Généalogie et repères identitaires
* La généalogie, une passion à la recherche des repères identitaires
*Repères identitaires brouillés, rythme de vie effréné, schémas familiaux bouleversés : l’envie de s’arrêter un instant et de regarder en arrière n’a jamais été aussi forte. Quête d’aïeux, cousinades et biographies familiales connaissent un succès fou. Tous à vos lignées.
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À la recherche de notre généalogie perdue
Algérien, quel est ton «vrai» nom ?
L’entreprise de dislocation filiale perpétrée à l’état civil colonial à partir de 1882 s’est faite sentir sur des générations entières.
Sous l’ombre tutélaire de Mostefa Lacheraf, un débat des plus passionnants s’est déroulé au pavillon central du SILA, sur l’origine des noms en Algérie. Il s’agissait d’un cycle de conférences réparties sur deux jours (les 2 et 3 novembre 2014), dédiées à la reconstitution de notre histoire sociale et culturelle à travers une approche «onomastique», mot savant qui désigne la science des noms. Si la première journée s’est concentrée sur la «toponymie», c’est-à-dire les noms de lieux, la journée de mardi, quant à elle, a été consacrée à l’étude des noms propres (ou «anthroponymie») issus de notre patrimoine onomastique.
Le colloque a été organisé à l’initiative de l’Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (Rasyd), relevant du Crasc. Et comme ont tenu à le souligner les organisateurs, ce colloque s’est voulu aussi un hommage à Mostefa Lacheraf et fit, d’ailleurs, largement écho à son dernier livre majeur, Des noms et des lieux (Casbah, 1998). Parmi les intervenants à ces rencontres, le professeur Farid Benramdane a régalé l’assistance par un exposé de haute facture sur l’origine des noms propres en Algérie en mettant à nu l’entreprise de dislocation filiale perpétrée par l’état civil colonial à partir de 1882.
M. Benramdane est professeur à l’université de Mostaganem, directeur du laboratoire Environnement linguistique et usages du français en Algérie (Elilaf) et chef de la division toponymie dans l’unité de recherche Rasyd. Alliant érudition et pédagogie, le professeur Benramdane a expliqué que l’identité est d’abord une affaire de noms propres. «Chaque société a un stock de noms propres», a-t-il dit. Il a noté qu’historiquement, les noms, en Algérie, «sont des noms de synthèse». Il a distingué, à ce propos, trois souches fondamentales dont dérivent nos noms propres : la couche libyco-berbère, la couche arabe qui englobe aussi la strate phénico-punique, à quoi s’ajoutent ce qu’il a appelé «les contaminations étrangères» (gréco-latines, turques, espagnoles, françaises, etc).
Il a toutefois considéré que «le substrat de base reste le libyco-berbère». Il a souligné que «la terre et sa dénomination est au cœur du dispositif onomastique algérien. Les noms des grandes tribus fondatrices du Maghreb, les Sanhadja, Kotama, Matmata, Meknassa, Louata, Meghila, ont un sens par rapport au sol», alors qu’«au Machreq, (les noms des tribus) ont un rapport au sang».
«Les noms au Maghreb ont un rapport à la terre»
Farid Benramdane a indiqué que «quand on est sur cette couche (libyco-berbère), on est sur des milliers d’années». Il a cité, par exemple, «Idir» et sa variante «Yedder» : «Ce nom est inscrit sur une stèle archéologique datée de 2000 ans.» Il a ajouté : «Si vous voulez connaître dans une région les noms les plus anciens, il faut interroger les noms des cours d’eau et les noms des montagnes parce qu’ils restent sur des milliers d’années.» Le conférencier a fait défiler, moyennant un data show, des listes entières de noms embrassant de vastes ères généalogiques.
Dans le lot, des noms d’origine latine, à l’exemple de «Maaouche» qui vient de «Marius», «Hammadouche» de «Amadeus». Cet inventaire recense aussi les noms d’origine biblique comme «Rabéa», une déformation de «Rebecca», selon le conférencier. On l’aura compris : le propos du conférencier était de dire combien le patrimoine anthroponymique algérien est riche et, surtout, ancien. Citant par exemple la grande tribu des Zénètes, il a dit, en forme de boutade : «Les Zenata, c’est un nom tellement ancien que seul Dieu en connaît l’origine.» Le professeur Benramdane s’est attaché ensuite à disséquer le système de dénomination mis en place par l’administration coloniale. «La France a travaillé sur deux choses : la terre et la personne.
Pour la terre, il y a eu le Sénatus-consulte (1863), et pour les personnes, ce fut la loi sur l’état civil de 1882.» Le chercheur a souligné qu’à l’arrivée des Français, le système des noms en Algérie était à dominante ethnonymique. Il rappelle que l’Algérie était alors organisée en grandes confédérations tribales : «Il y avait bled Meknassa, bled Halouia, Beni Mediène, Beni Louma, Ouled Haouar, Ouled Derradji… C’étaient des noms de tribus qui étaient, en même temps, des noms de territoires.
Il n’ y avait pas de wilaya comme aujourd’hui. Tiaret s’appelait bled Sersou, Aïn Témouchent, c’était bled Oulhaça, Batna, c’était bled Nememcha. Mais la France a cassé tout ça. Il fallait casser la tribu, casser le territoire pour occuper l’espace.» Le conférencier a poursuivi : «Le système de filiation était de type agnatique (lignée basée sur les ascendants hommes, ndlr), patrilinéaire et tribal, avec la chaîne des prénoms. Exemple : Ali ben Mohamed ben Slimane. Dans notre tradition, la filiation est orale. La France, c’est l’écrit. La France va imposer le nom de famille.» Pour Farid Benramdane, la chaîne anthroponymique traditionnelle consacrait une identité séculaire, «tandis que là, on te donne un nom de famille qui n’a aucune identité».
Citant Ageron, il a dit : «L’état civil devait être une œuvre de dénationalisation». Le but était de «franciser les noms indigènes pour favoriser les mariages mixtes». «La francisation devait toucher les noms pour aboutir à la fusion des peuples.» A l’appui, ces quelques exemples édifiants : «Farid» qui devient «Alfred», «Naïma» se transforme en «Noémie», «Habib» en «Abib», «Hamr El Aïn» en «Hamerlin»… A partir de là, il ne faut pas s’étonner, a relevé l’orateur, qu’il y ait tant d’erreurs de noms, de dégâts patronymiques, dans les registres de l’état civil. «C’est parce que notre état civil perpétue ce qu’a fait la France.
Quand tu fais le S12, tu vas encore fixer la déstructuration au lieu de revenir à l’écriture originelle des noms», a regretté l’expert en onomastique. Pour lui, c’est un véritable «onomacide sémantique». Un massacre des noms.Analysant la structure de l’identité algérienne, Farid Benramdane a rappelé que celle-ci «est constituée de trois composantes : l’islamité, l’amazighité et l’arabité. Mais ce ne sont que des composantes. C’est un match de football avec trois ballons.
Qu’est-ce qui va faire le lien entre l’amazighité, l’arabité et l’islamité ? C’est l’algérianité qui est un mélange. Il y a des noms purement algériens». L’orateur nous apprend que parmi les noms inspirés des attributs de Dieu (asmaa Allah al hosna), «il n’y a qu’en Algérie qu’il y a Abdelkader», un nom qui donnera lieu à plusieurs déclinaisons typiquement algériennes : Kaddour, Abdekka, Kada, Kouider…
«Onomacide» et massacre des noms
Au cours du débat, Farid Benramdane est revu sur la pagaille orthographique constatée dans la transcription des noms. «C’est un très grand problème», dit-il. «Il n’y a pas un Algérien qui n’ait un problème avec son nom !» Le tribunal de Sidi M’hamed enregistre à lui seul, a-t-il rapporté, 40 000 requêtes annuellement de rectification de nom. «Ce qu’on a essayé d’expliquer aux autorités est que ce n’est pas un problème technique. Il y a des présupposés coloniaux qu’on ne maîtrise pas.
Tant qu’on ne revient pas aux fondements de l’état civil de 1882, on ne comprendra pas l’origine du problème.» Le professeur Benramdane a rappelé le travail qu’il a accompli avec d’autres chercheurs sur la question de l’état civil justement, et qui a donné lieu à un précieux ouvrage : Des noms et des… noms : état civil et anthroponymie en Algérie (Oran, Crasc, 2005). «Dix ans sont passés depuis ce livre. En dix ans, il y a eu au moins 7 millions de nouveaux-nés.
On aurait pu au moins normaliser les prénoms», a déploré l’orateur. Il a aussi évoqué le cas des familles de même arbre généalogique, et qui se retrouvent avec des noms éclatés. «La France a attribué des patronymes différents. Ils ont un même nom, mais avec des écritures différentes. Mostefa Lacheraf appelle cela ‘‘l’étiquetage’’. Pour maîtriser la rébellion, ils lui ont donné une lettre de l’alphabet à chaque douar. On a parqué les populations algériennes à partir des lettres de l’alphabet. L’administration ne se rend pas compte du degré de déstructuration qui a été commise pendant la période coloniale.»*Mustapha Benfodil–El Watan-Samedi 08 Novembre 2014
*Noms d’enseignes et pseudos facebook
Dans le même panel, mardi dernier, Lila Medjahed, maître de conférences à l’ENS de Mostaganem et directrice du projet «Anthroponymie dans les littératures algériennes» (Crasc) s’est intéressée aux références onomastiques dans l’imaginaire des écrivains algériens. Dans son corpus, elle s’est penchée notamment sur la production «diasporique», celle des écrivains issus de l’émigration. «De la diaspora émergent de nouvelles conceptions de l’algérianité», a-t-elle noté.
Une littérature qui a donné à lire des «représentations de l’algérianité en tant que construction identitaire dans la diversité de ses appartenances». Et de convoquer à ce propos l’œuvre de l’écrivain Sabri Louatah et son roman Les sauvages (Flammarion, 2012). Le roman met en scène un candidat d’origine algérienne, Idder Chaouch, qui s’engage dans l’élection présidentielle face à… Nicolas Sarkozy. A travers le personnage de Idder, la jeune chercheuse s’est interrogée sur les liens qu’entretient l’auteur avec sa culture d’origine.
Pour elle, les éléments onomastiques véhiculés par cette œuvre reflètent le regard d’une génération qui «est restée attachée à l’Algérie, et qui offre des représentations de l’algérianité dans une dimension multiculturelle». «La conception du ‘‘national’’ ne peut se faire qu’avec l’hétérogénéité des flux extérieurs d’immigrés» et au «contact des autres cultures» a-t-elle appuyé. «Et cela nous interpelle sur notre identité, nous qui vivons en Algérie», a ajouté Lila Medjahed en soulignant le fait que ces écritures permettent de «traiter l’identité dans toute sa complexité».
Une littérature qui tranche donc forcément avec le modèle identitaire hégémonique décrié par Arkoun dont la conférencière cite volontiers ces mots tirés de son ouvrage Maghreb, peuples et civilisation : «Ici encore, malheureusement, l’idéologie nationaliste privilégiant les seules références arabes et islamiques rejetant – à juste titre – l’usage politique fait de la période romaine par la science coloniale, a rendu difficile et précaire l’exploration de la dimension méditerranéenne de la personnalité maghrébine.»
Frontons à fantasmes
Autre intervenant : Azzedine Malek, doctorant à l’université de Mostaganem qui prépare une thèse sur les enseignes commerciales et les «écrits de la ville». Photos à l’appui, il a analysé les enseignes et les références socioculturelles de leurs auteurs. Il met l’accent sur leur esprit créatif, les libertés qu’ils s’autorisent avec la langue ou encore le phénomène de «l’oralisation de l’écrit» comme ce frontispice : «Quatre saisons : style amiricain» (sic).
Le conférencier a révélé également les ressorts affectifs et subjectifs qui déterminent le contenu de ces enseignes («Nasro télécom» en hommage à Cheb Nasro). Il a aussi mentionné les fantasmes qui les nourrissent («Pizzeria Régina»), la part de la mondialisation, du désir d’ailleurs, et l’influence du discours publicitaire, l’emprise mentale des marques internationales (boutique «Ray Ban», «Calvin Klein»). Dans ce florilège, il a décelé les pièges du bilinguisme, comme l’illustre cet écriteau contradictoire en migrant d’une langue à l’autre : «Madjzara taqlidiya / Boucherie moderne».
«Il veut bien suggérer qu’il offre des prestations modernes mais nous dit en même temps que c’est une boucherie traditionnelle en ce qu’elle respecte le rite musulman», a expliqué le chercheur. Retenons aussi ces incongruités presque oxymoriques dans cette pancarte : «Boucherie du bonheur», et qui ne manque pas de nous rappeler La boucherie de l’espérance de Kateb Yacine. Bref, un champ de recherche inépuisable. Azzedine Malek s’est intéressé, par ailleurs, à ce qu’il appelle «les écritures sauvages» par opposition aux enseignes et affiches officielles.
Les graffitis occupent évidemment une place de choix dans son travail. Citons, en l’occurrence, ce graffiti laissé par des harraga polyglottes : «Dignité-Amor/Imaginar Sonar/ Algérie Espagne/Tigdit/Libertad». «Les graffiti disent la ville d’une façon crue», a commenté l’orateur. Pour lui, «l’écriture dans la ville répond à un besoin communicatif, à une demande sociale». Autre thème qui passionne nos jeunes chercheurs : les pseudonymes, particulièrement ceux charriés par les réseaux sociaux.
Farid Benramdane témoigne : «J’ai une étudiante qui a préparé un magistère sous ma direction, et qui travaille sur les pseudonymes utilisés sur internet. Elle a recensé 3000 pseudonymes sur facebook.» Et d’ajouter : «Il y a une trentaine de thèses, entre magistère et doctorat, consacrées à l’onomastique.» «Il y a des dizaines de milliers de noms que nous sommes en train de recenser», assure notre expert. Farid Benramdane estime toutefois que beaucoup reste à faire : «Sur plus de 3 millions de noms de lieux, on n’a même pas recensé 100 000.» *Mustapha Benfodil–El Watan-Samedi 08 Novembre 2014
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*La généalogie, une passion à la recherche des repères identitaires
Le papier d’origine est un peu fané, l’encre défraîchie. Mais lorsqu’en 1994, il reçoit par la poste la reproduction de l’acte de naissance de son arrière-grand-père Jean-Louis Frugier, Stéphane Bazelaire reste subjugué. Les pleins et les déliés délicatement tracés à la plume cent ans plus tôt déploient sous ses yeux leur charme suranné. «Cette simple photocopie a immédiatement revêtu pour moi une valeur inestimable», se souvient-il. Stéphane a commencé à se frotter à la généalogie à l’âge de 17 ans. Un patronyme très rare dans sa région natale, des parents sans frère ni sœur… l’enfant unique avait envie d’en savoir davantage sur ses racines. «J’ai toujours posé des questions à mes grands-parents. J’avais fait quelques recherches, mais je manquais de méthode et je me suis découragé.» C’est l’arrivée du précieux document, quelques années plus tard, qui scelle définitivement son désir de plonger dans son passé familial. Stéphane découvre le plaisir «des heures passées à dépouiller les microfilms des archives; des informations disparues de la mémoire familiale, qui soudain surgissent du passé; de la découverte d’un mariage qui débloque une branche après des mois de stagnation». «La compilation de noms a peu d’intérêt, explique-t-il. Je préfère faire connaissance avec mes ancêtres, découvrir leurs métiers, leurs mœurs, la période historique qu’ils ont connue. J’ai de l’affection pour certains. C’est une passion sans fin: je ne passe pas une journée sans être en contact avec ma généalogie.» La généalogie n’est plus l’apanage des seniorsDepuis, Stéphane n’a pas cessé ses investigations. Aujourd’hui membre du conseil d’administration de l’association Amitiés généalogiques du Limousin, le jeune homme a rejoint la grande cohorte toujours plus nombreuse de ces mordus du patrimoine familial.
On aurait pu croire la généalogie réservée à quelques retraités qui, demi-lunes perchées au bout du nez, profitent de leur temps libre pour consulter les archives des sombres salles de lecture des préfectures. Mais, à 38 ans, Stéphane n’est pas une exception. L’activité n’est plus l’apanage des seniors en quête de loisirs. Généalogiste depuis de nombreuses années, journaliste à La Revue française de généalogie et écrivain, Pierre-Valéry Archassal a constaté la montée de cette fièvre généalogique. «La population de généalogistes a considérablement augmenté en trente ans. Là où il n’y avait qu’une poignée de chercheurs au début des années 1970, ils sont aujourd’hui des millions à se poser la question: d’où je viens?, assure l’auteur de Généalogie, une passion moderne (1). Même la fréquentation des salles d’archives, souvent bondées, s’en ressent!»
Selon une enquête Ipsos réalisée en mars 2010 pour le site genealogie.com, cette pratique intéresse d’ailleurs potentiellement 79 % des Français. En témoignent ces 61 % de sondés qui ont déjà effectué des recherches sur leur nom ou sur l’histoire de leur famille. Démocratisée, la généalogie est aussi en voie de rajeunissement. Etonnamment, les moins de 35 ans n’ont ainsi rien à envier à leurs aînés, puisque 65 % d’entre eux ont déjà pratiqué une quête plus ou moins poussée de leurs ascendants. Pourquoi cet engouement croissant pour une science tournée vers le passé? C’est qu’à l’heure où tous les ancrages semblent se relâcher, laissant chacun voguer dans des flots d’incertitude, il est difficile de trouver ses marques. Questionnements autour de la religion, remises en cause du politique, les Français ne savent plus à quel saint se vouer. D’autant que notre société mouvante ne leur laisse guère le temps de s’interroger sur ses transformations. «Dans une période où les repères deviennent plus flous, où l’on perd du sens, revenir sur son arbre généalogique est une façon de retrouver de la fixité, confirme Serge Guérin, sociologue spécialiste des seniors et auteur de La Nouvelle Société des seniors (2). Dans une société où tout va trop vite, on reprend son souffle, on arrête le temps.»
La famille père-mère-enfant n’est pas la seule référence
(Rue des Archives-Photomontage Le Figaro Magazine)
Et la crise économique qui sévit encore n’a rien arrangé à l’affaire. Lorsqu’on est confronté à la sinistrose qui asphyxie l’Hexagone, à un avenir incertain, regarder dans le rétroviseur rassure. «Les Français se vivent dans un moment de recul relatif, voient leur pays comme une puissance en retrait, ajoute Serge Guérin. Ils se tournent vers des périodes plus exaltantes, plus chargées d’histoire.»
Déjà, la seconde moitié des années 1970 avait vu apparaître ce besoin de retour aux sources. «En étudiant la première augmentation de généalogistes à cette période, je me suis rendu compte qu’elle correspondait à l’arrivée des crises pétrolières, traînant dans leur sillage la première récession économique de l’après-guerre», analyse Pierre-Valéry Archassal.
Dans cet environnement insécurisant, ne reste qu’un refuge: la famille. Sauf que le modèle longtemps immuable de ce cocon connaît lui aussi des changements radicaux. «La famille PME (père-mère-enfant) n’est plus la référence unique», précise Serge Guérin. Puisque les familles se décomposent et se recomposent, autant se replier sur ces ancêtres immuables.
Plus encore que ses voisins, la France a fait naître ce besoin chez ses concitoyens. Président de la Fédération française de généalogie, qui regroupe 152 associations de 62.000 membres, Michel Sementery a constaté cette exception historique française. «Notre pays a perdu sa ruralité bien avant ses voisins. Exilés de leurs campagnes pour s’établir en ville, les Français ont subi un déracinement familial plus précoce, qui leur a fait perdre la trace de leurs ancêtres plus fortement que les autres.» D’après l’enquête Ipsos, 48 % des personnes interrogées ne sont pas capables de fournir l’état civil d’au moins un de leurs arrière-grands-parents !
Diffuseur de la généalogie à travers de multiples émissions de radio et une vingtaine d’ouvrages, Jean-Louis Beaucarnot a observé «cette mode du régionalisme typiquement française. L’hypercentralisation française accentue encore ce sentiment de déracinement. Davantage coupés de leurs racines dans l’anonymat de la capitale, les Français ont ressenti de façon accrue cette perte identitaire. Les urbains et suburbains sont d’ailleurs les premiers concernés».
Autre spécificité nationale, la facilité d’accès aux sources documentaires. La France dispose d’outils incomparables pour effectuer son enquête. Pour consulter les registres, pas besoin, comme en Espagne ou en Italie, d’aller sonner à la porte d’un prêtre de campagne parfois peu disposé à aider les chasseurs d’ancêtres. «A la Révolution, toutes les archives ont été confisquées aux châteaux et églises, pour être classées, regroupées et soigneusement conservées dans chaque département. Et les lois successives ont offert le libre accès à tous les documents de plus de 75 ans», explique Michel Sementery. Résultat, le système d’archives français est un modèle du genre. Sans compter que le tissu associatif, particulièrement dense, a mâché le travail des Sherlock Holmes en herbe. «Les bénévoles ont fait un travail remarquable de dépouillement systématique, estime Jean-Louis Beaucarnot. Dès les années 1980, les associations ont travaillé en réseau, édité des bulletins regroupant leurs résultats.»
Le contexte historique n’est pas le seul moteur de cette démocratisation. Depuis quelques années, les nouvelles technologies y ont joué un rôle prépondérant, proposant sur la toile une véritable mine d’informations. Environ 70 % des départements ont désormais numérisé leurs archives pour les disposer sur le web. «Chaque généalogiste peut consulter ces sources officielles sans craindre pour leur fiabilité, se réjouit Pierre-Valéry Archassal. Les chercheurs ont aussi mis en ligne leurs arbres, créant de formidables bases de données.» Plus souple et plus accessible, la consultation en ligne a offert aux actifs la possibilité de partir en quête de leur lignée d’un simple clic, sans avoir à attendre les vacances pour sillonner la France.
L’initiative a largement servi à populariser un passe-temps déjà très bon marché. En témoigne l’enthousiasme provoqué par la diffusion des archives de Paris fin 2009. Depuis, les quelque cinq millions de fichiers disponibles ont été largement consultés, puisque 150.000 pages sont visitées en moyenne chaque jour.
Internet a aussi fortement dépoussiéré l’image jusque-là désuète de la généalogie, lui offrant une seconde jeunesse. «Les accros d’internet sont venus rejoindre les rangs des généalogistes traditionnels, observe Pierre-Valéry Archassal. Ce média a amené de plus en plus de jeunes à s’intéresser à leurs ascendants. Beaucoup ont saisi leur patronyme dans un moteur de recherche et se sont retrouvés pris au jeu.»
Mais la toile a ses limites. «Les nouveaux généalogistes, souvent jeunes, font preuve de moins de patience. Ils se contentent parfois de recopier des données, sans prendre le temps de vérifier leurs sources», regrette le rédacteur de La Revue française de généalogie.
L’engouement a en outre favorisé le développement d’un secteur marchand plus ou moins fiable. Créé par deux passionnés en 1996, Geneanet, site de partage de généalogies déposées par des chercheurs, met gratuitement à disposition plus de 436 millions de données. Le site est passé de 330.000 visiteurs uniques en 2006 à plus d’un million depuis le début de l’année. Regrettant les dérives de certains concurrents, l’entreprise exhorte ses abonnés à la vigilance. «Parfois recopiée par des collectionneurs d’ancêtres peu scrupuleux, une erreur peut se répandre comme une traînée de poudre, insiste Christophe Becker, son PDG. Nous incitons à associer chaque information à un acte authentifié.»
Ce désir de s’ancrer dans son terreau familial ne s’arrête pas à la reconstitution d’arbres généalogiques. D’autres pratiques ont aussi le vent en poupe. Ainsi, des cousinades d’un nouveau genre apparaissent, illustration de cette soif d’accroître sa lignée en multipliant ses cousins. Madeleine Arnold Tétard est l’une des organisatrices de la première heure de ces rassemblements familiaux étendus. «La généalogie m’a aidée à me réconcilier avec mes ancêtres, à commencer par mes parents. En découvrant leur jeunesse, j’ai pris conscience de nos traits communs, mieux compris leurs comportements. Mais une fois qu’on a exploré son ascendance, essayé de faire revivre ses aïeux, on a logiquement envie de revenir vers le présent pour ceux avec qui on partage ces ancêtres», raconte-t-elle.
On voit par ailleurs fleurir des sociétés spécialisées dans le recueil et la transmission des souvenirs familiaux. Pour contenter ces 59 % de personnes (3) qui veulent «transmettre une trace à leurs proches», photos, enregistrements, informations sur l’histoire ou les valeurs familiales, ces entreprises fleurissent. Comme Porte Plume Editions, qui propose aux familles de les aider à rédiger leurs biographies familiales.
Et pourquoi ne pas faire revivre un vieil écusson? Créé il y a deux ans, mesarmoiries.com numérise les blasons pour les reproduire sur différents matériaux, de la bâche aux tableaux, foulards, parapluies et autres chemins de table. «Cela séduit les plus jeunes, peu désireux de porter la chevalière familiale», note Guillaume Chalvin, son créateur.
L’entreprise Perles d’Histoire, elle, s’est tournée vers la réalisation de longs-métrages sur la mémoire familiale de ses clients, à travers le récit d’un personnage référent, souvent le dernier de sa génération, filmé en situation. «Nous rassemblons les histoires éparses qui tournent dans les dîners familiaux pour leur donner une cohérence, précise Pauline Le Clere, sa fondatrice. Les familles redécouvrent leurs aînés, les légendes familiales, les mœurs ou la vie de personnages clés de leur lignée.»
Family Moovie, qui assure la restauration des films d’antan, réparant, nettoyant, assemblant et numérisant, du super 8 au 95 mm, n’aurait pas soupçonné la force de cette quête identitaire. «Même les jeunes couples viennent nous voir, conscients de la valeur patrimoniale de ces images d’un passé heureux. Ils redécouvrent des moments oubliés, bouche bée par la puissance émotionnelle de ces tranches de vie ». (Le Figaro-22.07.2011.)
(1) Bourrin Editeur, février 2006, 233 pages.(2) Michalon, janvier 2011, 180 pages.(3) Enquête réalisée par Ipsos Marketing pour Marketing Magazine en janvier 2010.
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Cousins, cousines depuis près de 400 ans
Plus de 120 membres de la famille Rapin se sont retrouvés dans les Vosges pour fêter leurs ancêtres. Certains ne s’étaient jamais vus.
Accroupie auprès de sa petite- fille, Françoise parcourt d’un doigt rapide un immense tableau. L’index danse sur le papier, zigzaguant de nom en nom. «Attends, ma chérie, je te cherche», explique-t-elle. Le nez froncé, concentrée et l’air docte, Louna, 5 ans, imite le geste de son aïeule. «Ah, tu es là, regarde!» annonce la grand-mère. Immense sourire de satisfaction de la fillette. «Oui, et là, ce sont maman, papa, tonton, tata…» énumère l’enfant ravie.
Dressés devant elles, deux arbres généalogiques se déploient, majestueux et gigantesques, sur 22 mètres. Le long des branches, 2600 noms s’égrènent, myriade de minuscules parchemins émaillant les feuilles de papier. Autour de Françoise et Louna, chacun scrute les patronymes à la recherche de ses ascendants. En ce dimanche 22 mai, plus de 120 personnes se sont réunies à Châtenois (Vosges).
Le but de ce rassemblement peu ordinaire: fêter Vincent et Nicolas, leurs ancêtres communs respectivement nés en… 1641 et 1644 ! Exilés de leur Maurienne natale pour aller repeupler une Lorraine décimée par la guerre de Trente Ans, les frères, tous deux chanvriers, sont les plus lointains parents connus de la lignée des Rapin.
La plupart des participants ont beau partager ce nom, beaucoup ne se sont jamais rencontrés. Pourtant, les héritiers semblent liés par le fil invisible de leur histoire et de leurs terres communes. Partout, les grappes d’invités se mêlent, s’embrassent, se donnent du «cousin, cousine» à qui mieux mieux, comme mus par une complicité instinctive. Et la convivialité joyeuse qui emplit la salle n’est pas feinte. «Vous ne seriez pas monsieur Rapin?» plaisante un sexagénaire en guise de salut à son voisin.
«Généralement, les cousins éloignés ne se voient qu’aux enterrements»
Certains n’ont d’ailleurs pas hésité à parcourir un long chemin pour célébrer leurs attaches ancestrales. «Même si je ne connais quasiment personne, raconte une habitante de Saint-Emilion, j’ai la sensation étrange d’être vraiment en famille, parmi les miens.»
Descendant de Nicolas, André Rapin est le grand ordonnateur des festivités. «Généralement, les cousins éloignés ne se voient qu’aux enterrements, remarque-t-il. J’ai voulu organiser un événement plus festif.» Un an qu’il prépare cette cousinade à part. Le rassemblement est aussi le résultat de dix ans de recherches effrénées pour ce fondu de généalogie. Une passion qui l’a rapproché de Claude Foissey, son cousin au 4e degré. «Comme lui, j’ai traîné ma famille sur les traces de mes ancêtres, sacrifiant nos vacances pour parcourir les cimetières et dépouiller les archives, dit ce dernier, amusé. En partageant ce plaisir dévorant, nous sommes devenus comme des frères.»
Intarissables sur la guerre de Trente Ans, les batailles napoléoniennes ou le métier d’éleveur de porcs exercé par de nombreux ascendants, les deux hommes font figure d’oiseaux rares. Mais ne sont pas seuls à apprécier de situer la petite histoire dans la grande. Affublée d’un deuxième «p» à la suite d’aléas administratifs, Yvette Rappin tenait à être là. «Je voulais représenter mes parents. Mais je ne pensais pas qu’en savoir plus sur ses racines procurait autant de plaisir.» Jamais elle n’aurait imaginé ressentir une telle émotion à l’inauguration de la rue au nom du résistant Roger Rapin à Dommartin-sur-Vraine, organisée la veille.
De la doyenne de 88 ans aux bébés agrippés à leurs parents, les cinq générations en présence puisent dans la cousinade des plaisirs variés. D’anecdotes en légendes familiales, les souvenirs émergent, bourgeons fleurissant sur les branches de l’arbre. Joëlle relate la vie de son aïeule Henriette, brodeuse officielle de l’Elysée. Et Fabienne se lance dans le récit de la naissance de ses jumelles Eva et Léa.
Même les ados ont fini par délaisser leur portable pour tenter un rapprochement prudent vers leurs congénères. «Lorsque je suis allée à la cousinade de mon père, j’ai créé des liens avec des cousins de mon âge, raconte Océane, 17 ans. J’avais envie de renouveler l’expérience.» Louna, elle, a abandonné ses ancêtres pour une partie de un, deux, trois, soleil avec Louise. Forgeant, comme si de rien n’était, les futurs souvenirs qui lient les cousines ordinaires. (Le Figaro-22.07.2011.)
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