne connaissent pas l’islam et à qui cela fait peur d’un côté. De l’autre, je dois affronter des musulmans extrémistes qui pensent que mon élection est incompatible avec la charia.
* Pourquoi vous imposer tout cela finalement ?
Pour faire avancer la société. Parce que, à force de me voir sur le terrain, de me voir travailler, les gens finiront par ne plus assimiler l’islam au terrorisme. Si vous faites bien votre boulot, on ne vous stigmatise plus.(Le Figaro-09.02.2010.)
Catégories : Non classé
Commentaires récents