Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école
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Le neuroscientifique Daniel T. Willingham a démontré que les exercices répétitifs sont nécessaires au développement de la réflexion, dès le plus jeune âge.
Un spécialiste américain du cerveau explique que l’acquisition de la culture générale est la clé de la réussite scolaire.
«L’imagination est plus importante que le savoir.» La phrase a beau être signée Albert Einstein, nous sentons confusément qu’elle relève de ces gentilles lubies de génies incapables de comprendre ce qu’ils doivent à une école, certes rigide, mais qui les a faits ce qu’ils sont. Mais Daniel T. Willingham, qui cite ces mots au début d’un des chapitres de son livre, Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école (La Librairie des écoles, traduit de l’anglais), ne se contente pas de signifier sa réticence à l’énoncé du physicien allemand. L’homme est professeur en psychologie cognitive à Harvard, spécialiste du fonctionnement du cerveau, et tout l’objet de son ouvrage est justement de démontrer, à partir de données scientifiques sur les rouages de la mémoire et de la réflexion, combien l’absence de connaissances interdit toute imagination, et tout apprentissage de compétences.
Pourquoi, diable, retenons-nous mieux un texte consacré à un sujet dont nous maîtrisons quelques notions, alors que toute donnée sur un domaine nouveau s’efface inexorablement de notre mémoire? C’est à partir de ce genre d’interrogation simple, comme à partir d’exemples concrets, que Daniel Willigham construit son raisonnement. Est-ce une question de motivation, comme l’affirment nombre de pédagogues, en France ou, avant eux, aux États-Unis? Absolument pas, répond le neuroscientifique, puisque des gens à qui l’on inculque les bases sur un sujet, le football ou les circuits électroniques, auquel ils ne connaissaient rien et qui donc ne les intéressait pas, retiennent mieux de nouvelles données que ceux qui n’ont pas reçu cette formation préalable.
La réponse relève du bon sens, mais elle a plus de force encore quand elle s’appuie sur des études précises: ce n’est pas la «motivation», la «proximité avec le sujet» qui détermine notre capacité à engranger des informations et à les comprendre, mais notre culture générale. Pas de compétences sans un savoir préalable. Apprendre à apprendre ne sert à rien sans un minimum de contenu. Pire, le psychologue démontre combien toute carence de culture générale creuse immédiatement les inégalités, puisque seul le riche s’enrichit: plus on possède de connaissances, et plus on est capable d’en accumuler rapidement. D’où, explique-t-il, cette chute de niveau que l’on observe en CM1 chez les élèves de milieu défavorisé pourtant capables de déchiffrer des textes, mais incapables d’en saisir les non-dits et les références implicites.
Dans un langage simple, et par de petits exercices de réflexion, Willingham fait comprendre à son lecteur le processus qui fait que le cerveau puise dans la «mémoire de long terme» les informations qui lui permettront de résoudre un problème dont les différentes données viennent de présenter à lui et solliciter sa «mémoire de travail», lieu de la réflexion.
Faciliter l’apprentissage
La mémoire de travail, vite saturée, a besoin de se référer à ce qui est connu, à ce qui est stocké dans la mémoire de long terme. Conclusion, il faut nourrir la mémoire de long terme, et pour ce faire, s’exercer pour «automatiser le processus qui permet de faire glisser les informations vers notre mémoire de travail». Bref, pratiquer ces exercices systématiques que les «résistants» aux nouveaux programmes du primaire jugent abêtissants et indignes.
De ce genre de constat, Daniel Willingham tire quelques conseils aux professeurs sur la façon dont ils doivent construire leur pédagogie pour faciliter l’apprentissage chez leurs élèves. Il cite en exemple ce professeur qui, pour faire comprendre à ses élèves la condition des esclaves noirs américains, aidés dans leur fuite vers le nord par quelques abolitionnistes, mais obligés de se nourrir de biscuits, leur faisait fabriquer lesdits biscuits à base de farine et d’eau. On ne retient que ce à quoi l’on réfléchit, nous dit Willingham, et ces élèves ne se souviendront que de leur recette de cuisine. Le meilleur démenti aux Itinéraires de découvertes et autres Travaux personnels encadrés vantés par les tenants de l’école ludique. (Le Figaro-25.11.2010.)
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*Phénomène du décrochage scolaire dont sont victimes de nombreux enfants chaque année
**C’est l’école qui ne veut pas de moi !
Le phénomène du «décrochage» scolaire dont sont victimes de nombreux enfants chaque année, a été le thème d’une journée d’étude organisée récemment par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) à Oran.
Décrochage scolaire et déscolarisation : facteurs déterminants et procédures institutionnelles d’accrochage» a été le thème central de cette journée d’étude. Plusieurs intervenants ont tenté de décortiquer les raisons pour lesquelles l’élève, peu à peu, rejette l’autorité professorale avant de rejeter, pour de bon, le système éducatif.
Il faut comprendre que le décrochage de l’élève ne se fait pas du jour au lendemain, mais s’installe peu à peu, au fil des semaines, voire au fil des années académiques. Dans cette optique, le professeur Aïcha Benamar, chercheure au Crasc, a essayé, lors d’une communication intitulée «Parcours de décrocheurs et images de l’école chez leurs parents», de décortiquer les raisons qui conduisent les élèves à cette déperdition scolaire. Pour cela, elle s’est appuyée sur le parcours de huit jeunes «décrochants», certains vivant à Oran et d’autres à Adrar, tous âgés de moins 16 ans.
Elle a enrichi son enquête en faisant parler les parents de ces élèves sur «l’école en général et son échec en particulier». «Si certains travaux montrent que les variables familiales sont des facteurs de risque, la communauté éducative (acteurs pluriels) au sens qui lui est attribué par la loi d’orientation 08-04 du 23 janvier 2008 (article 19, titre II), est concernée par le maintien à l’école des enfants de 6 à 16ans», précise-t-elle dans sa communication.
L’enquête menée par le Pr Benamar a consisté donc à poser une série de questions aux élèves «décrochants» avant d’en poser d’autres à leurs parents — à noter que sept des parents d’élèves interrogés sont des femmes pour un seul homme. D’abord, pour ce qui est des raisons de l’abandon scolaire, la plupart des élèves interrogés ont répondu que l’abandon a été fait sur décision personnelle, c’est-à-dire qu’ils ont été seuls décisionnaires de l’arrêt de leur cursus scolaire. Quand on leur demande pour quelles raisons ils ont quitté les bancs de l’école, les réponses diffèrent selon qu’ils sont d’Adrar ou d’Oran.
«Je ne veux pas rester à l’école pour rien !»
Esquisse des réponses d’élèves «décrochants» à Oran : certains avancent qu’ils n’avaient «pas envie de rester pour rien», d’autres qu’ils «s’ennuyaient en classe», ou encore qu’ils «ne supportaient ces pacotilles». On peut citer encore «je voulais faire autre chose», «c’était du temps perdu», «je voulais gagner un peu de flouss», «le climat de l’école n’était pas bon (violence)», «c’est l’école qui ne voulait pas de moi», «les enseignants ne faisaient pas attention à moi» ou enfin «les enseignants ne savent pas enseigner».
A Adrar, les réponses divergent quelque peu : «Mes notes n’étaient pas bonnes», «je ne me sentais pas bien», «c’était trop difficile», «je voulais aider ma mère». Car il y a ce point aussi, explique le Pr Benamar : bien souvent à Adrar, certains élèves «décrochent» pour aider leur parents. «Certains vous disent qu’ils doivent travailler ou que leur mère est seule à s’occuper du jardin familial et qu’ils doivent lui venir en aide. Il y avait même une époque (même si ça a changé aujourd’hui), où on mariait une collégienne au sortir du collège». L’autre phénomène qui incite à ce que l’élève décide de quitter l’école est bien le taux d’absentéisme élevé (en moyenne 6 fois par mois).
Là encore, les réponses des élèves, que ce soit ceux d’Oran ou d’Adrar, ne manquent pas d’étonner : «Les cours ne me plaisaient pas», «je n’aimais pas l’enseignant, du coup, je m’absentais à son cours», «j’aidais mes parents», «les profs n’étaient pas justes», «j’étais mieux dehors», «j’étais fatigué de temps en temps», «je ne voulais pas me forcer», «on ne perd rien quand on est absent», «on n’est pas obligé d’y aller tous les jours», «les programmes n’étaient pas intéressants».
Cette dernière réponse ne manque pas de faire sourire car elle indique que de nos jours, c’est à l’élève qu’appartient le rôle d’évaluer le programme scolaire. Mais il faut préciser, dit encore le Pr Benamar, que cette situation incombe également au fait qu’il n’y a pas d’évaluation préalable : «Parfois c’est l’enseignant lui-même qui ne maîtrise pas la discipline. On prend le tout-venant ! Ainsi, certains enseignants diplômés en arabe, enseignent les mathématiques ou le français…» Qu’y a-t-il lieu de faire ? «Au niveau du ministère, on a élaboré une stratégie, cependant cette stratégie couvrira-t-elle tout le territoire national», se demande encore le Pr Benamar.
Pour ce qui est des antécédents scolaires de ces huit élèves ayant décroché, les entretiens avec eux ont démontré que les difficultés en classe se situaient surtout en français et en mathématiques puis, dans une moindre mesure, en anglais et en sciences naturelles.
Pour ce qui est de l’interrogation des parents de ces décrochants, ce qui en ressort est qu’ils imputent l’échec scolaire de leurs enfants, en premier lieu, à l’école et à l’Etat.
Ils avancent que leurs enfants ne se plaignaient jamais de ce qu’ils vivaient à l’école et que d’une manière générale, il n’y avait aucun contact famille/école (sauf en cas de convocation des parents par les enseignants ou l’administration). Pour ce qui est de l’absentéisme, beaucoup de ces parents balayent ce phénomène d’un revers de la main : «L’absentéisme, et alors ?»
«Dans l’imaginaire collectif, nous explique le professeur, une fois que le parent met son fils à l’école, c’est l’Etat qui doit se débrouiller pour l’habiller et le faire manger et l’école doit le sortir avec un diplôme.» Ces parents d’élèves affirment aussi que les enseignants ne font pas le travail pour lequel ils sont payés et que «les directeurs d’établissement ne les respectent pas». Sur ce chapitre, on peut déduire que la responsabilité du décrochage scolaire chez l’élève est pour le moins partagé : il y a d’un côté la permissivité de l’Etat et, de l’autre, la démission des parents.
Enfin, en remarque conclusive, le Pr Benamar affirme que l’axe de recherche à laquelle elle a pris part en vue de cette journée d’étude sur le décrochage scolaire «a exploré le rapport à l’école de jeunes décrocheurs de moins de 16 ans et analysé quelques unités discursives extraites des entretiens. Considérant leur trajectoire contrasté, l’axe a tenté d’examiner les processus qui concourent à leur rupture».
Aussi, «l’approche préconisée cette année académique 2015-2016 devra être basée sur les entretiens approfondis à caractère biographique avec des enseignants et chefs d’établissement pour tenter d’émettre quelques hypothèses explicatives, car le résiduel quantitatif ne peut pas nous aider. Reste à décider, à travers d’autres trajectoires singulières de décrocheurs, les traits communs et les divergences nous permettant d’émettre de nouvelles hypothèses».
L’exigence de qualité
Les spécialistes préfèrent le terme «décrochage» pour parler de déperdition, car ils considèrent le phénomène comme une extension de l’absentéisme qui se solde par l’abandon. Cette question a été débattue lors de cette journée d’étude. A travers la loi d’orientation 08-04, le gouvernement s’était fixé, il y a huit ans, l’objectif de permettre à 90% des élèves scolarisés en première année primaire d’atteindre la quatrième année du cycle moyen en 2015 sans redoubler.
D’après les chiffres présentés par Baghdad Lakhdar, expert consultant en sciences de l’éducation, il y a un vieillissement de la population scolarisée à tous les niveaux et les redoublements explosent, notamment en première année du cycle moyen. «Le tiers des élèves scolarisés au primaire sont plus âgés que les autres. Au BEM, 61% des candidats sont plus âgés que l’âge normal alors que 96,51% des candidats au bac ont plus de 18 ans», a révélé l’expert. En bref, il y a un retard de scolarité à tous les niveaux.
Cependant, ce vieillissement de la population scolaire a-t-il permis une meilleure rétention des élèves et moins de décrochage ? Pas forcément, puisque les objectifs quantitatifs assignés se heurtent à la réalité d’une exigence de qualité et les disparités existant entre les établissements des 48 wilayas du pays, mais aussi le fossé qui se creuse entre les établissements d’une même commune. Ceci est à conjuguer avec les conditions sociales dans lesquelles évoluent enseignants et enseignés.
Sur ce point, Mme Rosa Mahdjoub, de l’Institut national de recherche en éducation (INRE), préconise une enquête approfondie pour «trouver le ou les coupables responsables de cette situation». Mme Nekkal Fatima, enseignante chercheure à l’université Oran 2, préconise : «Il faut des pratiques pédagogiques différentes avec plus de justice et d’humanisme (…) Certes, les taux de réussite augmentent d’une année à une autre, mais diminuent d’un palier à un autre.» Mme Nekkal a donné l’exemple de la Finlande où l’expérience du système s’éducation donne à l’école tout son sens.**Akram El Kebir et Redouane Benchikh / el watan/ 18 février 2016
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* Le métier d’enseignant fait moins rêver
Après avoir effectué, vendredi 2 septembre 2011, leur prérentrée, 860 000 enseignants en France retrouvent lundi 5 septembre dans les salles de classe leurs 12 millions d’élèves.
L’évolution du nombre d’inscrits aux concours de l’enseignement laisse entrevoir une baisse d’attractivité du métier de professeur.
Conscients des difficultés d’exercice, les nouveaux enseignants abordent leur carrière avec davantage de « réalisme ».
Sophie Sabbat n’a pas même attendu de sortir de l’adolescence pour choisir sa voie professionnelle. Dès la classe de seconde, elle a su qu’elle ne quitterait pas de sitôt l’univers de l’éducation. Dix ans plus tard, après une première tentative infructueuse au concours, elle fait aujourd’hui sa rentrée en tant que titulaire dans une école primaire de la banlieue parisienne. L’année de stage n’a en rien entamé sa détermination. « Le professorat continue de me faire rêver », assure la jeune femme, désireuse de se « rendre utile » en aidant « ceux qui représentent l’avenir de notre société ».
Sophie Sabbat a le sentiment d’être entourée de collègues débutants qui partagent le même enthousiasme. Et pourtant, à considérer les chiffres des inscriptions aux concours, on peut douter de l’attractivité du « plus beau métier du monde », pour reprendre les mots du ministre Luc Chatel. En novembre dernier, 21 000 personnes ont passé les épreuves d’admissibilité, contre 38 000 lors de la session précédente (1). Une désaffection en partie seulement enrayée cette année : le nombre d’inscrits a augmenté de 11 % pour les concours externes du second degré et de près de 3 % pour ceux du primaire.
Responsable d’un master en éducation et métiers de l’enseignement du premier degré, diplôme géré par l’IUFM de Créteil pour le compte des quatre universités de l’académie, Jacques Crinon bénéficie d’un point d’observation sans pareil. Ce professeur d’université est formel : « On va vers une crise du recrutement. » Une crise qui n’est pas sans lien avec la réforme de la formation, mise en place l’an dernier sous le feu des critiques. Cette fameuse « masterisation » oblige les futurs professeurs à décrocher un bac + 5 avant d’entrer dans le métier, alors que dans l’ancien système ils bénéficiaient, une fois obtenu le concours, à bac + 4, d’une année de stage avec une vraie rémunération.
Campagne de publicité pour tenter d’attirer de nouvelles recrues
« Quand nous avons fait le tour des facs, l’an dernier, pour présenter aux étudiants de licence les possibilités de préparer les concours de l’enseignement, beaucoup nous ont dit qu’ils ne s’imaginaient pas s’engager dans des études si longues conduisant à un concours à l’issue forcément incertaine. Chez ceux qui ne peuvent pas compter sur le soutien financier de leurs parents, le nouveau système s’avère dissuasif », relève Jacques Crinon. D’autant que, à présent, la deuxième année nécessite de mener de front deux activités aux logiques différentes, d’une part la préparation du concours, de l’autre un travail de recherche avec la rédaction d’un mémoire. Ceux qui sont admis mais ne valident pas leur master conservent le bénéfice de leur réussite au concours pendant une année seulement, au cours de laquelle ils doivent impérativement obtenir leur diplôme…
Pour Josette Théophile, la directrice des ressources humaines de l’éducation nationale « avec 500 000 inscrits en master 1 contre 800 000 personnes qui obtiennent leur licence, le vivier s’est forcément resserré. Mais on observe une élévation du niveau des candidats. Alors que le niveau d’exigence a été relevé, les notes obtenues sont meilleures », se réjouit l’ancienne « DRH » de la RATP. Dans le premier comme dans le second degré, on compte en moyenne un poste pour huit candidats. « Un taux de sélectivité correct », aux yeux du ministère, même si certaines matières, comme les mathématiques, connaissent une situation quasi critique, avec pas moins d’un poste pour trois candidats.
Confronté à une érosion plus ou moins forte dans la plupart des matières, le ministère de l’éducation nationale a été contraint, au printemps dernier, de lancer une campagne de publicité pour tenter d’attirer de nouvelles recrues. Car s’il a choisi de ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires partant à la retraite – un message d’austérité qui aura sans doute détourné certains jeunes d’une possible carrière dans l’enseignement –, il lui faut tout de même embaucher quelque 17 000 nouveaux professeurs.
Pour certains débutants, « le rêve tourne donc au cauchemar »
Cette opération de communication, lancée peu de temps après une campagne similaire conduite dans l’enseignement catholique, en dit long sur la « banalisation » de la profession. « Temps de travail, durée des vacances, etc. Le métier d’enseignant a perdu son caractère exceptionnel, privilégié, analyse le sociologue François Dubet, professeur à l’université Bordeaux 1 et directeur de recherche à l’École supérieure des hautes études en sciences sociales. Il a surtout, en l’espace de quelques décennies, perdu une bonne part de son autorité. » D’où une certaine forme de crispation dans les rapports entre le corps professoral et la société. « On en demande de plus en plus aux enseignants qui, de leur côté, adoptent souvent une conception plus étroite de leurs obligations », note-t-il.
Autre évolution : le thème de la souffrance au travail est de plus en plus prégnant. Christian Chevalier, le secrétaire général du SE-UNSA, n’hésite pas à parler de « profession difficile, voire anxiogène » sur fond de « démantèlement de la formation des enseignants ». Ce que constate aussi le sociologue Patrick Rayou : « On sait depuis longtemps qu’il peut être usant d’enseigner au collège, notamment parce que beaucoup d’élèves manquent d’appétence pour les savoirs et sont éloignés des connaissances scientifiques. Mais désormais, il n’est pas rare d’être confronté aux mêmes difficultés dès le primaire. »
Pour certains débutants, « le rêve tourne donc au cauchemar », assure Patrick Rayou. « Les autres, et ce n’est peut-être pas plus mal, abordent leur métier avec un peu moins d’enthousiasme que leurs aînés, mais avec davantage de réalisme, voire de professionnalisme. » En d’autres termes, leur entrée dans l’éducation nationale est moins vécue en termes de vocation. Beaucoup, désormais, choisissent le professorat avec pour vague projet d’embrasser une autre carrière, après un laps de temps plus ou moins long. À l’inverse, on croise aussi dans les salles de classe des personnes qui, avant d’enseigner, ont travaillé pendant des années dans des entreprises, un phénomène assez récent.
La relative perte d’attractivité du métier d’enseignant constitue en tout cas, souligne le sociologue, une évolution qu’ont vécue, bien avant la France, d’autres pays, notamment dans le monde anglo-saxon. « En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, le taux d’abandon du métier dans les cinq années qui suivent la prise de fonction est compris entre 25 et 50 %. Dans ces pays, le leitmotiv est “former et maintenir en emploi” les professeurs », indique-t-il. « La France, qui connaît de façon structurelle un fort taux de chômage chez les moins de 25 ans, a longtemps été épargnée par cette tendance lourde parce que les professeurs, en tant que fonctionnaires, jouissent d’une précieuse stabilité de l’emploi. Mais une rupture semble aujourd’hui possible. »
(1) Pour cause de réforme de la formation des enseignants, ces deux sessions, il faut le préciser, s’étaient tenues dans des délais rapprochés. (La Croix- 04.09.2011.)
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*BAGARRES, AGRESSIONS ET ALTERCATIONS DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
La violence fait école
Profitant de l’impunité, les élèves vont jusqu’à oser des agressions contre leurs enseignants.
Le phénomène de la violence scolaire a atteint des proportions inquiétantes. La violence est en train de proliférer en touchant même les cours de recréation et les salles de classes. La place de l’école prend un sérieux coup et la «sacralité» de l’école perd du coup toute son aura de jadis. Les événements dramatiques de ce genre sont légion. «Quatre élèves d’un CEM à l’est d’ Alger avaient isolé et frappé à coups de pied sur le crâne leur camarade de 14 ans», raconte une enseignante en déplorant que «les dégâts neurologiques seront peut-être irréversibles».
«Une lycéenne a giflé en plein cours son enseignante», regrette son collègue. «L’usage de la drogue, armes blanches dans le cartable ou dissimulées, absentéisme et mensonges persistants s’ajoutent au lot de bêtises hélas! fréquentes à l’école», signale-t-on. Au-delà des établissements scolaires, la délinquance, voire la criminalité juvénile est en plein essor. La tragédie nationale n’explique pas tout, car les inégalités sociales sont telles que «l’angoisse des enseignants est ressentie plutôt dans une école accueillant les enfants du bidonville ou des quartiers-dortoirs que dans un autre endroit plus ou moins nanti», témoignent les enseignants. Pourquoi la violence scolaire augmente-t-elle? Pour certains, la démission des parents, signe d’un déséquilibre du foyer familial, l’inversion de l’échelle de valeurs et la mauvaise exploitation de l’impunité accordée à l’élève suite à l’interdiction du châtiment corporel y sont pour quelque chose.
Racket, insultes, vols, menaces verbales, extorsion, tapage, bagarres, gangs, armes blanches et parfois vandalisme ne sont plus des écarts de conduite mais des pratiques quotidiennes accrues dans nos écoles. Toutes ces «bêtises» sont pratiquées par des garçons et peu fréquemment par des filles. La maison, la rue, les stades et même l’école sont désormais des lieux qui regorgent de violence intériorisée et reproduite à l’infini. A chaque fois qu’on passe devant un établissement scolaire, on assiste à des scènes de violence choquantes.
Ce sont des enfants, des collégiens, des lycéens ou stagiaires qui échangent toute sorte d’insultes dans le meilleur des cas. Sinon ils en viennent carrément aux mains.
«On donne de moins en moins de temps à l’éducation des enfants qui deviennent de nos jours une surcharge souvent embarrassante pour le père et la mère influencés par les exigences de la vie de plus en plus dure», dira une psychologue. Or, l’abdication et le détachement des parents, bon gré mal gré, les rattrapent souvent.
Dès lors, l’ enfant ou l’adolescent moins contrôlé et de plus en plus ignoré, est incapable de se repérer. De ce fait, en se repliant sur soi-même, l’enfant «choisit la violence» pour prouver son existence et dire: «Je suis là.» Si la disparition du châtiment corporel à l’école est une chose positive, il n’en demeure pas moins qu’ «elle est une nouvelle dose qui annihile toute crainte chez l’enfant alors que la majorité des parents relevant de l’ancienne école ont été battus dans leur enfance», indiquent plusieurs éducateurs. Profitant de d’impunité, les élèves vont jusqu’à oser des agressions contre leurs enseignants. Les problèmes de communication, l’absence de dialogue entre le corps enseignant et les élèves font que l’école censée être un lieu de vie où l’on apprend à se construire intellectuellement et humainement, est complètement dénaturée. Les sévices, harcèlements sexuels, utilisation d’un langage humiliant envers les élèves sont d’autres formes de violence vécues à l’école et autres établissements scolaires et de formation professionnelle. (L’Expression-29.11.2011.)
**Les bagarres commencent dans les classes
La différence d’âge et de corpulence illustre bien le principe qui dit «le fort mange le faible».
La violence prend des proportions de plus en plus graves et dangereuses. Elle est partout. Elle est même dans les enceintes de structures jusque-là réservées au savoir, à l’éducation et à la formation. La notion de «houma» qui, jadis, signifiait entraide, amitié… a laissé place à la notion de bande organisée, prête à en découdre avec l’autre. Même par rapport à l’âge, la violence touche désormais des enfants qui n’hésitent pas à recourir aux poings, aux armes blanches, aux injures… pour tenter chaque fois d’occuper l’espace et de dissuader les plus téméraires.
Pour vérifier cette situation, il suffit de se pointer devant un établissement scolaire aux heures de sortie pour assister à des bagarres déjà commencées dans la cour, voire à l’intérieur de la classe. A qui la faute? En prenant les partenaires un à un, il est difficile d’établir un diagnostic précis. La responsabilité incombe à tous. La famille, le quartier, l’école, les associations… sont démissionnaires et ont chacun une part de responsabilité dans cette dégradation généralisée de la société.
Pour un grand nombre de parents, l’école est plus un lieu où on garde l’enfant qu’un espace d’apprentissage et de savoir. «mabkatch kraia» (il n y a plus d’étude), cette réflexion est sur les lèvres de bon nombre de parents qui, pour justifier leur négligence dans le suivi de leurs progénitures, rejettent l’école et l’accusent de tous les maux. D’autres réflexions plus cruelles émanent de parents quand ils sont convoqués. «Mon enfant est agressif depuis qu’il est scolarisé chez vous, c’est l’élève qui s’asseoit avec lui qui l’a entraîné, ne me convoquez plus parce que je travaille, je ne sais plus ce que je dois lui faire»… Ces aveux d’impuissance démontrent la gravité du phénomène. L’enfant laissé à son sort tombe entre les griffes des plus âgés, les cancres, qui les utilisent, les rackettent. La menace peut aller jusqu’à interdire au bon élève de participer en classe, à recopier les cours pour eux, à donner les réponses lors des examens…
Même si le sujet reste encore tabou, les agressions contre les plus faibles physiquement relèvent parfois du domaine de la dignité et de l’atteinte aux moeurs. L’administration, de son côté et en application des lois, admet des élèves à refaire plusieurs fois l’année. Le résultat est que des scolarisés âgés de plus de 18 ans se retrouvent dans des classes avec des enfants qu’ils dépassent de plusieurs années. Il n’est pas rare d’avoir dans une même classe d’un CEM des enfants nés en 2000 avec d’autres nés en 1994.
La différence d’âge, de corpulence physique avantagent le principe ancestral «du fort qui mange le faible». «La réglementation nous a lié les mains», commente un enseignant. «Nous n’avons aucun moyen pour réagir. Le châtiment corporel interdit, les parents qui ne répondent que rarement aux convocations, l’inexistence d’association de parents d’élèves, le volume horaire contraignant, la surcharge des classes, le phénomène des doublants… sont autant de facteurs qui favorisent ce climat de violence qui se développe et se généralise», commente notre interlocuteur.
Si la lutte dans les pays développés fait appel à des spécialistes pour enrayer la violence, en Algérie l’assistance psychologique, le suivi personnalisé sont deux moyens renvoyés aux calendes grecques. Presque aucune UDS, structure sanitaire rattachée aux établissements scolaires, ne dispose d’un psychologue. Même les spécialités psychopédagogiques ont vu leurs travaux restreints à la seule orientation pédagogique et leurs statuts non définis précisément.
A l’extérieur de l’établissement la situation n’est guère plus reluisante. L’enfant, après ses cours, se retrouve au quartier. L’oisiveté et le manque d’occupation sont la mère de tous les vices. Là aussi l’influence des grands est avérée. La consommation des stupéfiants, un autre sujet tabou, touche de plus en plus des jeunes adolescents. Le fléau, avec la dégradation sociale causée par plusieurs années de violence, a pris des proportions alarmantes.
«Il y a quelques années un accro aux drogues était désigné du doigt. Aujourd’hui, certains s’enorgueillissent d’appartenir au milieu», nous affirmera un sexagénaire qui regrette les temps passés. La première cigarette et le premier café pris au comptoir d’un café qui, jadis, marquaient le rite du passage de l’adolescence à l’âge adulte, du moins dans le psy de l’adolescent, ont laissé place à des comportements initiatiques d’une autre époque.
Insulter un enseignant, fumer devant lui, montrer un désintéressement en classe, faire le clown, exhiber ses muscles, semer la terreur, porter toujours une arme blanche… sont les nouvelles stratégies développées par des gamins qui voient leur avenir partir en fumée en présence d’adultes occupés par les difficultés d’un quotidien de plus en plus difficile. (L’Expression-29.11.2011.)
**Les parents s’inquiètent
Les enseignants parlent, en premier, d’indiscipline et de désobéissance chez les élèves d’aujourd’hui
La violence dans le milieu scolaire est une réalité indéniable à Béjaïa même si la situation n’est pas aussi alarmante qu’on peut le penser. Depuis les années 1990, celle-ci a connu une évolution qui commence à inquiéter car aggravée par des événements qu’a connus la région au début des années 2000. La manipulation politicienne des enfants s’est traduite par des comportements ancrés chez les élèves qui ne voient plus du même oeil leurs enseignants et éducateurs ou toute autre autorité.
Aussi bien chez les parents que chez les enseignants, l’heure est à l’inquiétude. Un état d’esprit qui n’a pas manqué de soulever la nécessité d’agir par une collaboration plus accrue et à même d’atténuer l’ampleur de ce fléau. Les enseignants parlent, en premier, d’une regrettable tendance à l’indiscipline et à la désobéissance chez les élèves d’aujourd’hui. Que cela soit à l’école primaire, dans le moyen ou même au lycée, une attitude de révolte et de défi est souvent remarquée avec ce qu’elle génère comme conflits qui débordent du cadre strictement scolaire.
On citera de nombreuses situations où des éducateurs, notamment les femmes, victimes d’agression, menaces et traumatismes faits de collégiens ou des lycéens, en crise d’adolescence. Si certains enseignants réagissent en engageant des procédures judiciaires contre les petits fauteurs de troubles, d’autres, optent pour la diplomatie et la sagesse pour ramener le calme et la sérénité dans leurs classes. «La violence urbaine est liée à la frustration que vivent ces jeunes du fait d’un sentiment d’exclusion sociale», a estimé un psychologue qui a requis l’anonymat. Pour beaucoup, le phénomène est un moyen d’expression devant l’absence de dialogue avec l’encadrement scolaire et familial. La lutte contre la violence chez les enfants et les adolescents dans les établissements scolaires et universitaires nécessite la promotion du dialogue entre enseignants, administration, étudiants et élèves. Cette conviction est largement partagée.
«La violence relevée dans plusieurs établissements scolaires et universitaires n’est pas le résultat de la situation sociale, matérielle et psychologique vécue par l’étudiant, mais celui de la perte de traditions», estime, de son côté ce parent d’élève. Une situation qui, selon lui, a engendré «l’apparition de comportements violents, synonymes de modes d’expression et dont certains découleraient de l’absence de débouchés à l’issue de leur cursus scolaire et même supérieur».
D’autres, par contre, reconnaissent volontiers cette réalité, mais sans omettre de souligner la violence du contexte général qui a vu ces enfants naître. Dès la naissance, ils ont découvert un climat de terreur durant les années 1990. Les enfants ont vécu dans la peur et les privations de nombreux loisirs du fait de la situation sécuritaire.
Le châtiment corporel dont font preuve certains éducateurs reste également à l’origine de certaines réactions violentes notées chez les enfants.
Des cas de violence et de bagarres entre élèves sont aussi légion à travers tous les établissements scolaires de la wilaya. Cela se termine par des arrangements à l’amiable entre parents mais aussi par de fâcheux prolongements entre les familles.
Pour de nombreux psychopédagogues, la violence trouve aussi ses racines dans le système scolaire, lui-même. La surcharge des programmes et la pression sur l’élève se traduisent par des comportements hors normes. L’élève et l’enseignant sont soumis à une pression permanente.(L’Expression-29.11.2011.)
**Les psychologues s’interrogent
Pour les psychologues, les mesures de lutte contre le phénomène de la violence en milieu scolaire restent insuffisantes. Selon le docteur M’hamdi, spécialiste en science comportementale, «l’agressivité est un comportement qui exprime l’état d’âme du sujet, qu’il soit positif ou négatif, le sujet l’extériorise la plupart du temps, par la violence…». «Il est utile de disposer d’un guide pratique sur le traitement des cas de violence dans les établissements scolaires», nous a indiqué une psychologue. L’implication de tout un chacun est impérative: ministère de l’Education, enseignants, administration et parents. La violence scolaire est un problème mondial mais il commence à prendre des proportions alarmantes dans nos établissements scolaires. Annaba en représente un parfait exemple. Des mesures préventives sont prises contre cette agressivité mais elles ne semblent pas venir à bout de ce phénomène de par leur inefficacité. Il est impératif d’en instaurer d’autres efficaces, à commencer par assurer les conditions de scolarisation et sociales adéquates avec une prise en charge, aussi bien pédagogique que psychologique des sujets scolarisés. L’apparition du phénomène de la violence en milieu éducatif est le résultat de moult facteurs sociaux, économiques, culturels et psychologiques. En somme, c’est tout un état d’esprit qui fait que le lycéen, le collégien et même l’élève au primaire affichent un comportement agressif. Les experts en comportement de sujets âgés de moins de 17 ans affirment que cela n’est point le cas dans nos institutions puisque l’enseignant est lui même sujet à l’hostilité de l’élève. Les établissements d’enseignement sont devenus de véritables couveuses de violence où les adolescents expriment des comportements agressifs refoulés. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme et tenter de trouver des solutions à un phénomène, devenu, avec le temps un danger, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants sans pour autant oublier les répercussions de cette violence. Selon Taleb S., juriste, «il est impératif de mettre en place des mécanismes pédagogiques pouvant contrecarrer l’hostilité scolaire». A Annaba, il ne se passe pas un jour sans qu’un ou plusieurs cas de violence ne soient signalés. Les agresseurs usent d’armes blanches, d’autres des coups de poing. Même le compas est utilisé comme arme blanche. Cet exemple survenu en 2009 a bouleversé les parents. Car, la victime, un élève 13 ans en 3e AM, est décédé suite à de graves blessures. Les filles sont aussi manipulatrices d’armes blanches. L’année 2010 a été marqué par un acte de violence commis par une lycéenne qui, usant d’une bouteille, a porté plusieurs coups au visage de sa camarade. Les établissements d’enseignement à Annaba sont le théâtre de terribles scènes de violence dont les auteurs s’en sortent avec le minimum de châtiment, à savoir le conseil de discipline, mais rarement le renvoi. Gh. N., directrice d’un CEM des plus huppés à Annaba enregistre plus de 20 actes de violence par jour entre les élèves et même avec les enseignants souvent eux aussi victimes d’actes de violence. Il n’est jamais fait usage d’armes blanches, c’est plutôt des bagarres à coups de poing à l’intérieur de l’établissement que «nous arrivons à maîtriser». S’agissant de la violence à l’extérieur l’interlocutrice s’est dite incapable de gérer cet espace, «Nous avons déjà du mal à instaurer de l’ordre à l’intérieur de l’institution» dira-t-elle. En effet, l’espace public situé devant les établissements scolaires, notamment les CEM et les lycées, sont un champ favorable aux actes de violence, qui, la plupart du temps, se transforment en terrain de duels entre des classes rivales, groupes de collégiens et même de lycéens qui, souvent, s’adonnent à des bagarres. Il est aussi des formes d’expression, générées par les conditions sociales dont le divorces, principale facteur, sans pour autant oublier les conditions sociales, qui peuvent être aussi un élément, influent dans le comportement du sujet. «Il est des situations où l’enfant scolarisé refuse la séparation de ses parents, ce refus se répercute sur sa vie scolaire, par la violence, ses comportements violent connus par les psychologues…». «Il est tout à fait normal que la vie sociale influe beaucoup sur la scolarisation des enfants se sentant moins favorisés de par la situation sociale de leurs parents… et cela crée un complexe chez le sujet qui manifeste une violence à l’égard de ses camarades, ses enseignants et même à l’égard de toute la société». Même si on ne peut pas infliger aux élèves auteurs d’agressions des peines de prison lorsqu’il s’agit de mineurs, des amendes peuvent être infligées aux parents des élèves qui commettent des actes violents. C’est ce que pensent certains enseignants, car selon certains d’entre eux, les parents démissionnaires, qui ne contrôlent ni le comportement de leurs enfants, ni leur scolarisation, et qui donnent raison à leurs enfants, à chaque fois, qu’ils sont convoqués par l’administration, pour un quelconque problème sont aussi coupables que leurs progénitures. Certains parents estiment que la répression des actes de violence dans les établissements scolaires, par ces mesures plus ou moins dures, peuvent donner de bons résultats. (L’Expression-29.11.2011.)
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*Nous lisons peu ou pas.
De l’auteur à l’éditeur en passant par le diffuseur, arriver à la librairie pour atterrir enfin entre les mains du client lecteur, le livre connaît les pires obstacles. Aujourd’hui, la chaîne du livre s’est rompue et le livre languit… Du coup nous lisons peu ou pas. Les Algériens qui ont divorcé avec leur culture orale, ont complètement désappris à lire…
Mais la question de la lecture en Algérie est bien plus profonde. Problème de promotion, de diffusion et surtout un problème d’ordre culturel, à savoir, le pénible passage de la culture orale à la lecture écrite qui se fait souvent au détriment de la culture orale d’ailleurs.
Lors d’un colloque international organisé à Alger, fin 2013 sur la famille Algérienne, des psychologues se sont entendus pour dire que cette culture orale se perd et pour des raisons « qu’on ne connait pas, la famille algérienne a désappris à transmettre sa culture orale, les contes locaux, les proverbes, les devinettes… ». Ils vont jusqu’à dire qu’il y a un grave problème d’identification chez l’enfant qui fait qu’on est dans une sorte d’abondances de tous genres: « parler trop français ou l’arabe oriental au détriment des langues maternelles » par exemple.
Par ailleurs et pour revenir au livre, dans ce vide livresque où nous baignons, beaucoup d’entres nous se rabattent sur les livres d’occasion, moins chers. Car la question du budget que nous consacrons au livre compte parmi les nombreux problèmes auxquels nous nous heurtons quand il s’agit de lire. Pour une nouveauté littéraire Algérienne, il faut débourser en moyenne 600 da le roman. Pour un livre déjà paru à l’étranger, il faut débourser en moyenne 800 da, voire plus. On se rabat aussi sur les « Classiques » Algériens,tels que Dib, Mammeri…beaucoup moins chers lorsqu’ils sont réédités par des maisons d’éditiion Algériennes.
« Je lis quatre livres par an »:
A titre d’exemple, le budget d’une lectrice que nous avons rencontrée à la librairie Kalimat située à la rue Victor Hugo en plein centre d’Alger, ne lui permet de s’acheter que 4 livres par an. Et pour ce qui est du temps consacré à la lecture, et bien, comme elle travaille, c’est difficle d’être assidu. Qu’en est-il du choix d’auteurs Algériens pour lire?
« J’ai beaucoup lu Yasmina Khedra, un auteur réaliste dans ses descriptions romanesques », nous dit notre interlocutrice d’une quarantaine d’années. « Cette réalité crue relatée dans ses romans me fait désormais fuir tout simplement. Du coup, je m’intéresse plutôt aux auteurs universels. Juste histoire de m’évader un peu » ajoute t-elle. Elle nous cite des auteurs Moyen-Orientaux, tels que les Iraniens par exemple, qu’elle est venue chercher aujourd’hui justement dans le rayon littérature universelle de la librairie. Avant d’expliquer : « Même si leurs réalités se rapprochent de la notre, cela me permet de m’évader » nous précise-t-elle.
Pour résumer, vous pouvez, en cliquant sur la présentation qui suit découvrir quelques aspects de la crise du livre en Algérie. Vous avez au menu de la présentation:
-L’industrie du livre
-L’accès au livre
-Quelques citations des professionnels du livre
-Quelques avis sur les forums de discussions
-Crise du livre en Algérie, en 1986 déjà!
**Chaos des années 90: « Il faut reconnaître que ceux qui nous ont gouverné ont tout fait pour dégouter le peuple de la lecture, par la censure , et l’étalage de la propagande ,suivi par les assassins islamistes en imposant seule la lecture du Coran .Les étalages des souks se sont transformés en librairie ambulante proposant le livre sacré sous toutes ses formes et de la littérature intégristes et nos libraires ont déposé le bilan. Comment voulez-vous inciter des gens à la lecture quand sur le marché c’est le désert culturel? ».
**Que dit-on sur les forums de discussions:Des livres qu’on a déjà lu et relu : « Y a des jeunes et des moins jeunes qui lisent encore,mais pas beaucoup,en plus chez les libraires, on trouve rien ou des livres qu’on a lus et relus
**La crise du livre et de la lecture en Algérie
–Par Abdellali Merdaci*
La mise en œuvre du projet gouvernemental sur le livre et la lecture dans les programmes de l’Ecole algérienne — pour le moment, sans calendrier précis ni communication sur son cahier des charges — serait imminente, selon Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture, s’exprimant à l’occasion de l’ouverture du 16e Sila. La démarche principale de ce projet, telle qu’elle est rapportée dans la presse, est de proposer à chaque élève des trois paliers de l’enseignement (premier et second cycles de l’Ecole fondamentale, lycée) la lecture, chaque année, d’un minimum de quatre livres (Cf. Abrous Outoudert, «Qui joue au 5 Juillet pour qu’il y ait autant de monde ?
Une rencontre avec le livre tout simplement», Liberté, 27 septembre 2011, «Périscoop», Le Soir d’Algérie, 26 septembre 2011, Badis Guettaf, «Une grande décision est prise», Le Jour d’Algérie, 24 septembre 2011). Tel qu’il est formulé par ses initiateurs, les ministres de l’Education et de la Culture, ce projet constitue un aveu en ce qu’il reconnaît implicitement : la faillite de la lecture dans le système de formation scolaire. S’il est établi qu’une relance du livre et de la lecture dans la société passe par l’étape indispensable de l’Ecole, il convient aussi d’admettre que cette institution de l’Etat, devenue un cimetière du livre, a amoncelé, ces dernières décennies, les ruines de la pensée, pour appeler à de radicales transformations. Le retour du livre et de la lecture à l’école est une indication positive. Mais cela ne représente qu’une partie du problème. L’avenir du livre et de la lecture est tributaire d’une refonte profonde et urgente de l’enseignement des langues et de l’apprentissage de la lecture dans l’Ecole algérienne.
Une mise à mort
Quelques dates égrènent les repères — et leurs relents obsidionaux — autour de ce désinvestissement de la lecture et du livre dans l’Ecole algérienne. La première réforme qui entraîne de notables dégradations de l’enseignement date de 1977. Elle consacre les choix idéologiques du FLN, parti unique, plus préoccupé d’arabité chatouilleuse que de rigueur des connaissances à transmettre. Les acquis de l’Ecole algérienne, de 1962 à 1976, ont été effacés sans examen. Si la langue arabe y gagne le statut de langue fondamentale de la Nation, comme le précise la Constitution de 1976, au mépris d’une diversité linguistique réelle de ses régions, le français, jusqu’alors principal véhicule de l’enseignement, langue véhiculaire et potentiellement référentiaire, devient une langue seconde aux objectifs mineurs : permettre une communication de base aux «apprenants». Depuis l’application de la réforme de 1977 les hiérarchies — fortement symboliques — des langues dans l’Ecole algérienne sont redéfinies, avec notamment une arabisation intensive qu’il serait infondé de considérer comme l’unique cause d’une irrattrapable érosion du système d’enseignement national. En vérité, l’affaissement — aux retombées spectaculaires — de l’enseignement en langue française — et de la langue française — en est le premier facteur déstructurant. Il y a une explication : à défaut de concevoir ses propres programmes de formation dans la stricte observance des héritages de l’Ecole algérienne, le législateur scolaire, sous Boumediène, puis Chadli Bendjedid, impulsant une nouvelle réforme en 1986, s’était tourné vers des ingénieries éducatives, inappropriées et sans lendemain, ramassées dans les poubelles de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Alors que l’Algérie possédait un système d’éducation rigoureux issu de l’Ecole coloniale, qui depuis l’unification des systèmes de formation dans la colonie, en 1949, a donné de semblables opportunités de développement aux langues française et arabe, le dernier gouvernement de Boumediène — dont le ministre de l’Education était Mostefa Lacheraf (23 avril 1977-7 mars 1988) — s’est attaché à détruire une expérience de formation de trente ans d’âge qui englobait l’expérience respectable des lycées franco-musulmans, dignes successeurs des Médersas. Cette Ecole, sortant d’une époque coloniale, réappropriée dans l’Algérie indépendante par ses maîtres algériens et français (d’un remarquable dévouement) n’était pas en situation d’échec. Le seul échec observable a été de la convertir aux attentes idéologiques conservatrices du FLN qui relèvent plus de l’immaturité politique que du nationalisme, commode bouc émissaire. Cette Ecole des années 1960-1970 était déjà algérienne et Boumediène n’avait pas encore songé à la réformer avant d’être encouragé à le faire par Mostafa Lacheraf. Ni Boumediène ni Lacheraf — qui le conseillait — n’ignoraient que cette Ecole dont ils signaient résolument l’arrêt de mort a formé l’essentiel des cadres de l’armée, de l’administration gouvernementale, de l’industrie et de l’économie. Et principalement ceux de l’Ecole et de l’Université. Pourra-t-on seulement citer les noms et les parcours des personnalités algériennes, nées entre 1930 et 1960, dans les champs de la pensée, des arts et des lettres, de la médecine, des sciences et techniques et des médias, redevables de l’enseignement de cette Ecole — éminemment nationale — qui attendait seulement d’évoluer dans le chemin qu’elle s’était tracé, depuis l’indépendance, plutôt que d’être engloutie dans une rupture pseudo-révolutionnaire ? Elle deviendra, à son corps défendant, l’exutoire de tous les ressentiments. On a mis à mort une authentique Ecole algérienne, qui formait à bon escient, pour aller vers un destin aventureux. L’Ecole réformée, qui lui succède, a farci de jeunes cervelles d’épopées flamboyantes d’un lointain Hedjaz, dans le ressac de leurs fleuves de sang, tenues pour la source d’un pays au carrefour de la Méditerranée et de l’Occident et de l’Afrique. Elle a gommé dans l’histoire du peuple algérien son passé colonial. Cet écrasement de l’histoire des Algériens et de leur parcours dans la colonie française correspondait plus à une volonté malheureuse d’agir le secret des origines du nouvel Etat indépendant qu’au deuil d’une «nuit coloniale» (F. Abbas). Ce travail de reconstruction de l’être algérien, présent dans le discours scolaire d’avant la réforme, dans de sensibles pages d’écrivains nationaux, a été brutalement interrompu. L’Algérien enfouissait ses origines pour se revêtir des oripeaux d’un Orient arabomusulman fantasmé. L’Ecole réformée de Boumediène et Lacheraf — qui prend son envol en 1977 — explique aujourd’hui l’aptitude des Algériens, quels que soient leur catégorie sociale et leurs itinéraires familiaux et sociaux, à vouloir quitter leur pays et à revendiquer des nationalités étrangères, au premier plan celle de l’ancien colonisateur. Le drame de l’Ecole algérienne réformée ressortit de la tragédie nationale des années 1990, de ses 200 000 morts, de ses millions de victimes et de ses décombres. Loin de l’humanisme, elle a rendu possible le seul cri de la violence et des haines communautaires.
Des réformes catastrophiques
L’Ecole réformée de 1977 qui remodèle l’enseignement des langues — et de manière draconienne du français dont on a supprimé une tradition d’enseignement qui a fait ses preuves — a hâté la disparition du livre et de la lecture dans la société. En Algérie, la lecture est enseignée principalement dans les matières de langues, singulièrement l’arabe et le français. Je ne cite ici que l’exemple de la langue française pour identifier de nouveaux comportements dans l’Ecole algérienne réformée, qui, du reste, sont aussi repérables dans la mauvaise fortune de la langue arabe. Contrairement à ses parents et à ses arrière- grands-parents qui ont fréquenté l’école de la colonie ou celle qui lui a succédé à l’indépendance, l’écolier algérien allait apprendre, à partir de la fin des années 1970, la langue française — qui baignait son environnement quotidien — comme une langue étrangère. En fait, on lui servait les mêmes méthodes d’enseignement qu’aux élèves du Guatemala ou du Lesotho qui ne connaissent rien de la France, de son histoire et de sa langue. Les jeunes écoliers algériens, les «apprenants» des années 1980 et 1990, ont été les cobayes de différentes écoles doctrinales et didactiques françaises, belges et canadiennes qui ont trouvé dans l’Ecole algérienne le terrain vivant pour l’expérimentation de leurs méthodes d’apprentissage du Français langue étrangère (FLE). S’il faut regretter l’absence d’un bilan systématique de l’enseignement du FLE en Algérie, l’incurie en est lisible dans l’inculture des diplômés actuels de l’Université, toutes disciplines confondues. Le résultat le plus perceptible de cette réforme ? Les quotidiens nationaux publient souvent, pour l’édification de leurs lecteurs, le florilège de copieuses proses de diplômés de l’Université dans un semblant de langue française, infâmes et tortueuses syntaxes devant lesquelles le charabia d’antan se parerait de vertu académique et littéraire. Au-delà de la vacuité des programmes de la réforme de 1977, le législateur algérien a péché par simplisme pédagogique et surabondance idéologique, car il ne se souciait que d’armer l’Ecole algérienne face à l’impérialisme culturel français. Voici, à titre d’exemple une recommandation qui fut des plus discutées : «L’enseignement du français n’est chargé d’aucun objectif culturel ou esthétique. Il se situe sur un plan exclusivement linguistique et ne considère que le critère de l’efficacité.» C’était une situation ubuesque. La culture et l’esthétique françaises — que soutenaient le livre et la lecture — étaient enlevées aux élèves de l’Ecole qui se consolaient d’apprendre, par le geste et par la parole, la mythologie de tous les sabreurs d’Orient. L’efficacité linguistique postulée par le législateur scolaire ? Elle était circonscrite aux élèves localisés dans les grands centres urbains, provenant d’une bourgeoisie citadine dont la connaissance et la pratique privée et publique de la langue française étaient le vernis. L’Ecole réformée a approfondi dans l’enseignement de la langue française une ségrégation entre catégories sociales (accompagnement de l’élève dans les familles aisées et imprégnées d’une culture de la langue; apprentissage en situation active de communication) et spatiales (écart ville-campagne discriminant), plus nuancée auparavant. Sur cet aspect, une enquête sur les lecteurs algériens au tournant des années 1960-1970 (Cf. Charles Bonn, «La littérature algérienne et ses lectures. Imaginaire et discours d’idées», Ottawa, Naaman, 1974 ; voir pp. 158-211), donc avant la réforme de 1977, apporte d’utiles précisions sur la répartition spatiale de la langue et de la culture littéraire françaises dans la société algérienne. La présence d’enquêtés originaires de petits centres ruraux de l’Est algérien — proches de Constantine — apparaît comme une donnée importante des équilibres ville-campagne dans la diffusion scolaire et situe leur perméabilité aux productions symboliques en langue française. La méfiance envers un «objectif culturel et esthétique», sur lequel insistait le législateur scolaire, dressait une sorte d’insurmontable barrage. Pour le législateur scolaire, traduisant en consignes fermes les attentes des responsables du FLN (qui n’en ont pas privé leur progéniture, leurs parentèles et leurs clientèles), les valeurs culturelles et esthétiques de la langue française étaient une menace pour nos écoliers, collégiens et lycéens. Cette surenchère politique et idéologique, dans les derniers mois de la présidence de Boumediène et tout au long de celle de Chadli Bendjedid, s’habillant de l’artificieux alibi de la technicité de la langue de communication, pouvait masquer l’écroulement de l’éthique de l’enseignement dans une Ecole excessivement politisée. Le sentiment — lisible dans les attendus des directives de programmes — était de refaire la guerre coloniale dans la classe de langue française au moment où l’enseignement des autres langues étrangères était apaisé et non connoté sur le plan politique. Arabisant formé au Machrek, cacique du FLN, ancien commissaire du parti à Tizi Ouzou (1962-1969) et secrétaire général de l’UGTA (1969-1973), Mohamed-Chérif Kheroubi, qui prenait la suite de Lacheraf au ministère de l’Education (8 mars 1979-17 février 1986), en était l’aiguillon. Les réformes de l’enseignement de la langue française continuées en 1986 — sous la conduite de Mme Z’hor Ounissi, ministre de l’Education du 18 février 1986 au 8 septembre 1988 — restituent un impensable trop-plein. Comme si l’intention était de lui ôter toute substance et d’en faire une case vide dans l’emploi du temps hebdomadaire. Un seul exemple pour montrer l’inanité de méthodes d’enseignement importées «clés en main» et vendues à des lycéens qui ne pratiquaient guère la langue française. Le manuel de 3e année secondaire de langue française introduisait aux applications de grilles conceptuelles de linguistique théorique et de sociosémiotique, les plus hardies, de Benveniste (sur l’énonciation) à Genette (sur la narratologie) et même à Bakhtine et Kristeva (qui, pour différentes raisons, restaient, en ces années-là, encore inaccessibles à mes étudiants de Théorie de la littérature à l’Université !). Ce programme était destiné à des élèves de fin de cycle scolaire dépourvus des fondamentaux de la langue française, qui en ont plus accumulé les méconnaissances que la connaissance, qui n’en maîtrisaient pas l’usage de l’oral — et encore moins celui de l’écrit. Par la magie de quelle poudre de perlimpinpin ambitionnait-on d’enseigner à ces élèves, en rade dans la classe de français, la «théorie des textes», le difficultueux «arbre de la description » de Jean Ricardou et les «typologies descriptives » de Philippe Hamon, qui provoquent aujourd’hui encore des sueurs froides aux professeurs en titre de l’Université algérienne ? La plaisanterie était assurément d’un très mauvais goût. Après la révolution ratée du 5 Octobre 1988, il y aura un long repli. L’enseignement de la langue française sortait des sentiers de la vieille guerre coloniale, mais une autre guerre venait, cruelle et sanglante. Du fait de réformes erratiques, l’élève algérien ne pouvait prétendre — comme le lui assignaient impérativement des programmes d’enseignement expérimentaux de FLE — découvrir et utiliser pour ses besoins quotidiens une langue française de communication, dévitalisée et débarrassée de ses arrière-plans historiques et culturels. Après avoir été ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (août 1993-novembre 1997), M. Benbouzid est aux commandes de l’Education depuis le 25 novembre 1997, après avoir connu une brève période de disgrâce et de relégation au ministère de la Jeunesse et des Sports. Il aura ses réformes en accordéon de l’Ecole fondamentale, et plus particulièrement de l’enseignement des langues, au début des années 2000. Cette dernière réforme ne dérogera pas, pour l’enseignement du français, au formalisme des débats doctrinaux sur le FLE qui volèrent au-dessus des têtes des enseignants et des élèves. Rien ne permet de dire que l’Ecole algérienne réformée de M. Boubakeur Benbouzid ait mieux enseigné et défendu les langues étrangères en général (notamment l’anglais reçu sans animosité par les instances politiques et valorisé comme garant de l’ouverture au monde) que le français. Mais le grand malheur de la langue française — fragile embarcation qui appartient à l’histoire de l’Algérie et des Algériens — est d’avoir été encalminée dans les prolongations d’une guerre anticoloniale, inlassablement répétée dans un pays indépendant. L’élève de l’Ecole réformée — et cela est dramatiquement perceptible dans la nouvelle génération — ne peut soutenir l’épreuve d’une communication orale en langue française, lorsqu’il a de terribles angoisses à l’écrire. Il est certain qu’il ne lit plus dans cette langue. Ni même en arabe. C’est le président Bouteflika qui s’étonnait, dans un élan de puriste, de découvrir ce francarabe, mâtiné de culture SMS, qui est aujourd’hui l’idiome intempérant de la jeunesse des écoles.
L’éviction de la littérature et de la lecture
Mais revenons donc à l’Ecole d’avant 1977, probablement la plus parfaite d’entre toutes (j’entends bien, à ce propos, les accusations de passéisme). Rafraîchirais-je des souvenirs en rapportant le tableau des lectures d’œuvres et d’auteurs commencées assez tôt au cours élémentaire 1re année. Lisait-on les poésies de Sully Prudhomme, le premier prix Nobel de littérature, en 1901, et de Jean Aicard («Les Poèmes de Provence», 1874) ? On ne pouvait prétendre être candidat à ce mémorable examen d’entrée en sixième des lycées et collèges et du vénérable certificat d’études primaires s’il n’était studieusement lu et relu «Le Lac» (Lamartine) et «La Mort du loup» (Alfred de Vigny), sommets de la littérature romantique française. Et des poèmes du Parnasse (Heredia), du Symbolisme (Henri de Régnier). Et aussi «Le Dormeur du val» (Rimbaud). Cette initiation à la lecture d’œuvres littéraires s’appuyait sur des acquis linguistiques qui ne se prévalaient encore que de vieilles grammaires qui n’en avaient cure de «stratégies grapho-orales» et de «recodage phonologique ». Les petits écoliers d’Algérie pouvaient se confronter sans déchoir, sur le plan des savoirs linguistiques et littéraires, à leurs camarades des pays francophones d’Europe et d’Amérique du Nord. Cette Algérie de Boumediène pouvait aussi se targuer d’avoir une presse et des journalistes de langue française de qualité et — cet indicateur constant — le potentiel de locuteurs francophones le plus important dans le monde après la France. Pour les idéologues de l’époque, entre deux avions en partance pour Paris, ce qui n’était pas perçu comme un paradoxe, il fallait se défaire du legs colonial. Sous le contrôle du FLN, l’Algérie des années 1960-1970 entreprend une algérianisation tous azimuts, aux conséquences le plus souvent absurdes. Les maîtres de l’Ecole ont procédé à des réaménagements de programme mesurés, accordant une part méritée à la littérature algérienne de langue française. Qu’on en juge. Dans le programme d’enseignement de langue française des collèges (correspondant à l’actuel second cycle de l’Ecole fondamentale), on distinguait les romans de Marie-Louise Amrouche, Malek Bennabi, Mourad Bourboune, Mohammed Dib, Assia Djebar, Mouloud Feraoun, Malek Haddad, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Kaddour M’hamsadji, Malek Ouary ; les poésies d’Ahmed Azzegagh, Dib, Anna Greki, Haddad, Nordine Tidafi et surtout ce chant des cimes de Z’hor Zerari («Contre les barreaux»), lu par des dizaines de milliers d’élèves, mu par l’espérance de la paix et de la liberté, éclatant dans l’abîme de la geôle coloniale ; et aussi les essais d’Ahmed Akkache et Mohamed-Cherif Sahli. Voilà au sortir des années 1960-1970 un état de la culture littéraire du collégien algérien, d’une profondeur et d’une qualité désormais introuvables dans l’Ecole fondamentale de M. Benbouzid, qui ne sait produire de lecteurs. Le pédagogue d’avant 1977 qui restait attaché à une inculcation rigoureuse de la syntaxe de la langue française pouvait envisager — c’était alors une mutation considérable — de l’enseigner dans ses marges référentiaires algériennes. Les textes des auteurs cités étaient lus comme exemples d’un français d’Algérie dont l’histoire récente n’excluait ni l’originalité ni la pertinence. Depuis, il y a eu régression Voici, pour mémoire, les programmes d’auteurs et de textes des lycées d’avant la réforme de 1977, qui comportent la lecture suivie, en 1re et 2e année secondaires, de deux grands textes de la littérature algérienne. 1re année : Molière : «Tartuffe» (1664- 1669) ; Montesquieu : «Les Lettres persanes» (1721) ; Hugo : «Les Contemplations» (1856) ; il est aussi noté : «initiation à la poésie épique» avec quelques poèmes de «La Légende des siècles» (1859-1883) ; Vallès : «Le Bachelier» (1881) ; Zola : «Germinal» (1885) ; Anouilh : «Antigone» (1944). La lecture suivie de «L’Incendie» (1954) de Mohammed Dib a pu s’appuyer sur les pistes de lecture proposées par François Desplanques, enseignant à l’Université de Constantine, dans une anthologie éditée par l’Institut pédagogique national (Alger, 1972, 54 p.). 2e année : Molière : «Don Juan» (1665). Voltaire : «Zadig» (1748). Stendhal : «Le Rouge et le Noir» (1830). Baudelaire : «Les Fleurs du mal» (1857). Le texte algérien proposé est «Nedjma» (1956) de Kateb Yacine. Cet enseignement de l’œuvre était structuré par un choix de textes de l’Institut pédagogique national (Alger, 1973, 132 p), précédée par une introduction critique, traduite et adaptée du mémoire en langue anglaise du Diplôme d’études supérieures de littérature de Hocine Menasseri : «William Faulkner : “The Sound and the Fury”, Kateb Yacine : “Nedjma”» (Université d’Alger, 1968). 3e année : Pascal : «Les Pensées» (1670). Diderot : «Jacques le Fataliste» (1778-1780, 1796). Le surréalisme (doctrine, différents auteurs et textes). Aucun texte algérien n’était inscrit au programme de cette année. Après la réforme de 1977, le législateur de l’Ecole réformée de 1986 avait encore réfréné les ardeurs des enseignants de langue française pour la lecture d’œuvres de langue française. Il renforçait d’infranchissables balises autour du seul objectif : enseigner une communication basique dans un «français standard». L’éviction de la littérature française (et de langue française) de tous les cycles d’enseignement en était la sanction manifeste. Les élèves perdaient, avec elle, cet indispensable exercice dirigé de lecture qui était le gage d’une culture humaniste. Les axes de travail énoncés, en 1986, dans les programmes — théoriques — de la classe de français donnaient l’impression — tout à fait trompeuse — d’une formation linguistique et littéraire d’une haute tenue. Plus spécialement orienté sur la description linguistique et stylistique des textes littéraires, le programme de 3e année secondaire annule la perspective classique d’histoire littéraire (à travers ses découpages synoptiques en siècles, périodes, doctrines et écoles) au profit d’un émiettement des tendances littéraires. On en expose les principales lignes : Prosodie : poème; fonctionnement du mètre ; l’intonation (dans le discours oral). Paragraphe : économie du paragraphe dans le texte. Etude de la nouvelle à partir de Mérimée et de Maupassant. Le récit de fiction : morphologie (structures, séquences, actants, etc.). Textes étudiés : contes extraits du recueil «Le Grain magique» (1966) de Taos Amrouche ; extraits de roman : non précisés (au choix de l’enseignant). La description : réalisme (E. et J. Goncourt, Flaubert), naturalisme (Zola), nouveau roman (Robbe-Grillet, Butor). Enseignant la didactique des textes littéraires à l’Université, dans un contact permanent avec les professeurs de lycée, je n’ai pu vérifier, en son temps, que ce programme était enseigné — notamment dans les lycées de l’Est algérien — dans une période de récession, où l’Ecole algérienne a davantage projeté l’analphabétisme et la déculturation de masse. Dans une appréciation globale et sérielle des acquis linguistiques et littéraires et de la présence de la lecture et du livre dans l’enseignement, l’élève des années 1962-1977, nonobstant les marqueurs d’origine sociale et géographique, avait un meilleur positionnement dans la langue française, dans le livre — comme médiation primordiale de la relation pédagogique — et dans la culture littéraire, que celui des années 1980-2010. Il savait aussi construire (sur les registres de l’oral et de l’écrit) un raisonnement dans une langue française maîtrisée. Le législateur des réformes de 1977, 1986 et du début des années 2000 a certes recouru aux conceptualisations les plus récentes de la linguistique et de la science des textes dans des programmes inadaptés à des élèves au français rudimentaire, qui ne s’élèveront jamais aux exigences de l’expression écrite et orale. Et qui finiront par se couper définitivement de la lecture et du livre.
L’inconséquence comme mode de gouvernance
L’Ecole algérienne réformée n’a pas encore évalué son mode de gouvernance. Et son inconséquence qui perdure. Volontiers réformatrice (depuis 1977 et 1986 et après l’avènement de l’École fondamentale, plusieurs grandes réformes en un quart de siècle, se chevauchant parfois), mal informée de la réalité des savoirs linguistiques de ses enseignés, achetant au comptant de fumeuses ingénieries didactiques de FLE dans les laboratoires étrangers, elle se caractérise par une légère inconstance. Depuis la fin des années 1970, elle a potentialisé, en termes de communication et de culture, les déficits de l’élève algérien. Voici quelques notations provisoires : 1°/ Les décideurs algériens ont confondu langue française et colonialisme français. Depuis l’indépendance, la suspicion de néocolonialisme, qui l’a durement frappée, était un imparable argument livré aux fougueux orateurs des meetings des kasmas et des mouhafadas du FLN. Au tournant des années 1970- 1980, il était acquis que la minoration de la langue française dans l’enseignement, dont le seul bilan aujourd’hui est celui d’un désolant gâchis, était la solution pour lutter contre un néo-colonialisme insidieux, traqué dans la culture et l’esthétique françaises. 2°/ Le gouvernement algérien devrait abandonner ses lubies d’une école technicienne (comme si la technique n’était pas une des formes supérieures de l’Art), opposée aux sciences humaines et sociales et aux lettres. Et se convaincre que l’acquisition d’une langue restera toujours incomplète sans ses valeurs culturelles et esthétiques que le législateur scolaire a supprimées de l’horizon de l’Ecole algérienne réformée. 3°/ Le livre et la lecture doivent retourner à l’école. Autant pour sauver l’enseignement des langues que pour réamorcer la dynamique du livre et de la lecture dans notre société. L’Algérie est un des rares pays au monde qui a fait de ses propres écrivains nationaux — quel que soit leur outil linguistique — des étrangers dans son système scolaire. 4°/ L’Ecole doit pouvoir jouer son rôle institutionnel à l’égard de la littérature nationale, de ses auteurs et de leurs textes, de leurs trajectoires, de leurs compétitions et de leurs positionnements. La légitimité d’une littérature nationale, de ses auteurs et de leurs textes se forge aussi par leur intégration dans le travail scolaire. Mais l’Ecole réformée de M. Benbouzid n’est forte que de ses archaïsmes pour mener des changements salutaires. Elle a, depuis longtemps, aliéné la confiance de ses propres enseignants, de ses élèves et de leurs parents, et de la société. Il faut sur le livre et la lecture voir les intentions du gouvernement se réaliser concrètement pour y croire. Ce serait un premier pas dans le pari de réenchanter l’Ecole algérienne et de la remettre dans le sens de l’Histoire, de sa vraie histoire, hier répudiée par des apprentis sorciers dans le vent délétère d’incendiaires réformes.
A. M.
* Ecrivain-universitaire. Publie, au mois de novembre 2011, chez Médersa, «L’Essai algérien de langue française de la période coloniale ».
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