Le racisme dans la communauté « scientifique » occidentale
** Les Arabes sont le seul groupe ethnique ou religieux sur lequel on peut dire n’importe quoi, sans se heurter à la moindre objection ou à la moindre protestation », note Edward W. Saïd dans L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident. Après avoir été la source de la civilisation, des langues et des croyances de l’Occident(1), l’Orient est devenu son grand rival, pour ne pas dire son ennemi, culturel et idéologique.
L’image qui est généralement donnée de l’Arabe en Occident est associée « à la débauche, à la malhonnêteté », quand ce ne sont pas les termes de « sadique, traître, bas… marchand d’esclaves, dégénéré, hypersexué, attardé, trafiquant capable des pires intrigues… »(2). Tous ces clichés, qui ont été fabriqués aux débuts de l’ère coloniale pour la justifier, persistent encore de nos jours pour maintenir la haine de l’Arabe, donc du musulman, qu’il soit originaire d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. L’une des raisons en est que malgré la puissance de la civilisation occidentale dans les domaines industriel, scientifique et culturel, cette dernière n’est pas parvenue à le dépersonnaliser, comme elle a pu le faire pour d’autres civilisations. C’est cet antagonisme latent que Samuel Hutington a fait ressortir dans son Choc des civilisations : « Tant que l’Islam restera l’Islam, (ce qui est certain) et que l’Occident restera l’Occident (ce qui l’est moins), le conflit fondamental entre les deux grandes civilisations et les deux modes de vie continuera à influencer leurs relations à venir, tout comme il les a définies depuis quatorze siècles. »
Les traites négrières revues par l’Occident
Olivier Pétré Grenouilleau, que l’on a affublé du titre de « meilleur spécialiste français de l’histoire de l’esclavage », s’est efforcé, dans son ouvrage Les Traites négrières(3) de soulager la conscience de l’Occident, grand défenseur des « droits de l’homme »… blanc, en « rétablissant les faits »… de manière grossièrement mensongère. Pour cet historien, la traite orientale en direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient a été plus importante quantitativement que la traite européenne ou vers les Amériques. Si la traite transatlantique a été chiffrée à 11 millions d’esclaves déportés d’Afrique entre 1450 et 1869, dont seuls 9,6 millions sont arrivés, il estime le chiffre de l’Orientale à « environ 17 millions d’Africains noirs entre 650 et 1920 » faisant, comme par hasard, démarrer ce trafic humain à l’avènement de l’Islam ! Or s’il est possible de vérifier les chiffres relatifs à la traite transatlantique au travers l’étude des connaissements(4) indispensables à tout transport maritime de marchandises, y compris « humaine », il est par contre impossible de chiffrer la traite orientale, qualifiée par notre savant historien de « musulmane » !, comme si une comptabilité avait été tenue par les esclavagistes d’alors pour donner le chiffre très exagéré de 17 millions ! En fait, ce chiffre a été jeté en pâture, pour rester gravé dans les mémoires et discréditer ainsi l’Islam.
Pour tempérer l’invraisemblance de ce chiffre, ce grand spécialiste nous apprend qu’il a été calculé par un historien américain(5), qui reconnaît que pour la traite orientale « les estimations chiffrées restent fragiles et que ce chiffre est relativement imprécis, avec une marge d’erreur à plus ou moins 25% ». Cet aveu d’imprécision n’est pas innocent et vise deux buts : faire croire en l’honnêteté du chercheur, mais aussi et surtout, faire admettre insidieusement par le « plus ou moins », qu’elle peut avoir été supérieure de 25%. Sortez vos calculettes ! Ce n’est pas tout ! Pour cet auteur, « l’esclavage ne fut pas plus doux en terre d’Islam qu’en Amérique »… En cette période de stigmatisation systématique de l’Islam, accentuée par la grossière manipulation du 11 septembre, montée de toutes pièces pour substituer le terrorisme islamiste à l’ancien ennemi communiste, on comprend mieux l’intérêt porté à cet ouvrage par certains médias(6) et l’encensement dont il a été l’objet de la part d’une certaine communauté universitaire française pour qui « la traite négrière n’a pas été une invention diabolique de l’Europe »(7).
Explication : ce sont les musulmans qui ont « mis en place une justification religieuse, comme la malédiction de Cham. Les Noirs étaient censés descendre de ce fils de Noé maudit par son père et condamné à la servitude… », feignant d’oublier, en raison de la nouvelle « alliance judéo-chrétienne », qui a vu le jour suite au Concile Vatican II(8), que les récits de Noé et de ses fils sont avant tout des textes judaïques, reconnus et consacrés par les catholiques et les protestants. Ces pseudo-chercheurs, à qui il ne manque que le Nobel, vont même beaucoup plus loin et remontent jusqu’aux temps préhistoriques pour nous convaincre de nos défauts inhérents à notre origine africaine et orientale, mais aussi de leur supériorité raciale.
Racisme à la mode préhistorique
Le plus ancien fossile humain qui ait été découvert en Algérie remonte à plus de 700 000 ans. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’Atlanthrope ou l’homme de l’Atlas, descendant de ses ancêtres africains. Cette découverte, en 1954, dans une sablière de Ternifine (actuel Tighenif près de Mascara), de l’un des plus vieux humains du monde, fut alors une grande première. Récemment, les Espagnols ont découvert les restes d’un individu semblable, possédant 12 des 13 caractéristiques de l’Atlanthrope, et que les règles de nomenclature devaient nommer Atlanthropus. Malgré les nombreuses similitudes entre les deux espèces, ces « scientifiques » ont préféré le nommer « Antecessor », comme pour occulter l’Atlanthrope. D’ailleurs, il ne reste de l’homme de Ternifine que le souvenir. Non content de l’avoir fait disparaître de la plupart des cartes spécialisées, son existence a été effacée par certains « spécialistes » occidentaux. La civilisation, dite acheuléenne(9), connue à travers le monde par son outil « le biface », s’est améliorée au Maghreb et au Sahara par un autre outil, « le hachereau ». On trouve cette civilisation, dite de l’acheuléen, en Tunisie (à Gafsa, Sidi Zin près du Kef) et en Algérie (à El Ma El Abiod, près de Tébessa, Médéa, Lac Karar et Ouzidane près de Tlemcen).
Il y a environ 100 000 ans s’est développée une civilisation, dite Levallois moustérien, dans le sud-ouest de la France, au Moustier. Celle-ci se caractérise par la prédétermination dans la conception des outils que l’homme fabriquait. Ces deux civilisations avaient cours aussi bien au Maghreb, qu’en Europe ou au Moyen-Orient. Cependant, l’homme moustérien d’Europe dit homme de Néanderthal a disparu d’Europe sans que les spécialistes en connaissent la raison. Il y a bien plus de 40 000 ans qu’apparut au Maghreb une civilisation mise en évidence à Bir El Ater, près de Tébessa. Cette civilisation dite atérienne, qui constitue un progrès par rapport à la Levallois moustérien, se caractérise par l’élaboration d’un pédoncule à la base des outils pour les associer à des manches en bois. C’est alors que des préhistoriens français se sont évertués à monter une théorie, à fort relent racial, pour expliquer la disparition de l’homme moustérien qui, soit dit en passant, est européen : les Acheuléens, venus du Maghreb, auraient côtoyé les moustériens et les auraient contaminés, car porteurs d’une maladie contre laquelle les Maghrébins étaient immunisés… à moins qu’ils ne les aient cannibalisés !
C’est de cette manière que nos lointains ancêtres émigrés auraient volé la technologie Levallois pour la ramener, quelques millénaires plus tard… du sud-ouest de la France via la Tunisie (!!?)… à Bir El Ater, en Algérie, donnant ainsi naissance, à la civilisation atérienne. Bref, c’est l’histoire, à dormir debout, du Maghrébin préhistorique, porteur de virus et voleur de technologie ! La préhistoire, en tant que science, a vu le jour vers le milieu du XIXe siècle après la découverte de gravures rupestres dans la région de Thyout, dans l’Atlas saharien algérien. L’observateur français de l’époque avait été frappé par la vue d’animaux disparus de la région, dessinés sur la roche, indiquant que le monde antédiluvien avait bel et bien existé. Si pour beaucoup de chercheurs éminents(10) les débuts de l’art rupestre remonteraient à environ 30 000 ans, comme en Europe, une certaine communauté scientifique occidentale, et notamment française, veut à tout prix les cantonner, pour l’Afrique du Nord, entre 5 000 et 8 000 ans. Ceci, dans le seul but de marquer l’antériorité de la maîtrise de cet art en Europe, par rapport à l’Afrique.
Il en est de même pour l’art caballin (cheval) que l’on trouve dans la même région que les monuments en « trou de serrure » du Tassili. Ces imposantes gravures rupestres traduisent une suprématie dans la maîtrise de cet art qui, pour ces spécialistes falsificateurs de la mémoire, ne peut être le résultat du génie local, mais d’une « invasion surprise » venue… de nulle part ailleurs. Dans le même ordre d’idée, il a fallu plus de 10 années de discussions pour faire admettre, malgré les nombreuses preuves, que le néolithique, considéré comme une étape fondamentale dans l’évolution de l’homme, du fait de l’invention de l’agriculture, de l’élevage et de la poterie, peut avoir un foyer en Afrique, probablement au Sahara central. Jusque-là, le néolithique a toujours été considéré, comme né au Moyen-Orient.
Et revoilà l’OAS…
L’Institut de paléontologie de Paris, dirigé par des anciens chercheurs français du CRAPE(11) d’Alger, a accueilli des étudiants algériens pour faire leur thèse. Ils se sont vu confier, dans ce cadre, une collection d’ossements, subtilisée du centre d’Alger, et issue de fouilles faites sur le site des « Allobroges », sur lequel ont été construits la cité Malki et l’actuel ministère des Finances à Alger. A l’analyse de ces ossements, nos étudiants ont pu déduire que ceux-ci appartenaient à des animaux n’entrant dans aucune nomenclature existante. D’où la nécessité de les classer dans deux nouvelles catégories d’es-pèces : l’une appartenant à la famille des « asiniens » et l’autre à un « equus Caballus ». Pour consacrer ces nouvelles classifications auprès de la communauté scientifique mondiale, l’Institut de Paris a voulu accaparer ces nouvelles espèces en faisant publier, en primeur, la découverte avec comme appellation du cheval « equus Balutis », en souvenir de Lionel Balu, ancien directeur du Crape d’Alger, notoirement connu alors, comme militant de l’OAS ! Pour déjouer la manœuvre, nos étudiants ont, avec l’aide de préhistoriens du CNRPAH(12) d’Alger, pu devancer l’Institut de Paris et faire bénéficier l’Algérie de l’antériorité de la publication.
Ainsi furent consacrées les appellations de « aquus algericus » pour le cheval et d’« equus Malkiensis » pour l’asinien, et ce, en hommage au chahid Malki, postier assassiné dans l’exercice de ses fonctions dans cette cité d’Alger. Désormais, toute nouvelle découverte ayant le même caractère paléontologique portera ces mêmes appellations. C’est dans le même esprit raciste que le cheval originaire du Maghreb central, réputé pour son endurance, sa résistance et ses grandes qualités équestres, a été dénommé curieusement « cheval barbe » plutôt que « cheval berbère », dans le but évident d’occulter son origine. Ce cheval, qui a marqué l’histoire des redoutables cavaleries numides, s’est très bien « exporté » depuis le VIIe siècle en Grande-Bretagne, où il fut croisé pour donner le pur-sang anglais, puis en Espagne lors de la conquête musulmane, et enfin quelques siècles plus tard vers l’Amérique en deux étapes. D’abord dans le sud du continent américain par les Espagnols, puis suite à ses pérégrinations naturelles et aussi par le fait de l’homme, vers l’Amérique du Nord. C’est l’ancêtre du célèbre « Criollo » argentin et du fameux « mustang » indien. Un vieux dicton dit du cheval berbère : « Il peut la faim, il peut la soif, il peut le froid, il peut le chaud, jamais il n’est fatigué. »
Les falsificateurs de mémoire
L’Occident ne veut rien devoir à l’Orient. C’est la raison pour laquelle les historiens occidentaux se sont évertués à situer la source de leur civilisation en Grèce(13). Et pourtant, l’alphabet, la plume et l’encre sont venus du Moyen-Orient et le mot papier dérive de papyrus. A l’origine, les Grecs appelaient le papyrus byblos, du nom du port phénicien d’où il provenait. Quand ils furent en mesure de confectionner des livres avec des rouleaux de papyrus, ils le désignèrent sous le nom de byblia, d’où le mot Bible, qui était le Livre par excellence. De même, le terme parchemin a pour origine le célèbre royaume de Pergame. D’après Pline, le roi Eumènes II(14) tirait une grande fierté d’être en possession de l’une des plus importantes bibliothèques de son temps. Pour se soustraire à l’embargo décrété par les Phéniciens sur le papyrus, il fit adopter un nouveau support pour l’écriture en utilisant les peaux de bêtes séchées. Celles-ci reçurent le nom de « pergamen » qui donna plus tard le mot parchemin.
Les instruments à la base de la civilisation viennent des profondeurs lointaines de l’Orient, laissant ainsi une marque indélébile dans l’histoire de l’humanité. Cette influence orientale se perpétue jusqu’à nos jours en Occident. Elle se retrouve non seulement dans la majeure partie des prénoms donnés par les Occidentaux à leurs enfants, mais aussi dans le symbole informatique « arobase »(15) @ qui vient de l’arabe arrob’ (le quart). Le grand orientaliste corse, qu’était Piétro Rossi, a su tendre l’oreille et mesurer à sa juste valeur ce riche apport venu d’Orient : « Un courant vivifiant parti de l’Orient n’a cessé à aucun moment de faire lever en terre d’Occident une profusion d’arts et de méditations créatrices. Nous sommes restés des Arabes dans notre foi comme dans nos scepticismes. Dans l’Orfeo de Monteverdi où plane la divinité solaire, dans ‘‘la forêt infernale’’ où rode la panthère de Dante, tout autant que dans la science contemporaine où règnent l’atome et la logique des hypothèses, se fait entendre en sourdine le murmure continu de nos sources orientales. Il suffit de tendre l’oreille. »(16) C’est parce qu’il a toujours vécu en société et au contact d’autres groupes ou civilisations que l’homme s’est enrichi de la diversité de l’autre. L’Orient a nourri l’Occident de sa culture durant des millénaires et on assiste depuis quelques siècles au mouvement inverse. Ceux qui perçoivent ou qualifient ces apports réciproques de « choc des civilisations » n’ont pas tiré les enseignements de l’histoire. A trop vouloir dominer l’autre et l’écraser de sa puissance finira par perdre l’humanité. S’il est vrai que l’homme porte en lui les germes de sa destruction, on passera alors du « choc des civilisations » au « choc des ignorances », pour arriver à la mort de la civilisation humaine.(El Watan-28.10.09.)
Notes de renvoi
1- Voir l’article « Du choc des civilisations au choc de l’ignorance » El Watan du 18 et 19 mai 2008.
2- Edward W. Saïd dans L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident.
3- Edité chez Gallimard.
4- Document portant la description des marchandises transportées sur le navire.
5- Ralph Austin.
6- Le Monde du 10 Janvier 2006 et l’Expansion de juillet/août 2005
7- Ferdinand Braudel, historien.
8- 19 novembre 1964
9- Acheuléen : du nom de Saint-Acheul, faubourg d’Amiens, France.
10- Ginette Aumassip, Nadjib Ferhat, Saoudi Noureddine.
11- Centre de recherches algérien de paléontologie.
12- Centre national de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques.
13 – —Idem (1)
14- Entre les années 197 et 159.
15- Arobase : ancienne unité de mesure espagnole d’origine arabe.
16- Pietro Rossi, dans La Cité d’Isis. Orientaliste décédé en 2002.
*Par
L’auteur est avocat
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