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Il y a les mots et les actes

24 02 2010

**Faillite politique des Etats dans une mondialisation non maîtrisée

Tous les jours nous apportent leur lot de faits qui montrent l’étendue de l’échec de la politique qui consiste – sous prétexte d’efficacité et de pragmatisme – à abandonner la souveraineté des Etats aux marchés, dans des domaines aussi essentielsque la monnaie, les finances, l’industrie à haute valeur ajoutée et à forte intensité capitalistique, la défense (dans la fabrication et l’usage des armes),

la solidarité ou la correction des inégalités.

Les conclusions tirées de l’effondrement du système soviétique montrent combien l’idéologie l’a emporté sur l’analyse. La faillite des uns a masqué la faillite des autres dont on découvre à peine aujourd’hui le format et les coûts. Avec une lexicologie appropriée, les ex-libéraux découvrent les vertus de la «régulation».

 Tout le monde voit bien ce qu’il convient de faire, mais on ne sait au juste comment. Près d’un demi-siècle d’offensive conservatrice tout azimut a dépouillé les collectivités publiques des moyens nécessaires pour assurer les grands équilibres, dont la rupture, en certains pays gravissime, menace aujourd’hui d’emporter la prospérité des nations, y compris celle des apprentis-sorciers qui l’ont inspirée et entreprise.

 Aux politiques stériles ne restent plus alors que les tréteaux et la parade.

Les exemples ne manquent pas.

Le groupe Renault, détenu à hauteur de 15,01% par l’Etat, projette – même s’il assure n’avoir pas encore tranché – de réaliser en 2013 de la nouvelle génération des Clio, la Clio IV, en Turquie. Cette décision a déclenché une tempête médiatique dans le Landerneau indigène.

 Le gouvernement français l’a fermement mis en garde contre l’éventualité d’un déplacement de l’intégralité de la production sur son site turc de Bursa, alors que les actuelles Clio sont fabriquées en Turquie et dans d’autres usines Renault, en particulier celle de Flins, en région parisienne.

 «Nous ne mettons pas tant d’argent pour soutenir nos constructeurs pour que la totalité des usines s’en aillent à l’extérieur», a déclaré Nicolas Sarkozy, dans une allusion au soutien financier apporté par la France à ses constructeurs automobiles pendant la crise.

 Le gouvernement «ne laissera pas la Clio IV être produite en Turquie», a prévenu le ministre de l’Industrie M. Estrosi devant les députés. «La Renault sera produite en France pour être vendue en France», a-il dit.

 Le PDG de Renault a été reçu samedi 16 janvier à l’Elysée où – disent les médias proche de l’exécutif français – il a été sommé de s’expliquer sur le projet turc de son entreprise.

 Recevoir un PDG d’une entreprise automobile à la présidence, pour deviser somme toute sur le sort d’une voiture bas de gamme, cela ne paraît pas sérieux. Surtout pour accoucher d’une non-décision, en tout cas suffisamment floue pour laisser un large espace d’interprétation et repousser aussi loin que possible la réalité des décisions déjà actées.

 A l’évidence, la Clio sera à terme (plus court que long) produite en Turquie. Rien ne peut s’opposer à cette délocalisation. Le dernier mot n’en déplaise au ministre de l’industrie, reviendra à l’entreprise, privatisée à plus de 80%. La Commission veille et elle a tenu à le faire savoir au gouvernement français par la voix de Neelie Kroes, commissaire à la Concurrence. Le poids de la France dans les instances décisionnelles européenne ne pèse plus que le poids des mots, c’est-à-dire le poids de l’insignifiance, tempérée à peine par des circonvolutions rhétoriques de plus en plus convenus et de moins en moins sophistiquées.

 Les mœurs européennes deviennent de plus en plus anglo-saxonnes et sacrifient peu à la forme, traditionnellement en honneur chez les Latins.

 Le président a sans doute persuadé l’industriel que l’annonce de cette nouvelle pouvait être reportée aux lendemains des prochaines élections régionales…

 Bon prince, Carlos Ghosn, s’il est tenu par son conseil d’administration à la défense rigoureuse de ses intérêts, a consenti à la mise en scène cosmétologique présidentielle.

 En sorte que l’expression «convoqué» par le président, à l’endroit du PDG de Renault, est une concession faite à la forme. Tous savent ce qu’il en est du fond.

 Les électeurs ne comprendraient probablement pas une délocalisation industrielle vers un pays auquel la France refuse l’entrée dans l’Union européenne.

 Encore une fois, il y a la com’ et il y a les actes. Et les faits disent ce qu’il en est du pouvoir et de l’action auxquels on substitue l’emphase du bavardage.

 Il est vrai que la France (après avoir abondamment dérégulé, privatisé, défiscalisé…) n’a plus les moyens de discuter. Vive la liberté d’entreprendre ! Les peuples sont de moins en moins écoutés et leurs représentants ne représentent plus grand-chose, largement ainsi ouverts à l’influence des lobbys. Ainsi comprendrait-on le retour subreptice aux règles de la IVème République, en vigueur un peu partout en Europe, où à peine élus, les parlementaires combinards oublient les programmes de leurs campagnes.

 Ainsi, dans un paysage politique de plus en plus discrédité, «les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.»

 Autre exemple : la gestion des conséquences du séisme de Haïti. Là aussi la communication des uns l’emporte sur l’action. Et la volonté des autres s’impose au monde.

 Dans les heures qui ont suivi la catastrophe, le premier président à prendre la parole a été Obama. Mais Obama ne s’est pas contenté de parler : les décisions ont suivi immédiatement. L’effondrement du palais présidentiel à Port au Prince a laissé vacant le pouvoir sur l’île. Il a été aussitôt été occupé par les troupes américaines sur l’aéroport de la capitale et en ont pris le contrôle.

 Derrière Obama, il y a la détermination de reprendre en main une Amérique Latine qui, peu ou prou, s’affranchit d’une tutelle séculaire établie depuis James Monroe pour le plus grand bénéfice de la prospérité nord-américaine.

Haïti est un pays francophone, mais depuis longtemps la France ne s’intéresse aux pays francophones que d’une manière esthétique et purement décorative. Il n’y a plus de défense de la langue française pour la simple et élémentaire raison que les élites françaises n’y croient plus. Leurs enfants sont presque tous dans des écoles privées (de rien) en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Australie ou en Confédération Helvétique profondément et irréversiblement défrancisée, quand on veut y travailler sérieusement.

 Il n’y a plus guère que dans les anciennes colonies où la langue de Molière peuple l’imaginaire obsolète des «élites» locales complexées, doctement soutenues dans leurs illusions par des «experts» expatriés prompts à donner leçons et conseils.

 Haïti a échappé depuis longtemps à l’influence de la métropole française, avec le souvenir de Bonaparte rétablissant l’esclavage (aboli par la convention en 1794) dans les «Indes occidentales»…

 La subordination n’a jamais inspiré de bonne politique : comme n’importe qui aurait pu le prévoir (et certains fermement de le vouloir), l’alignement de la France sur les Etats-Unis d’Amérique (et son retour dans les rouages militaires de l’OTAN, au moment où rien ne l’imposait), n’a pas conféré à Paris un poids supplémentaire, mais, au contraire, le plus parfait dédain de la hiérarchie soldatesque US qui n’a jamais respecté que les adversaires.

 Paris paraît ne tenir aucun compte du précédent britannique alors que Blair a fait une démonstration éclatante de ce qu’il ne faut surtout pas faire : les papillons n’ont jamais fait bouger un bocal de l’intérieur.

 Et le président français – après tant de pétitions d’amitié – n’a toujours pas été invité en toute intimité à Washington (et encore moins à Camp David).

 Chacun connaît l’adage: «L’Empire n’a pas d’alliés : il n’a que des ennemis ou des vassaux.»

 Cela s’est à nouveau vérifié aujourd’hui dans les airs (et les aires) de l’aéroport de Port au Prince. Les maîtres américains des lieux ont vertement refusé aux Français l’atterrissage d’un de leurs gros porteurs militaires, pour récupérer leurs ressortissants, victime du tremblement de terre.

 Un petit tour et puis s’en vont. L’avion a regagné sa base, la queue entre les jambes, si l’on peut dire.

 Les Français ont protesté et se sont contentés d’un petit avion à capacités réduites et à temps de vol plus long.

 En réponse à la protestation, les Marines ont levé le doigt d’honneur, comme naguère les archets britanniques l’avaient pointé à l’adresse de la fine fleur de l’armée française qu’ils ont étêtée à Azincourt.

 Le pire selon une dépêche, est que le commandement français aurait déclaré ne pas avoir élevé de protestation.

 Lorsque l’amitié atteint un tel degré de fidélité, on hésite entre les qualificatifs. En attendant, en témoignage d’un sentiment d’ordre si élevé, à l’épreuve de tout dissentiment, les soldats français pourront tranquillement continuer à mourir en Afghanistan, pour des buts de guerre que plus personne n’interroge. Après tout, il ne s’agit plus de conscrits comme à l’époque des guerres d’Algérie, ou du Viet-Nam, mais seulement de professionnels tarifés pour faire leur métier.

Naturellement, laisser la France seule sous les feux de la rampe serait bien inéquitable. La reddition est universelle. Il y a évidemment la Perfide Albion qui a subordonné son destin à l’Oncle Sam déjà sous l’illustre Churchill, formellement validé pendant la dernière guerre du côté de Terre-Neuve. Les gouvernements de Sa Majesté sont réduits à l’administration domestique et se passent largement d’une intelligence politique étrangère.

 Les anonymes, comme d’habitude, sont les plus nombreux. En particulier ceux dont le PIB représente le chiffre d’affaire d’une PME moyenne du Middle West.

 Et il y a aussi ceux qui entreprennent de replâtrer une ferveur nationale sur les terrains de football à la faveur d’une compétition subalterne entre vassaux.

 La singularité française vient sans doute de ce que les prétentions grandiloquentes de cette «grande nation» sont désormais rapportées à la taille de sa population : moins de 0.5% de l’humanité. C’est dur de se redécouvrir être humain ordinaire!

 Aujourd’hui, les pays émergents (la Chine, l’Inde… les BRIC…) participent à l’échafaudage de nouveaux «miracles» (on nous en sert un par décennie), dans une mondialisation sans mode d’emploi et sans institutions, imposée par les outils et les intérêts d’acteurs privés qui se moquent des Etats, des peuples et des nations. Le destin du monde (et nous savons à quel point la production, les échanges réels et monétaires ne participent plus à l’équilibre de l’économie, à l’affectation optimale des ressources et ne répondent plus aux besoins) est entre les mains d’architectes qui rêvent de fabriquer à l’échelle de la planète un système politique censitaire à la mode au XIXème siècle bourgeois ou de la Rome antique.

 Ces nouveaux patriciens nous vendent une démocratie d’apparat avec des hommes de paille pour nous représenter et nous fourvoyer dans des aventures guerrières ou des jeux du cirque, des clowns pour nous distraire, cependant que les vraies questions qui concernent toute l’humanité au premier chef sont traitées dans des enceintes off shore, discrètes et cossues, par des syndicats d’intérêts informels fondés sur aucune légitimité. (Le Quotidien d’Oran-21.01.2010.) 


 


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2 réponses à “Il y a les mots et les actes”

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