ce qui se tramait au conseil des professeurs

Si Boudjemaâ avait froncé les sourcils en apprenant que son camarade était au courant de ce qui se tramait au conseil des professeurs. Et il ne lui en avait jamais fait part! «Comment? Tu m’as caché, tu nous as caché des informations et ce n’est que quarante-cinq ans après que tu en parles!
- J’étais gosse. J’avais peur des conséquences que mon indiscrétion pouvait causer si jamais j’ouvrais la bouche. Et puis ce ne serait pas loyal envers mon informatrice, madame R…, notre professeure de sciences. Tu te souviens de madame R…? Bien sûr, une jolie dame, toujours bien habillée et très maquillée. Elle était très correcte et très gentille. Elle était mariée je crois à un inspecteur d’Académie. Exactement! Après quelques cours, cette professeure a été séduite par ma spontanéité et par ma turbulence tout autant qu’elle était sensible à la pauvreté que pouvait dénoter ma tenue vestimentaire. Elle s’est enquise de ma situation sociale, et un jour, elle m’a invité à déjeuner chez elle. J’ai alors fait la connaissance de son mari qui était un ancien résistant français et de ses deux enfants, un garçon et une fille, qui avaient approximativement mon âge mais dont les résultats scolaires étaient peu brillants, d’après les confidences de la mère. Figure-toi que madame R., m’avait mis au courant des bagarres qui avaient lieu au conseil des professeurs.
C’était pire qu’à l’ONU. Madame B., professeure principale défendait surtout les petits Européens en présentant des arguments dérisoires comme la tenue en classe, contre les élèves d’origine algérienne. Concernant mon cas, les professeurs de sciences, de langues et d’histoire qui étaient des Français de France se sont ligués contre elle et l’ont mise en minorité.
Cette confession m’avait un peu ouvert les yeux, car j’avais compris que l’attitude du professeur envers nous avait changé dès lors que nous avions participé à la petite grève qu’on avait faite à l’occasion de l’assassinat de Mouloud Feraoun et des manifestations intra-muros pour une Algérie Algérienne. La professeure de sciences était solidaire des Algériens et la professeure de latin, des pieds-noirs. Mais ne crois pas que l’ambiance se soit améliorée pour autant au conseil des professeurs. Celui-ci n’est que le reflet des relations sociales existant en dehors. J’ai vu des responsables d’établissement organiser les classes selon l’origine sociale des élèves. J’ai vu des professeurs adopter des conduites différentes selon la position des parents.
- Pour cela, il y a longtemps que je m’en suis aperçu, ajouta Si Boudjemaâ. D’ailleurs, je trouve que le fait que chaque professeur, en début d’année, demande à chaque élève de remplir une fiche informative, n’est pas innocent. Mais que veux-tu, un enseignant est un citoyen comme les autres et en temps de pénuries ou de vaches maigres, chacun essaie de trouver ailleurs ce que le maigre salaire ne permet pas. Mais ce que je trouve criminelle, c’est la décision d’un directeur de CEM qui a collé à la même classe, deux années durant, un professeur de mathématiques, alcoolique et absentéiste. Les conséquences furent désastreuses pour toute la classe.» (L’Expression-04.03.2010.)