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Nicole Dreyfus, avocate des militants du FLN, est décédée

17022010

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Cette femme menue, qui a défendu des militants nationalistes et communistes algériens, était redoutée par les juges et les procureurs. Dans cette Algérie en guerre, en dépit des menaces de mort, elle n’a jamais cédé à la peur.

Nicole Dreyfus est décédée jeudi soir (11.02.2010.) dans un hôpital parisien. Elle avait quatre-vingt-six ans. Avocate, elle s’est distinguée par un engagement exceptionnel pour la cause de l’Algérie en guerre en assurant la défense des militants nationalistes et communistes algériens. C’est ainsi qu’en 1956, alors âgée de trente-deux ans, elle a fait partie du collectif de défense du Front de libération nationale (FLN). Cette année-là, en pleine « bataille d’Alger », alors que les paras du général Massu pratiquaient une « torture de masse » selon l’expression d’Henri Alleg, faisant disparaître des milliers de personnes – 25 000 morts et disparus en 1956-1957 –, Nicole Dreyfus se rendait à Alger pour assurer la défense de deux jeunes femmes, Baya Hocine et Djhor Akrou, membres de l’ALN (Armée de libération nationale), âgées de seize ans, accusées de terrorisme. Elles avaient été condamnées à mort « la veille de Noël […] en dépit de leur âge et en dépit de leur sexe », déclarait-elle dans un entretien à l’Humanité du 15 novembre 2000, avant que leur peine ne soit commuée en prison à perpétuité. Elle a surtout défendu des femmes comme Zohra Drif, dirigeante du FLN pendant la bataille d’Alger, la communiste Jacqueline Guerroudj, toutes deux condamnées à mort en premier appel. Safia Baaziz, devenue avocate, et plus tard sa collaboratrice. Et tant d’autres militantes nationalistes et communistes algériennes. Menacée de mort par l’extrême droite, Nicole Dreyfus n’a jamais cédé à la peur.

Nicole Dreyfus puisait la force de son engagement dans l’histoire de sa famille. Très attachée à son origine alsacienne, raconte Henri Alleg, lointaine cousine du capitaine Dreyfus, elle a été marquée par le racisme antisémite. Et de ce passé fait d’engagement pour l’indépendance algérienne qu’elle évoquait à chaque fois qu’elle y était invitée, un ami commun, ancien cadre du FLN, a vainement essayé de la persuader de le raconter par écrit pour les générations actuelles et à venir. C’était en juillet dernier, deux mois après son retour d’Algérie où elle avait participé à un colloque sur les massacres du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma. Elle n’en voyait pas l’utilité. « Ce n’est pas mon genre. Je n’ai fait que ce je devais faire comme l’ont fait d’autres avant moi dans d’autres circonstances tout aussi tragiques », répondait-elle. En 2000, Nicole Dreyfus s’engage de nouveau en signant avec onze autres personnalités françaises (Henri Alleg, Germaine Tillion, Josette Audin, Simone de Bollardière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Noël Favrelière, Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant et Laurent Schwartz) l’appel lancé le 31 octobre 2000, à l’initiative de l’Humanité, demandant au président Jacques Chirac et au premier ministre Lionel Jospin de condamner la torture pendant la guerre d’Algérie. Cet appel « a eu l’immense mérite de réveiller dans notre peuple ce qui était refoulé. Il a remis à l’ordre du jour des faits anciens, qui dormaient dans la conscience commune, en éveillant des réactions très salutaires. Il a constitué un véritable point d’ancrage pour l’indispensable travail de mémoire », assurait-elle dans les colonnes de l’Humanité. L’ANC sud-africaine, la défense des progressistes grecs sous la dictature des colonels, la Palestine et l’Irak sous occupation américaine ont fait aussi partie de son engagement. (L’Humanité-16.02.2010.)

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**Torture Guerre d’Algérie.

Torture. Nicole Dreyfus : l’appel vaut d’être entendu

Entretien avec l’une des signataires de l’appel contre la torture, qui fut l’avocate de nombreux résistants algériens.

Nicole Dreyfus a été l’avocate de militants du FLN, notamment de Baya Hocine et Djhor Akrou, membres de l’ALN (Armée de libération nationale), qui avaient toutes deux seize ans en 1957. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle explique le sens de l’appel qu’elle a signé avec d’autres personnalités, publié le 31 octobre dans les colonnes de l’Humanité. Nicole Dreyfus, qui a été secrétaire générale de l’Association française des juristes démocrates, a défendu aussi des militants de gauche en Grèce sous la dictature des colonels et en Espagne sous Franco. Dans les années quatre-vingt, elle a été membre, pendant cinq ans, du comité de libération conditionnelle auprès du ministre de la Justice sous le gouvernement Mauroy, puis sous le gouvernement Fabius. Elle a été aussi l’avocate de l’ANC en France, notamment à la suite de l’assassinat de Dulcie September à Paris.

Quand vous avez commencé à défendre les militants du FLN ?

Nicole Dreyfus. En 1956, j’avais trente-deux ans. Nous étions une quarantaine d’avocats à faire ce travail. Nous étions tous engagés politiquement. Il n’y avait pas de mystère. Chacun suivait les orientations qui étaient les siennes.

Comment cela était-il perçu en France ?

Nicole Dreyfus. Cela dépendait des milieux. Ceux de gauche trouvaient qu’on faisait une action utile. D’autres nous critiquaient vertement. Il est certain que le travail que nous avons effectué, même si la défense se faisait en vertu de principes généraux, n’était pas pour plaire à une partie de l’opinion.

C’est dans ces circonstances que vous avez été amenée à défendre Baya Hocine, qui avait seize ans à l’époque ?

Nicole Dreyfus. J’ai été l’un des avocats habituels du FLN et du PCA (Parti communiste algérien), et c’est dans ce cadre que j’ai été amenée à plaider ce qu’on appelle  » l’affaire du stade « , en fait celle de deux stades, car, au même moment, des bombes avaient éclaté au stade d’El Biar et au stade municipal d’Alger. La police avait réussi à arrêter les auteurs de ces faits, et notamment deux jeunes filles de seize ans – Baya Hocine et Djhor Akrou – qui s’étaient rendues avec deux jeunes gens, l’une à El Biar, l’autre au stade municipal. Les bombes avaient été déposées par leurs compagnons. Lorsque l’affaire est venue une première fois devant la cour d’assises des mineurs – elles échappaient à la compétence du tribunal militaire en raison de leur jeune âge -, c’était la veille de Noël. Elles ont été condamnées à mort.

En dépit de leur jeune âge ?

Nicole Dreyfus. Oui, en dépit de leur jeune âge et en dépit de leur sexe ! La Cour de cassation a cassé ce jugement et nous sommes revenus devant la cour d’assises d’Oran, qui, cette fois, les a condamnées aux travaux forcés à perpétuité. En clair, on savait à ce moment-là que, dès l’indépendance de l’Algérie acquise, elles seraient rendues à la vie civile. C’est ce qui s’est passé. Baya, malgré son âge, était quelqu’un qui avait à l’époque une personnalité assez forte…

Est-ce qu’elle a été torturée ?

Nicole Dreyfus. Non. Baya et Djhor n’ont pas été torturées parce que les garçons qui faisaient partie de cette équipe ont été identifiés grâce à une marque de teinturier qui figurait dans l’une des vestes où était entreposée l’une des bombes. Elles ont été certainement passées à tabac, mais pas plus, parce que l’évidence était là. On n’avait pas besoin de leur extorquer des aveux. On n’avait pas besoin de torturer ces deux jeunes filles, contrairement à ce qui s’est passé dans de très nombreux autres cas, y compris avec des femmes. J’ai défendu des dizaines d’autres personnes dont la plus grande partie a été soumise à la torture, notamment la torture par l’électricité, qui avait un très gros avantage, c’est qu’elle ne laissait pratiquement pas de traces…

Vous disiez que Baya avait une très forte personnalité…

Nicole Dreyfus. C’était quelqu’un de très attaché à l’indépendance de l’Algérie, quelqu’un qui, dans la vie, mesurait ce qu’elle faisait. En prison, elle a beaucoup souffert parce que, à seize ans, c’est une chose effrayante. Et, pour une enfant de seize ans, c’était particulièrement insupportable, et pas particulièrement agréable par la suite.

A-t-elle manifesté un regret pour son geste ?

Nicole Dreyfus. Non, elle était convaincue de la légitimité de son acte. La discussion est ouverte sur ce type d’action. Cela dit, elle était convaincue d’avoir agi pour son pays. Baya est morte en 2000, assez tragiquement, elle était mariée et avait trois enfants. Elle avait perdu un fils, ce qui l’avait beaucoup ébranlée. Elle est décédée le jour même où j’arrivais à Alger, invitée pour participer à un colloque sur le massacre du 8 mai 1945 à Sétif. Je l’ai appris dans l’avion en lisant un journal local, ce qui m’a évidemment beaucoup émue parce que je pensais la revoir.

J’imagine que défendre des  » terroristes  » à l’époque n’a pas été chose facile ?

Nicole Dreyfus. Le plus dur a été la défense des garçons devant le tribunal militaire, qui les a condamnés à mort, et qui ont été guillotinés. Ce que je peux vous dire, c’est que quand nous sommes arrivés à l’audience, la foule a crié  » À mort !  » quand je me suis levée. Et cet  » À mort !  » était aussi bien destiné aux prévenus qu’à leurs défenseurs. J’ai répondu que les droits de la défense étaient imprescriptibles et que cette attitude était scandaleuse. À la fin de l’audience, le président du tribunal a mis à ma disposition sa voiture personnelle pour me ramener à mon hôtel. Et je peux dire qu’il n’avait pas pour moi une particulière tendresse…

Dans le débat qui a eu lieu à la Fête de l’Humanité, vous avez déclaré que l’État français devait adopter la même démarche qu’à propos de Vichy. Est-ce que vous maintenez cette position ?

Nicole Dreyfus. C’est le sens de l’appel que nous avons signé. Et on peut même dire que c’est le sens de la réaction du premier ministre. J’en étais particulièrement satisfaite, parce que ce n’est pas la première fois que les plus hautes autorités de l’État étaient saisies pour l’une ou l’autre raison. La réaction de Lionel Jospin a été extrêmement rapide et favorable. Je pense que cet appel a été rédigé de façon précise – ce qui est évidemment un plus – et que les gens qui l’ont signé sont, si j’ose dire, des gens incontestables.

Pensez-vous qu’il y aura une suite ?

Nicole Dreyfus. Pour cela, il faut que nous nous revoyons, que nous en reparlions tous ensemble. Je ne suis pas seule ! Je crois qu’il faudrait obtenir un texte officiel, et pas seulement une indication lors d’une prise de position, publique sans doute, mais qui reste verbale.

Pour en revenir à la guerre d’Algérie, que pensez-vous du parallèle fait entre une torture systématique et les exactions attribuées au FLN ?

Nicole Dreyfus. L’appel y répond très bien. Il dit que l’on ne peut pas mettre sur un même plan la réaction d’un peuple en quête de ses libertés et non organisé sur le plan militaire et une pratique qui est institutionnalisée et qui est employée systématiquement par une armée régulière et par un État. À mon avis, on ne peut pas faire de parallélisme entre les deux types d’actions, ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse pas avoir une attitude critique à l’égard de telle ou telle action, d’où qu’elle vienne. Mais il est impossible de mettre sur le même plan des actions individuelles, qui sont celles de combattants de maquis, avec la systématisation de la torture telle qu’elle a été notamment employée en 1957, pendant ce qu’on appelait  » la bataille d’Alger « , où les ratissages étaient systématiques : quels que soient les gens que l’on arrêtait, on employait la torture pour obtenir les renseignements.

À propos de la pratique de la torture, pensez-vous que Bigeard et Massu, et les gouvernements qui les appuyaient à l’époque, puissent un jour être jugés et condamnés ?

Nicole Dreyfus. Sur le plan pénal, trente ans ont passé. Dans les affaires dirigées par des Algériens contre Papon, on s’est heurté, d’une part, à l’amnistie et, d’autre part, à la prescription, et à d’autres arguments. Je ne pense pas que l’on puisse aboutir sur le plan pénal, c’est trop tard. Mais, au fond, ce n’est pas cela qui est important. Ce qui est important, c’est la reconnaissance d’une condamnation, sur le plan moral et politique, de la torture pendant la guerre d’Algérie.(L’Humanité-15.11.2000.)

Entretien réalisé par Hassane Zerrouky

 







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