Assia Djebar,une algérienne à l’Académie française
**Photo: L’écrivaine algérienne Assia Djebar (à gauche), membre de l’Académie française, aux côtés d’un de ses homologues, Alain Decaux (à droite) à l’Académie francaise le 22 juin 2006 à Paris.
**L’écrivaine algérienne Assia Djebar, membre de l’Académie française, est décédée vendredi 06 février 2015, à l’âge de 78 ans dans un hôpital parisien, trois ans après avoir été pressentie pour le prix Nobel de littérature, a annoncé samedi la radio publique algérienne. Elle comptait parmi les figures majeures de la littérature maghrébine d’expression française, auteur prolifique qui prônait l’émancipation des musulmanes et le dialogue des cultures. Elle était la première personnalité du Maghreb élue à l’Académie française (2005), après l’avoir été à l’Académie royale de Belgique, en 1999.Son oeuvre littéraire est traduite en 23 langues, selon le site de l’Académie française où elle avait été élue le 16 juin 2005 au fauteuil de Georges Vedel (5e fauteuil). La romancière, qui était également cinéaste, sera enterrée, selon ses voeux, dans son village natal de Cherchell, à l’ouest d’Alger, la semaine prochaine. Elle commence sa carrière littéraire en 1957 avec «La Soif», suivi en 1958 de l’ouvrage «Les Impatients». Après notamment «Femmes d’Alger dans leur appartement» (1980), «L’amour, la fantasia» (1985), «Ombre sultane» (1987), elle fait parler les grandes figures féminines proches du Prophète dans «Loin de Médine» (1991).En 1983, Pierre Beregovoy, ministre des Affaires sociales, la choisit pour représenter l’immigration algérienne au Conseil d’administration du Fonds d’action sociale (FAS) où elle siège six ans. Elle poursuit son oeuvre, riche d’une vingtaine de romans traduits en autant de langues, sur le sort des femmes et des intellectuels dans l’Algérie de la violente décennie 1990. Suivent entre autres «Le Blanc de l’Algérie» (1996), «Oran, langue morte» (1997, Prix Marguerite Yourcenar à Boston), «Ces voix qui m’assiègent» (1999), «La Femme sans sépulture»» (2002).*leparisien.fr/samedi 07 février 2015
**Assia Djebar inhumée au cimetière de Cherchell (Tipasa)
La romancière Assia Djebar, décédée vendredi dernier en France à l’âge de 79 ans, a été inhumée, vendredi matin 13 février 2015, au cimetière de Cherchell (Tipasa), en présence de ses proches, de personnalités littéraires et politiques et d’une foule nombreuse. La dépouille de l’icône algérienne était arrivée, jeudi soir, à l’aéroport Houari Boumedienne en provenance de Paris. Elle a été transportée au Palais de la culture (Alger) où un ultime hommage lui a été rendu, avant d’être acheminée à Cherchell, sa ville natale. Une veillée funèbre a été organisée à la bibliothèque communale de Cherchell en présence de sa mère, de ses enfants, de ses proches, de personnalités du monde de la culture et de ses admirateurs. *algerie1.com/ 13/02/2015 |
*Une foule nombreuse accompagne Assia Djebbar à sa dernière demeure
L’enterrement de la romancière Assia Djebbar avait eu lieu ce vendredi dans la matinée au cimetière de Cherchell, sous une pluie fine. Beaucoup de personnalités étaient présentes à cet ultime rendez-vous avec l’académicienne française, aux côtés des membres de sa famille et des citoyens anonymes, tous avaient tenu à se recueillir devant la tombe de l’immortelle. Il aura fallu attendre exactement une heure avant que Assia Djebbar ne rejoigne son espace pour l’éternité, non pas comme elle avait souhaité aux côtés de son père, mais les décideurs avaient jugé utile de creuser la tombe juste à l’entrée du cimetière. Jean-Baptiste Faivre Ministre Conseiller en fonction à l’Ambassade de France était présent. L’assistance avait attendu l’arrivée du Ministre de l’Information, Hamid Grine avant de commencer la simple cérémonie, dépourvue d’une oraison funèbre.
Les hautes autorités civiles et militaires de la wilaya de Tipasa, Ali Benflis, d’ex.Ministres, Boualem Benhamouda, Kamed Bouchama, Mihoub Mihoubi, Abdelkader Bounekraf ; des membres du bureau national de l’O.N.M ; des étudiants venus d’Alger et de Tizi-Ouzou ; des cinéastes et des responsables du mouvement associatif venus de tous les coins des wilayas environnantes. Une foule venue rendre le dernier hommage à cette grande dame algérienne, cette femme hautement cultivée mais qui était toujours en quête du savoir, cette membre de l’UGEMA de Tunis qui n’a jamais dissimulé son inégalable attachement à sa patrie, en dépit de toutes les épreuves vécues par sa personne à travers le monde entier. Morte, Assia Djebbar accompagnée par des femmes jusqu’à sa dernière demeure, a réussi à briser un tabou pour la 1ère fois dans l’histoire de la ville de Cherchell. En effet, le fait que les femmes étaient présentes au cimetière, un impondérable surprenant qui a suscité moult commentaires. Assia Djebbar allongée paisiblement dans son cercueil enveloppé par l’emblème national. Femmes, jeunes, hommes chantaient en chœur « min djibalina » au moment où Assia Djebbar se trouvait sous terre, chant suivi par des yous yous et des applaudissements. Des couronnes de roses et des fleurs ornent sa tombe.
« Avec la présence de la grande romancière algérienne Assia Djebbar, Cherchell deviendra une ville immortelle », déclare le wali. Hamid Oudaï, l’un des 02 fils de l’héroine Zoulikha Oudaï, objet du roman « la dame sans sépulture » ; « je n’oublierai jamais Assia Djebbar qui avait sorti ma mère de l’anonymat, nous dit-il, elle était venue en 1976 chez nous à la maison pour commencer le tournage du film « Nouba des Femmes du Chenoua », c’est une femme très fière qui aime son pays, l’Histoire de son pays, qui a toujours milité pour le droit des femmes, afin qu’elles soient présentes à tous les niveaux dans tous les domaines », conclut-il.
Alors que l’assistance s’est dispersée pour quitter le cimetière, un véhicule de couleur noire s’arrête face à cet amas de terre fraîche agréablement colorée par les fleurs. Assise à l’intérieur de ce véhicule, la maman de Assia Djebbar fatiguée en raison de sa maladie, jette un dernier regard. Samir, le frère de Assia Djebbar, accompagné par ses proches s’est dirigé plus loin, pour se recueillir devant la tombe de son père. Assia Djebbar est à présent au milieu des siens. Elle a suscité la curiosité. Elle a réuni les membres de sa famille qui ne se sont pas rencontrés depuis des décennies. Les habitants de Cherchell sont aujourd’hui fiers de la présence de Assia Djebbar chez eux.*M’hamed Houaoura-El Watan/ vendredi 13 février 2015
*Hommage unanime à l’oeuvre de la grande romancière Assia Djebar
De Paris à Kuala Lumpur en passant par Genève et Madrid, la presse étrangère de dimanche a rendu hommage à l’oeuvre de la grande romancière algérienne Assia Djebar, décédée vendredi, ainsi qu’à son engagement pour l’émancipation des femmes.
En France, où la défunte était membre de l’Académie depuis 2005, la disparition de l’auteure est rapportée par plusieurs titres qui ont salué la «grande voix de l’émancipation des femmes», tout en évoquant son parcours d’écrivain, de cinéaste et d’historienne. L’Humanité écrit que «toute son oeuvre était habitée par un engagement en faveur de l’émancipation et des droits des femmes», en particulier les femmes algériennes qui étaient «au coeur» de ses nombreux ouvrages. Dans son supplément littéraire, Le Nouvel Observateur» préfère rappeler que la défunte n’était pas seulement la «première personnalité du Maghreb à avoir été élue à l’Académie française» mais aussi la «première Algérienne», la première musulmane et somme toute la première Africaine à entrer à l’Ecole normale supérieure en 1955», et surtout, une «pionnière de la littérature féminine» avec la parution en 1957 de son premier roman «La Soif».
Cet engagement pour la cause féminine est également souligné dans l’édition de dimanche du quotidien espagnol El Mundo et sur le site de la première chaîne européenne d’information Euro News. En Suisse, le journal New Zurcher Zeitung estime, pour sa part, qu’avec la mort de Assia Djebar, «l’Algérie a perdu une de ses voix les plus célèbres», un avis également partagé par le rédacteur du site d’information «The Malay Online» en Malaisie. La presse arabe a, elle aussi, rendu hommage à l’écrivaine, à l’exemple du journal Acharq Al Awsat (édité à Londres) qui regrette que la défunte n’ait jamais reçu le prix Nobel de littérature, une distinction qu’elle aurait «méritée» du fait de la «richesse» et de la «diversité» de son oeuvre.
D’autres titres arabophones, paraissant à Londres sont également revenus sur le parcours de Assia Djebar, tandis que le journal égyptien Al Yawm Assabî cite l’hommage du président français à la «femme de convictions aux identités multiples et fertiles…».
La nouvelle de la disparition de la romancière, cinéaste et académicienne occupait la «Une» de plusieurs titres en Algérie qui ont choisi de saluer la mémoire de «l’icône», de «la grande plume» et de «l’intellectuelle à l’itinéraire exemplaire» à travers des articles, des entretiens et des réactions d’hommes de lettres.
«Noblesse qui meurt» titrait poétiquement, sur fond d’un portrait célèbre en noir et blanc d’Assia Djebar, le quotidien francophone Reporters qui a consacré deux pages à la «vie littéraire foisonnante» de celle qu’il désigne par «l’Immortelle de Cherchell», en double référence à sa ville natale et à son élection en 2005 à l’Académie française.
Plus sobre avec «Assia Djebar est morte», Le Quotidien d’Oran a choisi, de son côté, de revenir sur le riche parcours littéraire, cinématographique et universitaire de la «défenderesse des droits humains et particulièrement ceux des femmes».
Le rapport particulier à la mémoire dans l’oeuvre de Assia Djebar qui «n’a jamais renoncé à son algérianité», la portant «autant dans ses romans que dans sa vie et sa beauté» est analysée dans le journal El Watan dans un article titré «La maison de son père», en référence à l’ultime ouvrage de la défunte, «Nulle part dans la maison de mon père» paru en 2007.
L’auteur de l’article revient également sur le discours prononcé par la défunte à l’Académie française où elle avait, note-t-il, «lâché des mots qui sans doute, n’y avaient jamais étés prononcés, sinon du bout des lèvres, revendiquant (Assia Djebar) pleinement ses origines, dénonçant le colonialisme et son entreprise de négation de la culture algérienne».
Il note, par ailleurs, que son pays qu’elle a aimé «avec une constance filiale» ne le «lui a pas toujours rendu», en évoquant ce qu’il considère comme un manque de reconnaissance et de visibilité de Assia Djebar en Algérie, un avis aussi développé par le chroniqueur du journal Liberté où la disparition de la romancière est également en «Une».
Le journal arabophone El Khabar évoque, pour sa part, la disparition d’un auteur «universel»dont le «nom, écrit-il, pouvait être inscrit dans les listes des plus hautes distinctions littéraires internationales», comme le prix Nobel pour lequel elle avait été pressentie à de nombreuses reprises.
Ce regret est également exprimé dans les colonnes d’autres titres arabophones comme Echaâb ou encore «Sawt Al Ahrar qui ont, en outre, publié des hommages à la défunte recueillis auprès d’écrivains et d’intellectuels de tous horizons. *Lundi 09 Fevrier 2015/ L’Expression
**Elles partent toutes nos grandes figures de la nation algérienne.
Ils sont partis nos artistes. Nous partirons tous, et nous laisserons dernière nous les éloges tardives, des mots doux, des reconnaissances encore trop avares du peu de bienveillance que peut-être chacun de nous mérite en dépit de tout.
Assia Djebar pensait juste en arabe et écrivait bellement en français, – elle était algérienne dans La Soif, Les Alouettes naïves, Poèmes pour l’Algérie heureuse, Rouge l’Aube, Ombre sultane, Loin de Médine, Le Blanc de l’Algérie, Nulle part de la maison de mon père… Elle était membre de la toute première Union des Écrivains Algériens (28 octobre 1963).
Mes sincères condoléances à la famille d’Assia Djebar et à ses proches.
Que Dieu accorde sa Miséricorde à la défunte et l’accueille en Son Vaste Paradis.
«À Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons.»
*Par Kaddour M’HAMSADJI - Lundi 09 Fevrier 2015/ L’Expression
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*Décès du poète algérien Malek Alloula, époux de feu Assia Djebar et frère du dramaturge et comédien Abdelkader Alloula
Le poète et écrivain algérien Malek Alloula est décédé mardi soir -16 février 2015- à Berlin à l’âge de 77 ans alors qu’il était en résidence d’écriture en Allemagne, a-t-on appris mercredi auprès de l’écrivain et sociologue Noureddine Saâdi, proche du défunt. Né le 13 novembre 1937à Oran, Malek Alloula devrait être inhumé vendredi dans sa ville natale près de la tombe de son défunt frère, le dramaturge et comédien Abdelkader Alloula assassiné en 1994, conformément à sa volonté, a indiqué l’écrivain.
Malek Alloula avait fait ses études de Lettres modernes à la Faculté d’Alger puis à Paris, il était écrivain, critique littéraire et poète en plus d’avoir présidé une association dédiée à promouvoir l’œuvre théâtrale de son frère.
Il a également été l’époux de la romancière et académicienne Assia Djebar disparue le 6 février 2015. En 1969 Malek Alloula avait publié son premier recueil de poésie intitulé « Villes » qui sera suivi de quatre autres œuvres poétiques et d’essais dont « Les festins de l’exil » en 2003. La dernière œuvre du défunt était un roman photo intitulé « Paysage d’un retour » publié en France en collaboration avec le photographe Pierre Clauss en 2010.*algerie1.com/ mercredi 18/02/2015 |
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Extraits du discours d’Assia Djebar prononcé à son admission à l’Académie française
L’Afrique du Nord, du temps de l’empire français – comme le reste de l’Afrique de la part de ses coloniaux anglais, portugais ou belges –, a subi, un siècle et demi durant, dépossession de ses richesses naturelles, déstructuration de ses assises sociales et, pour l’Algérie, exclusion dans l’enseignement de ses deux langues identitaires, le berbère séculaire, et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers.
Mesdames et Messieurs, le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont rouvert récemment la mémoire, trop légèrement et par dérisoire calcul électoraliste. En 1950 déjà, dans son ‘’Discours sur le colonialisme’’ le grand poète Aimé Césaire avait montré, avec le souffle puissant de sa parole, comment les guerres coloniales en Afrique et en Asie ont, en fait, ‘’décivilisé’’ et ‘’ensauvagé’’, avait-il dit, l’Europe».
«La langue française, la vôtre, Mesdames et Messieurs, devenue la mienne, tout au moins en écriture, le français donc, est lieu de creusement de mon travail, espace de ma méditation ou de ma rêverie, cible de mon utopie peut-être, je dirais même tempo de ma respiration, au jour le jour : ce que je voudrais esquisser, en cet instant où je demeure silhouette dressée sur votre seuil.
Je me souviens, l’an dernier, en juin 2005, le jour où vous m’avez élue à votre Académie, aux journalistes qui quêtaient ma réaction, j’avais répondu que ‘’ j’étais contente pour la francophonie du Maghreb’’. La sobriété s’imposait, car m’avait saisie la sensation presque physique que vos portes ne s’ouvraient pas pour moi seule, ni pour mes seuls livres, mais pour les ombres encore vives de mes confrères – écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d’Algérie – qui, dans la décennie quatre-vingt-dix ont payé de leur vie le fait d’écrire, d’exposer leurs idées ou tout simplement d’enseigner… en langue française.
Depuis, grâce à Dieu, mon pays cautérise peu à peu ses blessures. Il serait utile peut-être de rappeler que, dans mon enfance en Algérie coloniale (on me disait alors ‘’française musulmane’’) alors que l’on nous enseignait ‘’nos ancêtres les Gaulois’’, à cette époque justement des Gaulois, l’Afrique du Nord, (on l’appelait aussi la Numidie), ma terre ancestrale avait déjà une littérature écrite de haute qualité, de langue latine…
J’évoquerais trois grands noms : Apulée, né en 125 ap. J.C. à Madaure, dans l’Est algérien – étudiant à Carthage puis à Athènes, écrivant en latin, conférencier brillant en grec, auteur d’une œuvre littéraire abondante, dont le chef-d’œuvre L’Âne d’or ou les Métamorphoses, est un roman picaresque dont la verve, la liberté et le rire iconoclaste – conserve une modernité étonnante…. Quelle révolution, ce serait de le traduire en arabe populaire ou littéraire, qu’importe, certainement comme vaccin salutaire à inoculer contre les intégrismes de tous bords d’aujourd’hui.
Quant à Tertullien, né païen à Carthage en 155 ap. J.-C., qui se convertit ensuite au christianisme, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont son Apologétique, toute de rigueur puritaine. Il suffit de citer deux ou trois de ses phrases qui, surgies de ce IIe siècle chrétien et latin, sembleraient, soudain, parole de quelque tribun misogyne et intolérant d’Afrique. Oui, traduisons-le vite en langue arabe, pour nous prouver à nous-mêmes, au moins, que l’obsession misogyne qui choisit toujours le corps féminin comme enjeu n’est pas spécialité seulement «islamiste» !
En plein IVe siècle, de nouveau dans l’Est algérien, naît le plus grand Africain de cette Antiquité, sans doute de toute notre littérature : Augustin, né de parents berbères latinisés… Inutile de détailler le trajet si connu de ce père de l’Eglise : l’influence de sa mère Monique qui le suit de Carthage jusqu’à Milan, ses succès intellectuels et mondains, puis la scène du jardin qui entraîne sa conversion, son retour à la maison paternelle de Thagaste, ses débuts d’évêque à Hippone, enfin son long combat d’au moins deux décennies, contre les donatistes, ces Berbères christianisés, mais âprement raidis dans leur dissidence.
Après vingt ans de luttes contre ces derniers, eux qui seraient les ‘’intégristes chrétiens’’ de son temps, étant plus en contact certes avec leurs ouailles parlant berbère, Augustin croit les vaincre : justement, il s’imagine triompher d’eux en 418, à Césarée de Maurétanie (la ville de ma famille et d’une partie de mon enfance). Il se trompe.
Treize ans plus tard, il meurt, en 431 dans Hippone, assiégée par les Vandales arrivés d’Espagne et qui, sur ces rivages, viennent, en une seule année, de presque tout détruire. Ainsi, ces grands auteurs font partie de notre patrimoine. Ils devraient être étudiés dans les lycées du Maghreb : en langue originale, ou en traduction française et arabe. Rappelons que, pendant des siècles, la langue arabe a accompagné la circulation du latin et du grec, en Occident ; jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Mon français s’est ainsi illuminé depuis vingt ans déjà, de la nuit des femmes du Mont Chenoua. Il me semble que celles-ci dansent encore pour moi dans des grottes secrètes, tandis que la Méditerranée étincelle à leurs pieds. Elles me saluent, me protègent. J’emporte outre Atlantique leurs sourires, images de ‘’shefa’’, c’est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles.
Mesdames et Messieurs, c’est mon vœu final de ‘’shefa’’ pour nous tous, ouvrons grand ce ‘’Kitab el Shefa’’ ou Livre de la guérison (de l’âme) d’Avicenne / Ibn Sina, ce musulman d’Ispahan, dont la précocité et la variété prodigieuse du savoir, quatre siècles avant Pic de la Mirandole, étonna lettrés et savants qui suivirent…»*publiés dans El Watan-08/02/2015
**Nulle part dans la maison de mon père (2007)
Eh bien, Assia Djebar n’est plus. Depuis quelques années, la nouvelle de sa maladie bruissait dans les cercles littéraires et journalistiques sans que personne ne l’ait vraiment éventée, par égard à sa personne, mais aussi par consternation. Qu’une écrivaine aussi passionnée et impliquée par la mémoire soit concernée par Alzheimer prenait la dimension d’une tragédie grecque.
D’une manière ou d’une autre, la mémoire est présente dans toute son œuvre et si fortement dans son ultime livre, Nulle part dans la maison de mon père (2007). Un livre au sommet de sa belle écriture, catalogué roman, ce qu’il était, bien qu’il s’agissait d’une autobiographie romancée : son enfance et sa jeunesse à Cherchell, sa scolarité à Blida, presque seule «indigène» parmi les élèves, la découverte d’Alger et de l’amour et, parsemant le tout, la figure de son père, Monsieur Imalhayène, l’un des premiers instituteurs algériens.
Le titre de ce roman magnifique, que nous avions qualifié de «livre où elle se livre», de même que plusieurs de ses passages, était assurément un message d’une grande délicatesse mais d’une force terrible. La maison de son père, c’était aussi son pays qu’elle a aimé avec une constance filiale et qui – pourquoi le cacher ? –, ne le lui a pas toujours rendu.
Lors de son élection à l’Académie française en 2005, plusieurs observateurs dans le monde avaient noté qu’en dehors de la déclaration de l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, et de quelques articles de presse, l’hommage officiel avait manqué, comme s’il y avait quelque honte à ce qu’une écrivaine algérienne soit intégrée dans cette institution de l’ancienne puissance coloniale. L’écrivain Waciny Laredj avait déclaré : «C’est une fierté nationale et les pouvoirs publics, en premier lieu le chef de l’Etat, devraient réagir. Le traitement de cette information par la Télévision nationale comme un fait banal m’a sidéré» (Jeune Afrique, 27 juin 2005).
On se gargarise pourtant aisément que nos footballeurs jouent dans de grands clubs français. Zidane en bleu vaut mieux que Djebar en vert, couleur de la tenue académique. Mais, objectera-t-on, c’est là histoire de pieds quand un écrivain jongle avec le ballon des valeurs. Un tel argument, au-delà du mépris qu’il professerait à l’égard du sport, porteur également de valeurs, ne peut tenir quand on lit son discours lors de son installation dans la vénérable institution.
Un discours d’une clarté limpide, diffusant dans cette docte assemblée, où les mots sont perçus avec tout leur poids et leur subtilité, des messages forts et clairs. Devant rendre hommage, comme le veut la coutume académicienne, à son prédécesseur, l’éminent juriste Georges Vedel, l’un des artisans de l’Europe, elle souligne une phrase du doyen de l’Académie selon lequel les premières formes d’union continentale (l’Euratom) sont nées «en partie parce que la guerre d’Algérie occupait beaucoup les esprits». Remarque qu’elle qualifie de «précieuse» pour elle.
Elle va plus loin dans son discours (lire les extraits ci-dessous), lâchant dans ce cénacle des mots qui, sans doute, n’y avaient jamais été prononcés, sinon du bout des lèvres, revendiquant pleinement ses origines, dénonçant le colonialisme et son entreprise de négation de la culture algérienne, évoquant les langues amazighe et arabe, de même que le Coran, griffant au passage la tentative de positiver une occupation et une ségrégation violente (on est alors en plein débat sur la «colonisation positive»). Plus loin encore, elle cite Rabelais qui conseillait d’apprendre l’arabe, «pareillement» au latin et à l’hébreu. Au début de son discours, elle se réfère à Diderot qui, dit-elle, «ne fut pas, comme Voltaire, académicien, mais dont le fantôme me sera, je le sens, ombre gardienne».
Un choix loin d’être fortuit quand on sait que Diderot fut le seul du Siècle des Lumières à s’opposer radicalement à la colonisation. Une manière aussi de dire que, toute honorée qu’elle se trouvait d’être élue à l’Académie française, elle ne se sentait pas obligée d’y enfermer son esprit, alors que l’usage de l’institution aurait voulu plutôt qu’elle se réfère à son illustre prédécesseur académique, Voltaire. Pour ceux qui en doutaient encore, Assia Djebar n’a jamais renoncé à son algérianité. Elle l’a portée autant dans ses romans que dans sa vie et sa beauté.
Ici même, lors de son entrée à l’Académie française, nous écrivions : «Le souvenir de nos écrivains et de nos artistes, si prompt à s’éveiller devant leur mort, ne peut-il donc jamais s’accommoder de leur existence ? Notre gratitude ne peut-elle s’exprimer à leur égard que dans l’oraison funèbre ?» (Les Palmes et le palmier, El Watan, 20 juin 2005). Qu’il est dur parfois d’avoir eu raison tout en espérant que les funérailles qu’elle a voulues en son Chenoua natal puissent un peu nous donner tort et compenser la froideur qu’elle a pu ressentir de son pays, la maison de son père. *Ameziane Farhani / El Watan-08/02/2015
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**Biographie- Assia DJEBAR
Élue à l’Académie française, le 16 juin 2005
Née le 30 juin 1936 à Cherchell (Algérie).
Ancienne élève de l’École normale supérieure de Sèvres (1955).
Elle écrit son premier roman La Soif en 1957, suivi de son deuxième roman en 1958, Les Impatients.
Études d’histoire (Moyen Âge arabe et Maghreb du XIXe siècle) sous la direction de Louis Massignon et Jacques Berque.
Professeur d’histoire moderne et contemporaine du Maghreb à la faculté des lettres de Rabat, de 1959 à 1962.
Au printemps 1962, sort à Paris son troisième roman Les Enfants du nouveau monde.
Professeur d’université à la faculté d’Alger : d’histoire de 1962 à 1965, de littérature française et de cinéma de 1974 à 1980.
En 1974, de retour à Alger, elle enseigne les études francophones. Parallèlement, elle commence la préparation d’un long métrage semi-documentaire, après des séjours dans la tribu maternelle des Berkani. Elle y interroge la mémoire des paysannes sur la guerre, y intègre des épisodes dans La Nouba des Femmes du Mont Chenoua, long-métrage de deux heures, produit en arabe et en français par la télévision algérienne, sur une musique de Béla Bartok.
Ce long-métrage suscite des débats contradictoires dans les milieux algériens. Il sera présenté à Carthage en 1978, puis à la Biennale de Venise, en 1979 où il obtient le Prix de la Critique internationale. Il est actuellement étudié dans la plupart des universités américaines.
Elle continuera son travail de cinéma avec un long métrage documentaire La Zerda et les Chants de l’oubli présenté en 1982, par la télévision algérienne et primé au Festival de Berlin, comme « meilleur film historique » en janvier 1983.
Ne pouvant travailler à la fois, comme romancière francophone dans son pays tout en poursuivant une œuvre de cinéaste dans sa langue maternelle, elle choisit définitivement de retourner vivre à Paris, en 1980.
De 1980 à 2005, sa vie, en banlieue parisienne, puis à Paris, est consacrée presque exclusivement à son travail d’écriture française : romans, essais, théâtre, travail critique.
De 1983 à 1989, elle est choisie par Pierre Bérégovoy, ministre des affaires sociales, comme représentante de l’émigration algérienne pour siéger au Conseil d’administration du FAS (Fonds d’action sociale).
Elle publie dès lors régulièrement aux éditions Albin Michel, aux éditions Actes Sud.
Après la publication de son roman L’Amour, la Fantasia, elle fait régulièrement des tournées de lecture de ses textes en Allemagne, en Italie et des conférences dans les universités anglaises et américaines.
En 1995, elle accepte de partir travailler en Louisiane, comme professeur titulaire à Louisiana State University de Baton Rouge où elle dirige également un Centre d’études françaises et francophones de Louisiane.
En 2001, elle quitte la Louisiane pour être à New York University professeur titulaire. En 2002, elle est nommée Silver Chair Professor.
Auparavant, tout l’été 2000, à Rome, dans une production du Teatro di Roma, elle met en scène un drame musical en cinq actes : Filles d’Ismaël dans le vent et la tempête dont elle est l’auteur. Elle écrit Aicha et les femmes de Médine, drame musical en 3 actes, que lui a commandé un théâtre de Rotterdam, la même année.
Prix littéraires :
- Prix Liberatur de Francfort, 1989.
- Prix Maurice Maeterlinck, 1995, Bruxelles.
- International Literary Neustadt Prize, 1996 (États-Unis).
- Prix Marguerite Yourcenar, 1997 (Boston États-Unis).
- Prix international de Palmi (Italie).
- Prix de la paix des Éditeurs allemands, 2000 (Francfort).
- Prix international Pablo Neruda, 2005 (Italie).
- Prix international Grinzane Cavour pour la lecture, 2006 (Turin, Italie).
Docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d’Osnabrück (Allemagne).
Son œuvre littéraire est traduite en vingt trois langues. Une vingtaine d’ouvrages étudient son œuvre : en français, en anglais, en allemand et en italien.
Un colloque international lui a été consacré en novembre 2003, à la Maison de écrivains, à Paris (actes publiés en 2005).
Élue à l’Académie française, le 16 juin 2005, au fauteuil de M. Georges Vedel (5e fauteuil).
*source: academie-francaise.fr
**Ses Œuvres
1957- La Soif (Julliard)
1958- Les Impatients (Julliard)
1962- Les Enfants du Nouveau monde (Julliard)
1967- Les Alouettes naïves (Julliard)
1980- Femmes d’Alger dans leur appartement (Éditions des femmes)
1985- L’Amour, la Fantasia
1987- Ombre sultane
1991- Loin de Médine
(Albin Michel)
1995- Vaste est la prison
(Albin Michel)
1996Le Blanc de l’Algérie
(Albin Michel)
1997- Les Nuits de Strasbourg
(Actes Sud)
1997- Oran, langue morte
(Actes Sud)
1999Ces voix qui m’assiègent
(Albin Michel)
2002- La Femme sans sépulture
(Albin Michel)
2003- La Disparition de la langue française (Albin Michel)
2007- Nulle part dans la maison de mon père (Fayard)
**Assia Djebar, l’oubliée des Nobel de littérature
la première femme maghrébine élue à l’Académie française
Ce n’était pas la première fois qu’elle était donnée favorite. Mais ce jeudi 10 octobre 2013, le jury du Nobel de littérature a préféré la Canadienne anglophone, Alice Munro, à Assia Djebar, 77 ans.
«A l’exception de Loin de Médine, un des romans les plus forts sur la décennie noire, son œuvre n’est sans doute pas assez universelle, analyse le journaliste et critique littéraire Rachid Mokhtari. Ses romans restent dans la sphère méditerranéenne.» Un avis que partage aussi Fatiha Soal, gérante de la librairie Les Mots, à Alger, qui pense aussi que la récurrence des mêmes thématiques, «les femmes, la Révolution algérienne», joue aussi en sa défaveur. Pourtant, Alice Munro, 82 ans, est devenue célèbre en écrivant des nouvelles… ancrées dans la vie des campagnes de l’Ontario. «Dans l’histoire des Nobel de littérature, on voit bien qu’il est toujours décerné à un auteur qui écrit dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de Assia Djebar», relève pour sa part Abderrahmane Ali-Bey, gérant de la librairie du Tiers-Monde, qui prédisait déjà la victoire de la Canadienne mercredi.
Lorsqu’en 2000, Assia Djebar reçut le Prix de la paix des éditeurs allemands, elle s’était exprimée à ce sujet : «J’écris donc, et en français, langue de l’ancien colonisateur qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée, tandis que je continue à aimer, souffrir, également à prier quand parfois je prie, en arabe, ma langue maternelle.» Récompensée par de nombreux prix, la première Maghrébine et la quatrième femme élue à l’Académie française, avait pourtant, d’après les professionnels du livre, toutes ses chances. «Assia Djebar est la grande figure féminine de la littérature algérienne, estime Sofiane Hadjadj, directeur des éditions Barzakh. Depuis 50 ans, elle n’a jamais cessé d’écrire et son œuvre est restée cohérente. Pour moi, elle a introduit deux dimensions dans le roman : l’intime (sa famille, ses origines) et l’histoire (la Révolution, la question berbère, l’islam).»
Bien que ses livres aient été traduits en 23 langues et qu’ils soient étudiés dans les universités du monde entier, l’éditeur et écrivain Bachir Mefti ne comprend pas pourquoi «rien n’a jamais été fait pour qu’elle soit traduite en arabe (à l’exception d’une pièce de théâtre L’Aube de la liberté, ndlr), comme Rachid Boudjedra.» «Du coup, elle reste marginalisée, regardée comme une auteure qui écrit ‘ ‘pour les Français’’». Rachid Mokhtari assure d’ailleurs qu’elle a «beaucoup souffert de n’avoir jamais été traduite en arabe ni en berbère».
Pour l’écrivain Amine Zaoui, l’œuvre de Assia Djebar, qui «mérite le prix Nobel», «est à l’image de la littérature maghrébine, peut-être trop politique et pas assez philosophique». Mais l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale considère aussi que l’écrivaine souffre d’un «manque de promotion». «Notre pays n’a pas fait beaucoup pour cette militante de la culture, romancière, historienne» qui a quitté ses études à l’appel du FLN pour rejoindre les rangs de la Révolution. *El Watan-11.10.2013
Assia Djebbar décédée
L’écrivaine et historienne, membre de l’Académie française est décédée vendredi soir dans un hôpital parisien des suites d’une longue maladie, a appris El Watan de source familiale. La famille est en contact avec l’ambassade d’Algérie en France et le Ministère de la Culture pour le rapatriement du corps de la défunte en Algérie conformément à ses vœux, a indiqué à El Watan, sa fille Jalila. Elle sera enterrée au cimetière de Cherchell aux côtés de son père et de son frère Mohamed, décédé nourrisson.
« Elle retournera aux siens comme elle le voulait » nous a affirmé Jalila, « elle y reposera définitivement dans son pays natal auprès de ses proches ».
Assia Djebar, née Fatma-Zohra Imalayène à Cherchell le 30 juin 1936, auteure majeure au Maghreb est une écrivaine de notoriété mondiale. Elle est l’auteure de romans, poésies et essais traduits dans 23 langues. Elle a également écrit pour le théâtre, et a réalisé plusieurs films. Assia Djebar est considérée comme l’une des auteurs les plus célèbres et influentes du Maghreb. Elle est élue à l’Académie française le 16 juin 2005.
Fatma-Zohra Imalayène est la première algérienne et la première femme musulmane à intégrer l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres en 1955, où elle choisit l’étude de l’Histoire en 1956. À partir de 1956, elle suit le mot d’ordre de grève de l’UGEMA, l’Union générale des Étudiants musulmans algériens, et ne passe pas ses examens. C’est à cette occasion qu’elle écrira son premier roman, La Soif. Elle adopte depuis le nom de plume, Assia Djebar.
Pendant une dizaine d’années (les années soixante dix), elle délaisse l’écriture pour le cinéma. Elle réalise deux films, La Noubades Femmes du Mont Chenoua en 1978, long-métrage qui lui vaudra le Prix de la Critique internationale à la Biennale de Venise de 1979 et un court-métrage La Zerdaou les chants de l’oubli en 1982.
En 1999 elle soutient sa thèse à l’université Paul-Valéry Montpellier 3, une thèse sur sa propre oeuvre : Le roman maghrébin francophone, entre les langues et les cultures : quarante ans d’un parcours : Assia Djebar, 1957-1997 . La même année, elle est élue membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Depuis 2001, elle enseigne au département d’études françaises de l’université de New York. Le 16 juin 2005, elle est élue au fauteuil 5 de l’Académie française, succédant à Georges Vedel, et y est reçue le 22 juin 2006. Elle est docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d’Osnabrück (Allemagne).
L œuvre de Assia Djebar a pour thèmes l’émancipation des femmes, l’histoire, l’Algérie considérée à travers sa violence et ses langues.
A la demande de Françoise Giroud qui dirige l’Express elle retourne en Algérie le 1er juillet 1962, après huit années d’absence pour réaliser une enquête sur les Algériennes à peine sorties de cent-trente-deux ans de colonisation et de sept années de guerre. L’ enquête sera publiée le 26 juillet 1962 sous le titre L’Algérie des femmes. Assia Djebar conclut son enquête avec les phrases suivantes : « Je les ai vues, la plupart, les premiers jours de l’indépendance. Elles rendaient grâce à Dieu de ces jours arrivés ; et maintenant, elles attendent. »
Elle dira quelques années plus tard : « J’écris, comme tant d’autres femmes écrivains algériennes avec un sentiment d’urgence, contre la régression et la misogynie. »
« Son franc parler bouscule les conventions établies, car elle ne se limite pas à la place habituellement assignée à un écrivain femme et de surcroît à un écrivain femme représentant à elle seule les cultures berbère, arabe, musulmane et française », relève Amel Chaouati, présidente du Cercle es Amis de Assia Djebarfondé en 2009 à l’initiative du livre collectif Lire Assia Djebar aux éditions La Cheminade . (El Watan du 30/07/06, sous le titre: Assia Djebar à l’Académie française: l’écriture , une démarche mystique).
« Assia Djebar démontre … combien elle reste fidèle à ses engagements, à ses idées et à ses principes sans concession aucune », souligne aussi Amel Chaouati.
Ses convictions, son engagement, Assia Djebar les réaffirmera dans son discours du 22 juin 2006 – dont nous reprenons quelques extraits ci-dessous – devant l’Académie française à laquelle elle avait été élue le 16 juin 2005. Elle sera une des huit femmes membres de cette illustre institution occupant le siège no 5.
**Nadjia BOUZEGHRANE
*Extraits du discours qu’Assia Djebar prononça le jeudi 22 juin 2006 devant l’Académie française avant de prendre le siège laissé vacant par le décès de Georges Vedel auquel elle venait d’être élue.
« L’Afrique du Nord, du temps de l’Empire français, — comme le reste de l’Afrique de la part de ses coloniaux anglais, portugais ou belges — a subi, un siècle et demi durant, dépossession de ses richesses naturelles, déstructuration de ses assises sociales, et, pour l’Algérie, exclusion dans l’enseignement de ses deux langues identitaires, le berbère séculaire, et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers.
Mesdames et Messieurs, le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont rouvert récemment la mémoire, trop légèrement et par dérisoire calcul électoraliste. En 1950 déjà, dans son « Discours sur le Colonialisme » le grand poète Aimé Césaire avait montré, avec le souffle puissant de sa parole, comment les guerres coloniales en Afrique et en Asie ont, en fait, « décivilisé » et « ensauvagé », dit-il, l’Europe ».
… « Je voudrais ajouter, en songeant aux si nombreuses Algériennes qui se battent aujourd’hui pour leurs droits de citoyennes, ma reconnaissance pour Germaine Tillon, devancière de nous toutes, par ses travaux dans les Aurès, déjà dans les années trente, par son action de dialogue en pleine bataille d’Alger en 1957, également pour son livre Le harem et les Cousins qui, dès les années soixante, nous devint « livre-phare », œuvre de lucidité plus que de polémique ».
« La langue française, la vôtre, Mesdames et Messieurs, devenue la mienne, tout au moins en écriture, le français donc est lieu de creusement de mon travail, espace de ma méditation ou de ma rêverie, cible de mon utopie peut-être, je dirai même ; tempo de ma respiration, au jour le jour : ce que je voudrais esquisser, en cet instant où je demeure silhouette dressée sur votre seuil.
Je me souviens, l’an dernier, en Juin 2005, le jour où vous m’avez élue à votre Académie, aux journalistes qui quêtaient ma réaction, j’avais répondu que « J’étais contente pour la francophonie du Maghreb ». La sobriété s’imposait, car m’avait saisie la sensation presque physique que vos portes ne s’ouvraient pas pour moi seule, ni pour mes seuls livres, mais pour les ombres encore vives de mes confrères — écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d’Algérie qui, dans la décennie quatre-vingt-dix ont payé de leur vie le fait d’écrire, d’exposer leurs idées ou tout simplement d’enseigner… en langue française.
Depuis, grâce à Dieu, mon pays cautérise peu à peu ses blessures.
Il serait utile peut être de rappeler que, dans mon enfance en Algérie coloniale (on me disait alors « française musulmane ») alors que l’on nous enseignait « nos ancêtres les Gaulois », à cette époque justement des Gaulois, l’Afrique du Nord, (on l’appelait aussi la Numidie), ma terre ancestrale avait déjà une littérature écrite de haute qualité, de langue latine…
J’évoquerai trois grands noms : Apulée, né en 125 ap. J.C. à Madaure, dans l’est algérien, étudiant à Carthage puis à Athènes, écrivant en latin, conférencier brillant en grec, auteur d’une œuvre littéraire abondante, dont le chef d’œuvre L’Âne d’or ou les Métamorphoses, est un roman picaresque dont la verve, la liberté et le rire iconoclaste conserve une modernité étonnante…. Quelle révolution, ce serait, de le traduire en arabe populaire ou littéraire, qu’importe, certainement comme vaccin salutaire à inoculer contre les intégrismes de tous bords d’ aujourd’hui.
Quant à Tertullien, né païen à Carthage en 155 ap. J.C, qui se convertit ensuite au christianisme, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont son Apologétique, toute de rigueur puritaine Il suffit de citer deux ou trois de ses phrases qui, surgies de ce Il e siècle chrétien et latin, sembleraient soudain parole de quelque tribun misogyne et intolérant d’Afrique. Par exemple, extraite de son opus Du voile des vierges , cette affirmation : « Toute vierge qui se montre, écrit Tertullien, subit une sorte de prostitution ! », et plus loin, « Depuis que vous avez découvert la tête de cette fille, elle n’est plus vierge tout entière à ses propres yeux ».
Oui, traduisons le vite en langue arabe, pour nous prouver à nous-même, au moins, que l’obsession misogyne qui choisit toujours le corps féminin comme enjeu n’est pas spécialité seulement « islamiste ! »
En plein iv e siècle, de nouveau dans l’Est algérien, naît le plus grand Africain de cette Antiquité, sans doute, de toute notre littérature : Augustin, né de parents berbères latinisés… Inutile de détailler le trajet si connu de ce Père de l’Église : l’influence de sa mère Monique qui le suit de Carthage jusqu’à Milan, ses succès intellectuels et mondains, puis la scène du jardin qui entraîne sa conversion, son retour à la maison paternelle de Thagaste, ses débuts d’évêque à Hippone, enfin son long combat d’au moins deux décennies, contre les Donatistes, ces Berbères christianisés, mais âprement raidis dans leur dissidence.
Après vingt ans de luttes contre ces derniers, eux qui seraient les « intégristes chrétiens » de son temps, étant plus en contact certes avec leurs ouailles parlant berbère, Augustin croit les vaincre : Justement, il s’imagine triompher d’eux en 418, à Césarée de Maurétanie (la ville de ma famille et d’une partie de mon enfance). Il se trompe. Treize ans plus tard, il meurt, en 431 dans Hippone, assiégée par les Vandales arrivés d’Espagne et qui, sur ces rivages, viennent, en une seule année, de presque tout détruire.
Ainsi, ces grands auteurs font partie de notre patrimoine. Ils devraient être étudiés dans les lycées du Maghreb : en langue originale, ou en traduction française et arabe.
Rappelons que, pendant des siècles, la langue arabe a accompagné la circulation du latin et du grec, en Occident ; jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Après 711 et jusqu’à la chute de Grenade en 1492, l’arabe des Andalous produisit des chefs d’œuvre dont les auteurs, Ibn Battouta le voyageur, né à Tanger ; Ibn Rochd le philosophe commentant Aristote pour réfuter El Ghazzali, enfin le plus grand mystique de l’occident musulman, Ibn Arabi, voyageant de Bougie à Tunis et de là, retournant à Cordoue puis à Fez-La langue arabe était alors véhicule également du savoir scientifique (médecine, astronomie, mathématiques etc.) Ainsi, c’est de nouveau, dans la langue de l’Autre (les Bédouins d’Arabie islamisant les Berbères pour conquérir avec eux l’Espagne) que mes ancêtres africains vont écrire, inventer. Le dernier d’entre eux, figure de modernité marquant la rupture, Ibn Khaldoun, né à Tunis, écrit son Histoire des Berbères en Algérie ; au milieu du xiv e siècle. Il finira sa vie en 1406 en Orient ; comme presque deux siècles auparavant, Ibn Arabi.
Pour ces deux génies, le mystique andalou, et le sceptique inventeur de la sociologie, la langue d’écriture semble les mouvoir, eux, en citoyens du monde qui. préférèrent s’exiler de leur terre, plutôt que de leur écriture ».
….Mon français s’est ainsi illuminé depuis vingt ans déjà, de la nuit des femmes du Mont Chenoua. Il me semble que celles-ci dansent encore pour moi dans des grottes secrètes, tandis que la Méditerranée étincelle à leurs pieds. Elles me saluent, me protègent. J’emporte outre Atlantique leurs sourires, images de « shefa’ », c’est-à-dire de guérison. Car mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles.
Mesdames et Messieurs, c’est mon vœu final de « shefa’ » pour nous tous, ouvrons grand ce « Kitab el Shefa’ » ou Livre de la guérison (de l’âme) d’Avicenne/Ibn Sina, ce musulman d’Ispahan dont la précocité et la variété prodigieuse du savoir, quatre siècles avant Pic de la Mirandole, étonna lettrés et savants qui suivirent… »*Nadjia Bouzeghrane-Tl Watan-samedi 07 février 2015
**L’écrivaine algérienne d’expression française Assia Djebar est morte samedi 7 février. Elle aura été la première personnalité du Maghreb élue à l’Académie française, en 2005.
Egalement cinéaste, Assia Djebar, qui figure parmi les classiques de la littérature maghrébine d’expression française, est l’auteure d’une quinzaine de romans, pièces de théâtre et scénarios. De son vrai nom Fatima Zohra Imalayène, fille d’un instituteur, née à Cherchell, en Algérie, alors sous domination française, elle a évoqué dans son discours d’entrée à l’Académie l’« immense plaie » infligée par le colonialisme aux peuples colonisés.
Peu connue en France, son œuvre, commencée en 1955, à l’âge de 19 ans, avec La Soif, défend l’émancipation des femmes musulmanes. Première musulmane admise à l’Ecole normale supérieure de Paris, en 1955, elle enseignait depuis les années 1990 la littérature française aux Etats-Unis.*.lemonde.fr/2015/02/07/
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