Déclin de l’Occident
*Le cauchemar américain
La première puissance mondiale est confrontée à une révolte populaire inédite sur fond de tensions raciales. De Washington à San Francisco, le pays de l’Oncle Sam brûle de colère. Donald Trump dont le mandat sera remis en jeu en novembre prochain traverse la plus sévère tempête de son règne.
La Maison-Blanche aux airs de camp retranché, le président Donald Trump contraint de se réfugier par précaution dans un bunker et la police qui disperse la manifestation à quelques jets de pierre du bureau ovale : ces images, impensables il y a quelques années au pays de l’une des plus grandes démocraties du monde, reviennent pourtant en boucle ces dernières heures sur les écrans des télévisions du monde entier.
Une nouvelle bavure policière, commise il y a une semaine à l’encontre d’un homme noir, George Floyd, à Minneapolis dans l’État du Minnesota, a suffi pour mettre le feu aux poudres et réveiller les vieux “démons” de la discrimination raciale dans ce pays. En quelques jours, pas moins de 140 villes américaines sont touchées par des manifestations pacifiques, mais qui virent par endroits, notamment en soirée, en scènes de violence, de pillage et de destruction.
Face à cette déferlante de violence, le président américain qui, comme d’ordinaire, ne semble pas avoir pris à temps la mesure de l’étendue des inégalités sociales qui minent la société américaine, aggravées par la pandémie de Covid-19, mais également par les incidences économiques sur de larges pans de la population, a préféré recourir à la méthode qui fait sa marque de fabrique : critique des élus démocrates, dont la réaction est jugée molle, les journalistes, mais aussi le courant antifasciste qu’il voudrait voir classer comme une organisation terroriste.
Il menace même de déployer l’armée américaine pour rétablir l’ordre, une éventualité qui ne manquera pas d’entacher l’image de la plus grande puissance mondiale et qui ne manquera pas d’être assimilée, ironie de l’Histoire, à certaines images brocardées dans les Républiques “bananières”. “Il utilise l’armée américaine contre les américains”, a tweeté lundi Joe Biden, candidat démocrate à la Maison-Blanche et rival de Donald Trump.
L’émotion provoquée par les brutalités policières à l’égard de Gorge Floyd n’est pas circonscrite à l’Amérique seulement puisque de nombreuses capitales à travers le monde ont été le théâtre de manifestations pour dénoncer le racisme. C’est le cas du Royaume-Uni, de la Hollande, de l’Allemagne, du Canada, de l’Irlande, de la Nouvelle-Zélande ou encore de l’Australie.
Mais au-delà de la tare endémique de la ségrégation raciale que révèle de nouveau la dérive policière, la colère exprimée par le peuple américain et au-delà dans certaines capitales, dans un contexte politique de tension dans la course à la Maison-Blanche et des conséquences désastreuses du Covid sur la situation socio-économique de larges franges de la population laissée-pour-compte par un système inégalitaire, traduit les inégalités structurelles et le désordre économique qui minent de nombreuses sociétés.
“Ce virus révèle des inégalités endémiques trop longtemps ignorées”, a estimé la Haut-commissaire aux droits de l’Homme à l’ONU, Michelle Bachelet. “Aux États-Unis, les manifestations provoquées par la mort de George Floyd mettent en évidence non seulement les violences policières contre les personnes de couleur, mais aussi les inégalités dans la santé, l’éducation, l’emploi et la discrimination”, écrit-elle dans un communiqué repris par les agences de presse.
Soit les mêmes maux qui rongent de nombreux pays, conséquence, de l’avis de nombreux spécialistes, d’une mondialisation “sauvage”. Professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris, Bertrand Badie estime, lui, que si les circonstances étaient particulièrement spectaculaires et brutales, “elles s’inscrivaient surtout dans un contexte qui relance la question et les tensions raciales aux États-Unis”.
“La population ‘blanche’, en particulier dans les classes moyennes les moins favorisées, a tendance à penser qu’elle devient minoritaire ‘chez elle’, au pays du Mayflower, et cela du fait de la mondialisation”, explique-t-il à Liberté.
Bien plus, selon lui, la révolte “s’inscrit dans un contexte global qui donne à la mobilisation et aux révoltes populaires une importance de plus en plus remarquable”. “Face à une défiance croissante à l’encontre des institutions, on manifeste, quitte à connaître des débordements violents.
On l’a vu tout au long de l’année 2019”, dit-il. S’il se montre prudent quant aux conséquences de la révolte sur la réélection de Donald Trump, —étant donné que l’essentiel de son électorat se concentre chez les “petits blancs”, en dépit de la dégradation de son image au niveau international, — Bertrand Badie relève cependant que c’est l’ordre mondial qui est indirectement dans la mire, comme à Santiago, Beyrouth ou encore Paris.
“La mondialisation a besoin d’un ‘acte II’, plus social, plus humain : il y a partout, même chez les ‘dominants’ une forte aspiration à la dignité (karama) que trente années de néolibéralisme et de mépris pour le social et l’humain ont aiguisée”, tranche-t-il. S’il ne s’est pas encore montré disert, l’ex-président, Barak Obama, pour sa part, espère des “réformes en profondeur”. Prémices d’un nouvel ordre ?-Karim KEBIR – Liberté/ 03 juin 2020
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Les manifestations anti-racistes se multiplient à travers le monde
Les manifestations contre les discriminations raciales et les violences policières, rythmant le quotidien des Américains depuis 10 jours, continuent de se propager à travers le monde, prenant la forme d’une véritable remise en cause des systèmes inégalitaires étouffants. Comme un détonateur, la mort de George Floyd, le 25 mai dernier, a secoué encore hier plusieurs capitales où des milliers de personnes ont repris en chœur “I can’t breathe” (Je ne peux pas respirer) de George, asphyxié sous le genou d’un officier de police blanc, à Minneapolis.
Londres, Berlin, Paris, Toronto, Montréal, Sydney, Mexico ont vibré sous les slogans de milliers de personnes appelant au changement et à la fin des brutalités policières. En Australie, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à travers tout le pays, brandissant des banderoles à l’effigie de George Floyd ou entonnant des slogans contre les discriminations raciales. Pour les organisateurs australiens, nullement refroidis par l’appel du gouvernement à rester chez eux en raison de la crise sanitaire, cette affaire trouve de nombreux échos dans leur pays. Ils ont expliqué à l’AFP qu’ils souhaitaient aussi dénoncer le taux d’emprisonnement très élevé parmi les Aborigènes, et les morts – plus de 400 ces trente dernières années – de membres de cette communauté alors qu’ils étaient détenus par la police.
A Sydney, la capitale, le défilé a été autorisé quelques minutes avant son démarrage, par une décision de justice revenant sur une précédente interdiction. Au Royaume-Uni où un grand rassemblement a été organisé à la mi-journée devant le Parlement à Londres, les manifestants ont appelé à ce que justice soit rendue aux nombreuses victimes des “bavures policières” dans leur pays et la fin du racisme contre les Noirs et les minorités.
Plusieurs pancartes dénonçant les propos outrageux de Donald Trump contre les manifestants pacifiques américains, qualifiés d’extrémistes, de voyous ou de fascistes, ont été brandies par les protestataires devant le palais de Westminster. Un autre rassemblement est prévu aujourd’hui face à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, malgré l’appel du gouvernement à s’abstenir des regroupements.
En France, des milliers de personnes se sont rassemblés à Paris, en dépit d’une interdiction des autorités locales, répondant à un appel relayé sur les réseaux sociaux. Les participants ont commencé à se manifester vers 15h au milieu d’un dispositif policier impressionnant à la Place de la Concorde, selon les médias français. Une autre manifestation a été organisée dans la ville de Bordeaux devant la représentation consulaire des Etats-Unis, pour demander aussi à ce que cessent les discriminations raciales et les violences policières dont sont victimes les Noirs et les minorités dans l’Hexagone.
Mardi dernier, une manifestation interdite avait déjà rassemblé 20 000 personnes au moins à l’appel du comité de soutien à la famille d’Adama Traoré, un jeune Noir mort en 2016 en région parisienne après une interpellation par des gendarmes. Au Mexique, une manifestation dénonçant les bavures policières a dégénéré dans la capitale, vendredi soir, après que les protestataires ont jeté des pierres sur l’ambassade des Etats-Unis. Selon l’agence de presse Reuters, la police a procédé à plusieurs arrestations.
Karim B. / Liberté/ 07 juin 2020
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YAHIA ZOUBIR, CHERCHEUR EN RELATIONS INTERNATIONALES
“L’affaire Floyd est le détonateur contre un système inégalitaire”
**Enseignant des universités, aux États-Unis notamment, Yahia Zoubir revient sur la contestation sociale qui s’est emparée de l’Amérique mais au-delà des frontières du Nouveau Monde. Pour lui, les processus de revendications contre les inégalités, la précarité, la discrimination raciale se multiplieront davantage à travers le monde.
Liberté : Les manifestations aux États-Unis s’amplifient et s’étendent à tout le pays, avec des revendications de justice. Sont-elles le signe d’une remise en cause totale de tout un système ?
Yahia Zoubir : Il y a effectivement une remise en cause du système surtout depuis l’avènement de Donald Trump à la présidence des États-Unis, et, cette dernière double crise sanitaire et économique. Les manifestations actuelles sont le résultat d’un ras-le-bol des communautés afro-américaine et hispanique, mais pas seulement. Pour la communauté afro-américaine, l’homicide de George Floyd, ne représente rien de nouveau car les abus policiers contre les Noirs sont monnaie courante que des journaux comme le Washington Post et le New York Times rapportent régulièrement.
Le nombre de ces cas a augmenté sans pour autant que les coupables ne soient punis à la mesure de leurs crimes. De plus, le président a décrit l’Afrique (donc les Noirs) en des termes grossiers, ce qui suggère un racisme évident de sa part. Les critiques acerbes de Trump à l’égard de députés de couleur ou même ses attaques contre l’ancien président Barack Obama ne font que confirmer ce racisme éhonté.
Beaucoup d’athlètes de haut niveau ont exprimé leur désapprobation en ne se levant pas pour l’hymne national américain. Avec la crise du Covid-19 et sa gestion désastreuse par l’administration de Trump, les choses sont devenues insupportables pour beaucoup de citoyens américains (chômage, absence de soins adéquats pour les populations défavorisées, surtout noires et hispaniques…). L’affaire George Floyd a été donc le détonateur d’un mouvement contre un système où les inégalités sociales sont criantes.
Le problème de la discrimination raciale aux États-Unis reste, selon-vous, aujourd’hui encore posé ?
La mémoire de l’esclavage et du racisme qu’a subie la communauté semble avoir rejailli avec l’homicide de M. Floyd et la répression voulue par M. Trump. Hier, la police a réprimé violemment une manifestation pacifique multiraciale en face de la Maison-Blanche afin de permettre le passage à Trump pour aller se prendre en photo devant une église ! Tout cela ne fait qu’accroître la colère envers l’administration actuelle. La communauté hispanique pour sa part a subi des propos injurieux de la part du président.
Il ne faut pas non plus oublier l’interdiction faites à des citoyens de certains pays musulmans d’entrer aux États-Unis. Cela avait créé une crise au sein de la population et du système judiciaire. Le plus grave est que le président s’approprie le racisme de certains segments de la société américaine qui le soutiennent pour envenimer les rapports inter-communautaires dans l’espoir de se faire réélire au mois de novembre. Quoi qu’il en soit, Trump n’a pas fait preuve de leadership.
Comme l’a dit Gregg Popovich, l’entraîneur de l’équipe de Basket, San Antonio Spurs, “ce qui me frappe, c’est que nous voyons tous cette violence policière et ce racisme et que nous avons déjà tout vu auparavant mais que rien ne change. C’est pourquoi ces manifestations ont été si explosives. Mais sans leadership et sans une compréhension du problème, il n’y aura jamais de changement. Et les Américains blancs ont évité à jamais de prendre en compte ce problème parce que cela a été notre privilège de pouvoir l’éviter. Cela aussi doit changer”.
En réponse à cette contestation, le président américain Donald Trump promet la fermeté n’excluant pas le recours à l’armée. Cette attitude ne risque-t-elle pas d’envenimer la situation surtout que le pays est à l’approche des élections présidentielles ?
Évidemment, cette menace de faire intervenir l’armée est dangereuse et certains constitutionnalistes aux États-Unis estiment qu’elle est illégale. Le problème est que le président, par ces propos, incite à la violence, puis menace de réprimer les manifestants. Lui qui a tant critiqué les autorités à Hong Kong d’avoir essayé de ramener l’ordre, alors que des casseurs ont agressé des passants, détruit des propriétés, se voit noyé à présent dans ses propres contradictions parmi tant d’autres.
L’onde de choc des manifestations a dépassé les frontières des États-Unis s’étendant à plusieurs pays. Des milliers de personnes ont marché au Canada, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Australie. Comment expliquez-vous cette propagation mondiale ?
La mondialisation a exacerbé les inégalités socio-économiques à travers la planète. Les populations défavorisées en sont les principales victimes. Depuis la crise financière de 2008, les financiers de Wall Street, de la City, et autres grandes places boursières s’en sont sortis avec des parachutes qui leur ont permis de se relever et de s’enrichir de nouveau. Les mouvements sociaux partout dans le monde ont pris conscience de ces inégalités qui ne font qu’augmenter. Une fois les contraintes du Covid-19 levées, il est à parier que la colère sociale à travers le monde ira crescendo.
Pensez-vous que cette contestation se poursuivra et quelles formes pourra-t-elle prendre ?
Une chose est certaine, les mouvements ouvriers et de classes dépossédées, gravement touchés par la double crise économique et sanitaire, lanceront des processus de revendications contre les inégalités, la précarité, l’absence de services médicaux accessibles à tous. La double crise a mis à nu non seulement ces inégalités mais aussi la faillite des élites dirigeantes qui n’ont pas su anticiper ni gérer la crise sanitaire.
Il est à parier que ces mouvements demanderont des comptes et justifier l’absence de prévention adéquate. Certainement, ils se demanderont pourquoi les gouvernements dépensent moins pour les besoins sanitaires que pour d’autres secteurs, militaires notamment. Le budget militaire aux États-Unis s’élève à 750 milliards de dollars. De par le monde, les mouvements ouvriers, mobilisés et encadrés par leurs syndicats se comporteront de façon pacifique et continueront à lutter pour décroître les inégalités socio-économiques.
Mais, en réponse à la répression policière, il est évident qu’il pourrait y avoir des dépassements. Lorsqu’on a posé une question à un avocat américain sur CNN qu’il n’était pas compréhensible que des manifestants volent des produits…Il a répondu, “qu’est-ce que cela représente par rapport à ce que les grands groupes financiers et autres volent au pays”.
Entretien réalisé par : KARIM BENAMAR - Liberté/ 03 juin 2020
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*une nation divisée et fracturée comme jamais avec un racisme endémique terrifiant dont sont victimes depuis trop longtemps les Afro-Américains.
En quelques jours les Etats-Unis ont donné au monde deux visages, comme l’avers et le revers d’une même médaille : le rêve américain avec un self made man, Elon Musk, qui parvient en vingt ans à peine à bâtir une entreprise spatiale capable d’envoyer à nouveau des hommes dans l’espace ; le cauchemar américain où l’on voit une nation divisée et fracturée comme jamais avec un racisme endémique terrifiant dont sont victimes depuis trop longtemps les Afro-Américains.
Ce n’est, hélas, pas la première fois que des émeutes secouent l’Amérique. On se souvient de celles de 1968 qui suivirent l’assassinat de Martin Luther King, de celles qui embrasèrent le pays en 1991 après le tabassage de Rodney King à Los Angeles, ou encore de celles de Baltimore en 2015 en réaction à la mort de Freddie Gray. La mort de George Floyd le 25 mai, après qu’un officier de police de Minneapolis,Derek Chauvin, s’est agenouillé sur son cou pendant 8 minutes et 46 secondes sera-t-elle le drame de trop ?
*En tout cas, il ne faudra pas compter sur Donald Trump pour répondre aux revendications légitimes des Afro-Américains. Réunis depuis 2013 dans le mouvement Black Lives Matter (la vie des Noirs compte), ils veulent évidemment moins de racisme dans les rangs de la police en particulier et de la société en général, et réclament plus d’égalité sociale. À l’heure du Covid-19 où le pays traverse une crise sanitaire majeure qui a fait plus de 100 000 morts et une crise économique jamais vue depuis 1929 avec près de 40 millions de chômeurs, le président Trump a choisi de jeter de l’huile sur le feu en ne s’adressant qu’à son camp, à coups de tweets incendiaires. Bible en main, reprenant le slogan de Nixon Law and Order (la loi et l’ordre), menaçant de faire intervenir l’armée pour endiguer de spectaculaires pillages qui ne sauraient masquer les manifestations monstres pacifiques, Trump compte, d’évidence, sur le chaos pour dissimuler ses erreurs de gestion et rebondir pour remporter l’élection présidentielle de novembre. Mais ce président qui avait mis un signe égale entre les suprémacistes blancs surarmés et les antiracistes lors des manifestations de Charlottesville en 2017, peut-il l’emporter face à la lame de fond du mouvement d’indignation qui s’étend dans le pays ? Nixon avait été élu en 1968, donc tout est possible. Mais « rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu » disait Victor Hugo. Après l’abolition de l’esclavage, de la ségrégation, des discriminations au plan juridique, les Afro-Américains veulent l’égalité réelle, maintenant.
Leur combat dépasse d’ailleurs les frontières américaines et, via la puissante caisse de résonance des réseaux sociaux, essaime partout dans le monde. En France, certains font ainsi un parallèle entre les exactions racistes, les méthodes d’une partie de la police américaine et la façon dont les forces de l’ordre françaises ont été impliquées dans des violences inédites sous la Ve République contre des Gilets jaunes ou de jeunes hommes comme Adama Traoré, mort après un placage ventral.
La France n’est pas l’Amérique, tous les policiers ne sont heureusement pas racistes, mais le Défenseur des droits Jacques Toubon a récemment dressé un constat très sombre des contrôles d’identité répétés et abusifs et dénoncé une « discrimination systémique » par la police, à Paris.
Ce combat contre le racisme et pour l’égalité, où qu’il se déroule, reste en tout cas un combat universel, de longue haleine, qui doit être mené par tous ceux qui, comme Jaurès, estiment qu’« il n’y a qu’une race : l’humanité. »
*Philippe Rioux -ladepeche.fr/ jeudi 04 juin 2020
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LES EUROPÉENS DÉNONCENT L’“USAGE EXCESSIF” DE LA FORCE CONTRE LES MANIFESTANTS AUX ÉTATS-UNIS
Les patrons des grandes entreprises américaines ont aussi dénoncé en fin de semaine dernière le racisme dont sont victimes les Noirs et certaines minorités depuis des décennies.
La multiplication des violences policières à l’encontre des manifestants dénonçant le racisme, a fait réagir le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, mais aussi les Européens et des chefs de grandes entreprises à l’intérieur des États-Unis. Le SG de l’ONU a estimé lundi soir que “les autorités (américaines) doivent montrer de la retenue dans leur gestion des manifestants aux États-Unis”, a indiqué son porte-parole, Stéphane Dujarric, lors de son point de presse quotidien, demandant qu’une enquête soit menée sur les violences policières “comme dans n’importe quel pays”, ont rapporté les agences de presse.
“Nous avons vu au cours des derniers jours des cas de violences policières. Tous les cas doivent faire l’objet d’enquêtes”, a expliqué M. Dujarric, dénonçant à son tour les dépassements dont étaient victimes des journalistes lors de leurs couvertures des évènements en cours à travers plus d’une trentaine villes américaines, en plus des manifestations qui ont eu lieu lundi devant la Maison-Blanche. “Aucune démocratie ne peut fonctionner sans liberté de la presse”, a insisté le chef de l’ONU.
Les Européens, par la voie du chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, ont dénoncé hier ce qu’ils qualifient d’“usage excessif” de la force, se disant “choqués”, lors d’un d’une conférence de presse à Bruxelles, a rapporté l’AFP. “Toutes les vies comptent. Les vies des Noirs comptent aussi”, a-t-il lancé, estimant qu’“il s’agit d’un abus de pouvoir. Il faut le dénoncer, le combattre, aux États-Unis et partout ailleurs”.Le diplomate espagnol a souligné qu’“ici, en Europe, nous sommes choqués et consternés par la mort de George Floyd, comme la population des États-Unis.
Je pense que toutes les sociétés doivent rester vigilantes face à l’usage excessif de la force par les gardiens de l’ordre”. Réagissant aux évènements en cours, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a affirmé à Berlin : “Pour nous (…) la règle est que la protestation pacifique doit toujours être possible, mais elle doit être pacifique”, lit-on encore sur l’AFP.
“Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail sans risque pour leur sécurité”, a insisté M. Maas, expliquant que “les États démocratiques doivent appliquer les normes les plus élevées en matière de protection de la liberté de la presse”. Les patrons des grands groupes, tels que Tim Cook (Apple), David Solomon (Goldman Sachs) ou Larry Fink (BlackRock) ont dénoncé eux aussi le racisme en fin de semaine dernière, même si certaines voix réclament des actes au lieu des discours, ont rapporté les médias locaux et les agences de presse.
Selon un rapport de 2019 du Boston Consulting Group, seuls trois Noirs américains et vingt-quatre femmes sont à la tête des 500 plus grosses sociétés américaines par revenus. La pandémie de coronavirus a révélé avec le nombre important de morts chez les Noirs à New York l’ampleur des inégalités aux États-Unis, qui touche directement cette communauté.
Le revenu moyen des ménages blancs était en 2018 de 70 642 dollars contre 41 692 pour les ménages noirs, affirme un autre rapport de l’Economic Policy Institute, un think tank progressiste, ont rapporté les médias locaux. Cela est considéré comme un des signes du racisme que subissent les Noirs, devant les hispaniques et d’autres minorités, outre les discours controversés de Donald Trump que les réseaux sociaux commencent à bloquer depuis quelques jours.
*Lyes M. - Liberté/ 03 juin 2020
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Manifestations dans des capitales occidentales contre le racisme
Des dizaines de personnes se sont rassemblées hier dans la capitale française Paris, à l’appel du collectif Vérité pour Adama Traoré, pour dénoncer le racisme à l’encontre des noirs aux États-Unis et dans plusieurs autres pays, ont rapporté les médias locaux.
Cette action est la deuxième après la manifestation de lundi qui a été organisée aussi à Paris, outre celle qui a rassemblé, lundi aussi, des dizaines de personnes dans la ville de Bordeaux, selon les mêmes sources.
À Dublin, dans la capitale irlandaise, plus de 5 000 manifestants se sont rassemblés lundi après-midi devant l’ambassade des États-Unis, pour dénoncer le “meurtre” dont a été victime la semaine dernière le noir-américain George Floyd, a rapporté le quotidien local The Irish Times.
Cette action est intervenue, selon la même source, en soutien au mouvement Black Lives Matter (La vie des noirs compte, ndlr), né le 13 juillet 2013, pour lutter contre le racisme à l’encontre des Noirs.
Pour rappel, d’autres manifestations ont eu lieu dans d’autres pays depuis jeudi dernier déjà, comme l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne, le Danemark, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, où des centaines de personnes se sont rassemblées devant les représentations diplomatiques des États-Unis. *Liberté/ 03 juin 2020
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*Déclin de l’Occident
*Ses faiblesses sont en effet nombreuses**Que reste-t-il de l’Occident ?
Attentats, prises d’otages, arrestations sanglantes, déploiements de policiers et de soldats dans les grandes villes : menacée et agressée, à la fois de l’extérieur par des sectes fanatiques qui sévissent déjà dans de vastes régions d’Afrique, et de l’intérieur, par des citoyens d’origine étrangère qu’elle n’a pas su ou voulu intégrer, la civilisation occidentale s’apprête-t-elle à mourir sous les coups d’extrémistes soi-disant musulmans ou, ce qui reviendrait au même, risque-t-elle de jeter aux orties des valeurs qu’elle a mis des siècles à concevoir et qu’elle-même bafoue trop souvent ?
Ses faiblesses sont en effet nombreuses, soulignent, dans un texte stimulant, Que reste-t-il de l’Occident ?, un essayiste, Régis Debray, et un universitaire, Renaud Girard. L’Occident a en effet un passé et un passif – esclavage, colonialisme, nazisme – qui rendent a priori suspectes ses meilleures intentions.
Convaincu que ses intérêts sont aussi ceux de l’humanité, bouffi d’orgueil et de suffisance, portant sur les autres peuples, leurs mœurs et leur religion un regard souvent méprisant, n’hésitant pas, sous des prétextes «humanitaires», à intervenir, de façon désastreuse, dans les affaires d’autres pays (Afghanistan, Irak, Libye…), l’Occident, pour bien des peuples, y compris ceux des pays qui le constituent, s’est montré, au cours des siècles, plus destructeur que porteur, comme il l’affirme, de valeurs universelles.
Même si, dans la pratique, il les a régulièrement bafouées, il n’en reste pas moins qu’il les a conçues et que, dans bien des domaines, il a, sur ceux qui s’acharnent contre lui, une avance indiscutable. Inventions techniques, progrès scientifiques le placent loin en tête de tous les pays, et, comme le soulignent R. Debray et R. Girard, «c’est dans ses universités, ses institutions financières (FMI ou Banque mondiale), ses écoles militaires, ses grandes firmes, qu’il assure la formation des élites internationales. Les ‘‘princes rouges’’ chinois envoient leurs garçons se former aux Etats-Unis».
Mais son «atout le plus important» est assurément le primat du droit et de la loi dans les rapports entre Etat et citoyens. «Si je veux doubler la surface habitable de ma maison, la première question que je me pose, en Occident, sera : ‘‘En ai-je le droit ?’’ En Russie et en Chine, ce sera : ‘‘Le prince rouge placé au-dessus de moi me le permettra-t-il ?’’»
Primat du droit sur la force et de l’individu sur le groupe, séparation du politique et du religieux, ce qui est la condition même de la démocratie, égalité des hommes et des femmes, libertés (de penser, de conscience, d’expression…) : non seulement les pays occidentaux sont résolus à défendre ce qu’au long des siècles ils ont progressivement construit et acquis – ils en ont les moyens techniques, scientifiques, économiques et politiques – mais leurs peuples eux-mêmes semblent décidés, comme le montrent de récentes manifestations, à défendre leurs valeurs. Loin de les décourager, les exactions des fanatiques les mobilisent et, d’un quartier à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, créent des solidarités que personne n’imaginait possibles.*Maurice Tarik Maschino-El Watan-dimanche 25 janvier 2015
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*La fin de l’Occident ?
(…) *Pendant près de cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale, l’équilibre du monde était détenu par deux grandes puissances, les Etats-Unis et l’Empire soviétique. L’Occident latin guidé par les Etats-Unis est sorti vainqueur de cette lutte sans merci et tous les coups furent permis, notamment l’instrumentalisation de la religion aussi bien pour déstabiliser la Pologne en mettant en lumière un électricien des changements de Gdansk – à qui on a attribué le prix Nobel pour lui donner une stature- soutenu par un pape polonais qui appelait ouvertement à la rébellion- N’ayez pas peur!- mais aussi en créant une internationale islamique sous l’égide d’un Oussama Bin Laden, leur meilleur allié avec les taliban qui furent dotés de missiles qui firent des ravages dans les chars soviétiques en Afghanistan.
Après la chute de l’Union soviétique, les Américains, ivres de puissance et tentés par la posture de l’Empire, se devaient de trouver un «Satan de rechange». Une étude du Pnac (Programme for New American Century) recommandait de chercher un motif pour relancer l’hégémonie américaine d’une façon définitive, notamment avec le déclin du pétrole dont il fallait à tout prix s’assurer des sources d’approvisionnement pérennes et à un prix «raisonnable». L’arrivée du 11 septembre fut du pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam et terrorisme. Francis Fukuyama s’interrogeait à juste titre sur la fin de l’histoire maintenant que la pax americana régnait et paraissait durer mille ans. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives que l’on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et la mort. Pourtant, les signes d’un craquement de l’hégémonie occidentale commencèrent à poindre à l’horizon. Des voix inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magister occidental. Dans un discours à l’université de Princeton, Joschka Fischer ancien ministre allemand des Affaires étrangères faisait part de son inquiétude et désignait nommément l’Islam. Ecoutons-le: «La situation actuelle nous enseigne que la question de la sécurité au XXIe siècle pour nous tous, et avant tout pour les États-Unis et l’Europe, ne peut plus être définie à l’aune des catégories traditionnelles du XXe siècle. Un totalitarisme d’un genre nouveau, le terrorisme islamiste et l’idéologie du Djihad, basée sur le mépris de l’homme, menacent la paix et la stabilité régionales et mondiales. (…) Aujourd’hui, notre sécurité est principalement menacée non pas par un seul État mais au contraire par un mouvement totalitaire d’un genre nouveau qui, ayant perdu l’Afghanistan, ne peut plus baser sa puissance sur le contrôle d’un autre État. Cette menace ne vise pas non plus les potentiels stratégiques des États-Unis et de l’Occident. Elle tend plutôt à ébranler leur moral et à déclencher des réactions qui renforcent le soutien au totalitarisme islamiste au lieu de l’affaiblir. Cette nouvelle menace est d’envergure, mais pire encore: elle essaye de créer un « choc des civilisations » basé sur la religion et l’appartenance culturelle, entre le monde islamo-arabe et l’Occident mené par les États-Unis.
(..) Est-ce la fin de l’Occident? Cette question qui donne le frisson est actuellement en vogue. L’Occident ne serait condamné que si la communauté transatlantique, faute d’intérêts communs, n’avait plus d’avenir, (…) Dans leur lutte contre la nouvelle menace, l’Europe et l’Amérique dépendent l’une de l’autre. L’Amérique et l’Europe pourront relever les défis du XXIe siècle, mais elles ne pourront le faire qu’ensemble.»(2)
Nous le remarquons que pour Joshka Fisher, l’hégémonie occidentale sera toujours aux commandes! Ce n’est pas l’avis de la CIA qui a publié un rapport intitulé: Le monde en 2025. On constate une prise de conscience d’une nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et même dans une certaine mesure, militaire La lecture du dernier rapport de la CIA nous permet de mieux connaître le mode de pensée de la classe dirigeante étatsunienne et d’en identifier les limites. Terrorisme en retrait, glissement du pouvoir économique de l’Occident à l’Orient, pénurie d’eau, déclin des ressources en hydrocarbures, nouvelles technologies. Dans la lignée du précédent Rapport de la CIA, pour la première fois, les Américains reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du monde!(3)
Ecoutons l’économiste Samir Amin donner son avis à propos de ce rapport: «Je résumerai mes conclusions de cette lecture dans les points suivants: la capacité de « prévoir » de Washington étonne par sa faiblesse; on a le sentiment que les rapports successifs de la CIA sont toujours « en retard » sur les évènements, jamais en avance. L’impression qu’on tire de cette lecture est que, de surcroît, l’establishment étatsunien conserve quelques solides préjugés, notamment à l’égard des peuples d’Afrique et d’Amérique latine.
Le rapport précédent – Le monde en 2015 – n’avait pas imaginé que le mode de financiarisation du capitalisme des oligopoles devait nécessairement conduire à un effondrement comme cela s’est produit en 2008. (…) Aujourd’hui encore donc (dans la perspective de 2025), le rapport affirme sans hésitation « qu’un effondrement de la mondialisation » reste impensable. (…) D’une manière générale « l’hégémonie » des Etats-Unis, dont le déclin est visible depuis plusieurs décennies, affirmée pourtant dans le rapport précédent comme toujours « définitive » est désormais imaginée comme « écornée », mais néanmoins toujours robuste». D’une manière générale, les «experts» du libéralisme ignorent la possibilité d’une intervention des peuples dans l’histoire. Les experts de l’establishment étatsunien ne s’intéressent qu’aux choix «possibles» des classes dirigeantes des «pays qui comptent» (la Chine en premier lieu, ensuite la Russie et l’Inde, puis l’Iran et les pays du Golfe, enfin le Brésil). L’Europe, à leur avis, n’existe pas (et sur ce point ils ont certainement raison) et de ce fait restera forcément alignée sur les choix de Washington. L’illusion qu’ils peuvent se faire sur les pays du Golfe est instructive: «riches» ces pays doivent «compter», le fait qu’on puisse être riche et insignifiant ne leur paraît pas «imaginable». Leur crainte concernant l’Iran, non pas pour son «régime islamique» mais parce que cette grande nation n’accepte pas la résignation, est par contre fondée. L’Afrique ne comptera toujours pas, et restera ouverte au pillage de ses ressources. Le seul problème pour eux est qu’ici, les Etats-Unis (et leurs alliés subalternes européens) se trouveront désormais en concurrence difficile avec les appétits de la Chine, de l’Inde et du Brésil.(…) Les «scénarios» dessinés dans le rapport, dans ces conditions, renseignent plus sur les limites de la pensée dominante aux Etats-Unis que sur les probabilités de leur réalisation. Premier scénario: une victoire éclatante de la Chine. La Chine s’impose comme nouvelle «puissance hégémonique», entrainant dans son sillage une Russie rénovée une Inde autonome mais résignée, un Iran («islamiste» ou pas) devenu acteur dominant au Moyen-Orient. L’alliance de Shanghai garantit l’accès de la Chine et de l’Inde à 70% des productions de pétrole et de gaz du Moyen-Orient. Second «scénario»: conflit Chine/Inde, stagnation de la Russie…Les voeux des USA. Le second «scénario» consacre, à l’opposé, l’échec retentissant du «Plan de Shanghai», l’éclatement du groupe éphémère que représente le Bric, la montée en ligne du conflit Chine/Inde, la stagnation de la Russie et l’avortement du projet nationaliste de l’Iran.(4)Les nouveaux maîtres
A l’autre bout du curseur concernant l’avenir du Monde, nous trouvons l’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani qui décrit le déclin occidental: recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient. L’auteur fait le point sur l’ascension économique vertigineuse des pays de l’Asie. Ayant intégré les pratiques de l’Occident (économie de marché, méritocratie, Etat de droit, développement de l’éducation, etc.), l’Asie n’a, selon l’auteur, aucune intention de dominer l’Occident, mais il met en garde: l’Occident doit renoncer à sa domination notamment. Après trois siècles de domination occidentale, où Londres, Paris, Berlin et Washington ont décidé du sort de la planète, les 5,6 milliards d’individus qui ne vivent pas à l’Ouest aujourd’hui ont cessé d’être des objets de l’histoire mondiale pour en devenir des sujets.(5)
Citant l’ouvrage de l’historien britannique Victor Kiernan «The Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in the Imperial Age» qui avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation européenne touchait à sa fin. Victor Kiernan qui écrivait: La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. Même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps. En fait, celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant: «Ce que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est que…», suivent les platitudes habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait certainement être un colonialiste atavique. Comme l’écrit Mahbubani: «Cette tendance européenne à regarder de haut, à mépriser les cultures et les sociétés non européennes a des racines profondes dans le psychisme européen.»
Pour l’Occident, écrit Jean Pierre Lehmann commentant l’ouvrage de Maybubani, il est temps de regarder la réalité en face. Ce que Mahbubani attaque, c’est l’anomalie absurde d’un pouvoir mondial occidental envahissant et persistant dans un monde sujet à des changements fondamentaux. Cela ne vaut pas seulement pour la culture mais également pour le niveau de développement économique et politique.(6)
L’auteur décrit les trois principaux scénarios pour le XXIe siècle – la marche vers la modernité, le repli dans des forteresses et le triomphalisme occidental Géographiquement, il est des plus à l’Est mais qu’en est-il des autres aspects? Mahbubani reproche à l’Europe sa myopie, son autosatisfaction et son égocentrisme. Il relève en particulier que l’Europe a failli à s’engager vraiment en faveur de ses voisins: «Ni les Balkans ni l’Afrique du Nord n’ont bénéficié de leur proximité avec l’Union européenne». Cependant, au XXIe siècle, le déclin de l’Occident en termes d’abandon de ses valeurs, a été accéléré en particulier par les États-Unis sous le gouvernement de George W.Bush. L’essor économique de l’Orient a été remarquable. «En 2010, 90% de tous les scientifiques et ingénieurs titulaires d’un doctorat vivront en Asie.»
Mahbubani voit trois principaux foyers de défis pour l’Occident: la Chine, l’Inde et le Monde islamique. A propos du dernier, alors que le terme de «musulman» est associé dans l’esprit des Occidentaux à celui d’«arabe», la grande majorité des musulmans vivent en Asie où l’on trouve la plupart des pays qui ont les plus importantes populations musulmanes: Indonésie, Inde, Pakistan, Bangladesh et Iran. L’invasion anglo-américaine de l’Irak a considérablement aggravé les relations entre l’Occident et les États et peuples musulmans. Le caractère grotesque des erreurs commises est dû en partie au degré stupéfiant d’ignorance des étatsuniens au sujet de l’Irak, laquelle provient de leur arrogance. Mahbubani exhorte l’Occident à «faire de toute urgence des efforts pour mieux comprendre l’esprit musulman».
Quand Mahbubani écrit que «le moment est venu de restructurer l’ordre mondial», que «nous devrions le faire maintenant». Le grand sujet de plainte de Mahbubani est l’incapacité de l’Occident à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se comporte trop souvent sape davantage les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale. Prenons le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Selon Mahbubani, il «est légalement vivant mais spirituellement mort» «Le monde, écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans les cinq États nucléaires. Au lieu de les considérer comme des gardiens honnêtes et compétents du TNP, il les perçoit généralement comme faisant partie de ses principaux violateurs» Leur décision d’ignorer le développement par Israël d’un arsenal nucléaire leur a été particulièrement préjudiciable. Lors d’une rencontre à Bruxelles au début de 2008, j’ai demandé à l’un des participants, Javier Solana, Haut-Représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, son avis sur la question de l’arsenal nucléaire d’Israël mais il a refusé catégoriquement d’aborder le sujet.(6)
Le Monde sera à n’en point douter fragmenté, il est à espérer qu’après cinq siècles de domination sans partage et d’une vision occidentalo-centriste des droits de l’Homme, le Monde retrouvera la vraie sagesse. L’Inde et la Chine héritiers de plus de 4000 ans de civilisation y contribueront certainement. (L’Expression-08.04.2010.)
Pr Chems Eddine CHITOUR(*) Ecole nationale polytechnique1.C.E.Chitour: L’Occident à la conquête du Monde.ed. Enag. Alger. 2009
2. Joschka Fischer: L’Europe et l’avenir des relations transatlantiques. Princeton 19 11 2003
3.«Le monde en 2025» selon la CIA, le 26/2/2010
4. Samir Amin http://www.michelcollon.info/index.php-16-02-10
5.K.Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the East, septembre 2008
6.Jean-Pierre Lehmann: Déclin de l’Occident et montée de l’Orient Réseau Voltaire 2.09.2008.
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