Le débarquement de Normandie-5juin1944
La légendaire pointe du Hoc, l’un des plus beaux sites naturels de la côte normande… sur lequel sont encore bien visibles les cratères creusés par les quelque 698 tonnes de bombes qui y ont été larguées dans la seule nuit du 5 au 6 juin 1944 !
D’est en ouest, les plages de Normandie portent encore les noms des secteurs du débarquement : Sword, Juno et Gold pour les Britanniques ; Omaha et Utah pour les Américains. Partout, le passé et le présent s’entremêlent. Partout l’émotion étreint le visiteur.
Ici, on dit encore « nos Alliés ». Ici, tout au long de la côte normande, depuis Le Havre jusqu’à Cherbourg, chacun se souvient du 6 juin 1944, quand les parachutistes et les grou-pes d’assaut américains, anglais, canadiens, belges, polonais et français, avec les 177 hommes du commando Kieffer, posèrent le pied pour la première fois en France. Personne n’a oublié la joie, les drames et le sang versé du D-Day et des jours suivants, si meurtriers pour les combattants des deux camps et les civils pris au piège des offensives et du feu aveugle des escadrilles de B-17, forteresses volantes.Partout des casemates, des bunkers et des batteries bétonnées continuent à monter la garde face aux eaux grises de la Manche. Démantelés, pulvérisés, beaucoup témoignent de la violence des bombardements et des duels d’artillerie entre les lourds croiseurs alliés et les canons allemands. D’est en ouest, les plages portent encore les noms des secteurs du débarquement : Sword, Juno et Gold pour les Britanniques et Omaha et Utah pour les Américains. Le long des routes et des chemins, sur les plages, dans l’arrière-pays du Calvados et du Bessin comme au cœur des marais du Cotentin, de très nombreux monuments et stèles honorent les noms des grandes unités qui se sont illustrées au cours de cette journée si particulière.
Un rien suffit pour remonter le temps
Devant Arromanches, les caissons Phoenix du port artificiel Mulberry B défient toujours le terrible vent de nord-est qui envoya par le fond celui d’Omaha les 19 et 20 juin 1944. Soixante-cinq ans après, la mer et la terre rendent encore des corps, des épaves et des munitions. Autour des saillants, la terre est rouillée, retournée, suppliciée. Les lieux parlent d’eux-mêmes. La pointe du Hoc appartient pour toujours aux rangers ; Sainte-Mère-Eglise, Carentan et Sainte-Marie- du-Mont, aux parachutistes des 82e et 101e Airborne ; Saint-Laurent-sur-Mer, aux vagues d’assaut de la 1re et de la 2e division d’infanterie américaine ; Bénouville, Ranville et Ouistreham, à la 6e division britannique ; Courseulles, aux soldats des brigades canadiennes…
Suivre les chemins de la liberté n’est pas un voyage comme les autres. C’est un itinéraire éprouvant pour ceux qui veulent approcher ces journées au plus près. Un rien suffit pour remonter le temps, pour revivre le calvaire des GI d’Omaha la Sanglante, cloués au sol à marée basse par le feu croisé des mitrailleuses allemandes ou la folle témérité des paras anglais du 9e bataillon à l’assaut de la batterie de Merville.
Sous la douceur du vent de la terre ondulent doucement les herbes folles des dunes. La mer est montante, le sable encore chaud. Encore quelques pas, et l’on atteint le bord du mur de béton armé qui ceinture encore la plage d’Utah depuis La Madelaine jusqu’à Quinéville. Les défenses antichars ont disparu, comme les barbelés qui hérissaient le rivage de pièges mortels pour l’infanterie. L’air est délicieusement pur, le ciel, d’une splendide clarté. Pourtant flotte toujours comme un parfum de menace. De danger. Quelques mètres encore sur un chemin ensablé et la batterie apparaît. Presque intacte, elle pourrait être équipée sur-le-champ d’une pièce d’artillerie et cracher à nouveau ses obus sur les péniches de débarquement. Un peu plus loin, deux tobrouks, des fortifications légères typiques du mur de l’Atlantique, la flanquent toujours. Nul besoin d’une grande imagination pour savoir quel mal les mitrailleurs qui les servaient le 6 juin ont fait aux assaillants.
Ici, chaque lieu est un lieu de mémoire. Et les surprises de l’Histoire sont innombrables, Franck Méthivier, le propriétaire du restaurant Le Roosevelt, n’oubliera jamais ce jour où deux vétérans de la marine américaine lui demandèrent l’autorisation de visiter le bunker qui lui servait de remise sous sa cuisine. «Quand nous avons enlevé les caisses qui encombraient les lieux, raconte-t-il, ils ont retrouvé les noms gravés de tous leurs camarades qui, comme eux, avaient occupé ce bunker transformé en poste radio pour coordonner l’action des troupes d’Utah Beach. Ce fut un rare moment d’émotion. Et, depuis, j’ai reconstitué les lieux comme ils étaient en1944.»
En fin d’après-midi, la lumière qui illumine les tombes du cimetière américain de Colleville-sur-Mer, concession perpétuelle faite par la France aux Etats-Unis, se fait souvent aveuglante. A perte de vue scintillent les 9 387 pierres tombales des soldats tombés en Normandie. Lire les dates gravées sur les stèles frappe au cœur et rappelle soudain la force de l’engagement de ces hommes qui choisirent de combattre pour une cause qu’ils croyaient juste. La même émotion se ressent dans les allées du cimetière britannique de Bayeux ou devant les croix noires de la nécropole allemande de La Cambe. Ils avaient tous le même âge, la même peur au ventre.
Et puis il y a des lieux où la mémoire a un visage. A Ranville, au pied du célèbre Pegasus Bridge, pris par les commandos anglais du major Howard dans la nuit du 5 au 6 juin, Arlette Gondrée continue d’entretenir la mémoire des Britanniques qui firent du café de ses parents la première maison libérée de France. Pont entre les deux rives de la Man-che, Arlette a les yeux qui brillent dès qu’elle revient sur cette nuit terrible. Depuis, il n’est pas un jour sans qu’elle pense à ces soldats et à leurs descendants. Ils seront toujours les bienvenus dans son café qui n’a pas changé depuis soixante-cinq ans. Suivre les chemins du Débarquement, c’est aussi rencontrer ceux qui l’ont fait, tel Léon Gautier, ancien quartier-maître du commando Kieffer qui a choisi de vivre à Ouistreham, là où il a combattu. Comme lui, ils sont encore nombreux à reve nir sur les lieux où ils ont perdu leur jeunesse et leur innocence. Ils ont encore tant à raconter. Tant à partager. (Le Figaro Magazine)
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*GI’s libérateurs
Plage d’Omaha Beach, 6 juin 1944. Les troupes américaines se jettent à l’eau. A minuit, 132 000 soldats alliés auront débarqué sur les plages de Normandie ; 10 500 seront morts avant d’avoir touché terre.
Philippe Labro rend hommage à ces soldats américains qui, au péril de leur vie, ont débarqué le 6 juin 1944 en Normandie. Ils ne connaissaient rien de la France et pourtant, ils furent des milliers à mourir pour défendre un idéal : la liberté. Ils ne savaient rien, ou presque. Ils ignoraient tout de ces localités aux consonances énigmatiques : Colleville, Vierville, Arromanches, Grandcamp, Sainte-Honorine, Poupeville. A peine connaissaient-ils l’existence de cette région au nom cependant relativement facile à prononcer : Normandie, avec un y dans leur langue natale, la seule qu’ils savaient parler, car ils n’étaient pas bilingues. Ils étaient les GI’s, les soldats américains, venus d’ailleurs pour libérer un ailleurs dont on ne leur avait pas appris grand-chose à l’école. La France. L’Europe. Un continent occupé par une force qu’on leur avait identifiée comme « nazie ». Et ils eurent sept secondes et demie de survie devant eux (mais ce dernier élément, ils ne le connaissaient pas encore). Ils étaient nés et avaient été élevés dans les Etats-Unis d’Amérique, vaste continent longtemps indifférent à l’histoire et à la géographie du reste du monde, et ils arrivaient des plaines monotones du cœur du pays, le Kansas, le Missouri, l’Indiana ou l’Iowa. Et aussi des montagnes neigeuses du Wyoming ou des marais salants de Louisiane. D’autres de la côte Ouest, la Californie ou l’Oregon, d’autres du New Jersey et de New York. D’autres, enfin, du Texas ou du Colorado. En vérité, ils venaient de partout, on les avait mélangés dans les unités et les divisions, les quatre armées (Navy, Army, Marines, Air Force), mais on les avait séparés des Noirs, qu’ils appelaient, la plupart du temps, des Negros. Ils étaient les enfants de la Grande Dépression, nés dans les années 20, ayant grandi dans les années 30, portant dans leur inconscient collectif le souvenir des queues interminables à Chicago, Saint Louis ou Detroit, pour obtenir du pain et des haricots aux comptoirs des soupes populaires ; l’image des vagabonds et des chômeurs réunis autour d’un feu de bois ou d’un poêle à charbon dans un terrain douteux du New Jersey ou du Maryland ; les visa-ges creusés et soucieux des parents à la maison, devant un maigre repas ; les files de camions transportant des paysans déracinés et des fermiers démunis sur les routes poussiéreuses de l’Oklahoma en direction d’une mythique contrée où ils recueilleraient les raisins de la colère ; les frères aînés qui étaient contraints de vendre des pom-mes au coin de la rue à Los Angeles ou à Charlottesville, malgré les diplômes gagnés dans les collèges. Ils provenaient de toutes les familles ethniques, Irlandais, Italiens, Polonais, Allemands, Slaves, tous des Américains. Tous convaincus qu’ils allaient à la guerre pour une juste cause, outragés dans leur orgueil par le viol du 7 décembre 1941, l’attaque de Pearl Harbor, tous animés par un élan de patriotisme unanime comme leur pays n’en avait encore jamais vécu, n’en vivrait sans doute encore jamais plus. Au début de la décennie, ils s’étaient portés volontaires, 5 millions d’entre eux, et rués vers les centres de recrutement, vers les forts militaires géants de Floride, d’Alabama ou du Kansas. En 1944, ils seraient 10 millions de conscrits. Ils avaient revêtu avec fierté l’uniforme couleur kaki léger et porté le casque à la forme tellement plus esthétique que celle de leurs futurs ennemis, et on les avait instruits dans le maniement du fusil, de la grenade, de la baïonnette, du pistolet mitrailleur, de la mitrailleuse, du lance-flammes, du poignard. Et ça leur avait plu. Après de longs mois de préparation, on les avait embarqués pour les îles Britanniques. Il y avait, dans leurs yeux encore innocents, la flamme de la foi en une juste cause. Ils ne savaient pas véritablement ce qui les attendait. Sept secondes et demie pour survivre.
Que laissaient-ils derrière eux ?
Ils laissaient une nation tout entière consacrée à la guerre la plus populaire dans l’histoire de l’Amérique. Les femmes et les Noirs y jouèrent un rôle annonciateur d’autres luttes. Parmi les 12 millions de candidats à des postes de Défense civile, plus de 100 000 femmes dans les Wasc, les Waves et les Spars, les branches féminines des quatre armées. Parallèlement, d’autres Américaines étaient brutalement passées du statut de femme au foyer à celui d’ouvrière spécialisée dans l’industrie de l’armement. Jusqu’ici les fiancées, les épouses, les mamans des GI’s avaient été cantonnées dans des rôles de serveuses de restaurant, infirmières, auxiliaires d’hôtel ou de bureau. Dorénavant, pour la majorité d’entre elles, la guerre et son effort leur faisaient découvrir le nomadisme professionnel – rarement la mobilité fut-elle aussi fréquente, la délocalisation, le changement de ville, d’Etat, d’habitudes – et le monde du travail, avec l’apprentissage du pouvoir, d’un rôle dans l’entreprise, la prise de conscience d’une indépendance de leur sexe, leur identité. La Seconde Guerre mondiale fut le creuset fondateur d’où émergerait, beaucoup plus tard dans la deuxième moitié du XXe siècle, le désir (et la victoire) de la parité chez la femme américaine.
Les Noirs, enfin, quoique victimes quotidiennes de la ségrégation la plus cruelle, du chômage, de la pauvreté et de l’oppression raciale, du Ku Klux Klan et de sa croix en feu, vivraient, eux aussi, en ce début de la décennie 1940, un semblant d’émancipation grâce à l’armée, grâce à la guerre car même si on les confinait dans des unités black à cent pour cent, ils y apprirent un métier, y gagnèrent une dignité, et purent, eux aussi, envisager de sortir un jour de leur condition de sous-nation. Leur militarisation (13 millions de Noirs, 16 % d’entre eux portèrent l’uniforme) permit à nombre de ces jeunes gens d’échapper aux terribles émeutes urbaines de Detroit en février 1942, de Harlem en avril 1943 car at home, à la maison, on n’avait encore aucune idée, ou aucune envie, de « l’intégration » qui interviendrait bien plus tard, dans les années 60. Mais les GI’s, qu’on avait désormais installés dans toutes les bases du sud de l’Angleterre, n’étaient plus très bien informés sur ce qui continuait de se dérouler là-bas, au pays natal. On les préparait à traverser la Manche pour débarquer sur des plages inconnues que les stratèges, sous le commandement d’un homme au visage de père de famille, le général Eisenhower, avaient baptisé de noms familiers : Omaha, Utah. Pour l’heure, les GI’s quittaient les centaines de villes et villages de Grande-Bretagne où ils avaient vécu des amours passagères avec des Anglaises conquises par leur sourire, leur exotisme, leurs chewing-gums et leurs cadeaux de bas de soie. Ils avaient envahi pubs, cinémas, hôtels et restaurants, établi des centaines de bases et de terrains d’aviation et on les entassait, depuis la fin mai, dans des myriades de navires, bateaux, péniches, chaloupes et autres embarcations à destination de la France, une terre étrangère. Ils allaient se battre pour elle, sans savoir réellement à quoi elle ressemblait, quel était son passé, sa culture, ses mœurs. Cette fois, ça y était, c’était l’aube du jour le plus long.
Alors ?
Alors, saisis par la peur et l’angoisse, vomissant leur repas, pleurant ou priant, impatients ou timorés, scribouillant sur des bouts de papier leur dernier message d’amour à leurs épouses ou leurs girlfriends, ballottés et secoués par une mer déchaînée dans les chalands LCA et LCI ou dans les chars amphibies, des garçons de 18, 20, 25 ans, répondant aux prénoms tranquilles de Jim, Tim, Steve, Bill, Tony, Diego, Jack, Donald ou Ray, les oreilles assourdies par le grondement terrifiant dans lequel se mélangeaient les bombardements des avions amis et les rafales d’obus des canons allemands, effrayés par le crépitement des balles de mitrailleuses venues des bunkers contre les coques d’acier des chalands, se présentèrent face à ces plages truffées de mines, barbelés, pyramides, hérissons en acier, piquets et pointes, pataugeant pathétique-ment dans une eau déjà rougie par le sang des camarades qui venaient de s’échouer dans le même imprévisible et abominable désordre. Dans la violente marée montante, au milieu de cadavres et débris de chalands, équipements dispersés, balles d’ar-mes légères giflant la surface autour d’eux, ces héros hallucinés, dont les noms figurent aujourd’hui sur des milliers de petites croix blanches dans le calme de la verdure normande, firent l’horrible découverte qu’ils disposaient d’à peu près sept secondes et demie de temps pour se mettre à l’abri, franchir l’eau, ramper sur le sable, se coucher au sol, survivre. Personne ne leur avait dit que cela se passerait ainsi. Les premiè-res heures et les premières vagues d’assaut furent terribles, catastrophiques, désastreuses, confuses, pétrifiantes, indescriptibles dans leur horreur, et ceux qui réussirent à traverser la fatidique barrière des sept secondes et demie le durent autant à la chance qu’à l’inconscience, au hasard qu’à la bravoure, à la volonté qu’à la rage de vaincre. Tous des héros. Ils appartenaient à la «Greatest Generation», diraient, beaucoup plus tard, les historiens de tous bords, cette lon-gue et anonyme troupe d’Américains sans grade, incapables de prononcer une phrase en français ou le nom d’un quelconque village normand. Le seul mot qui les avait amenés jusqu’ici, jusqu’à ces sept secondes de mort ou de survie, s’épelait liberté. Freedom! Comment pourrait-on jamais les oublier ? (Le Figaro)
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