La phobie scolaire
*La phobie scolaire se soigne
(Dessin : Dobritz)
De plus en plus d’élèves souffriraient de «refus anxieux». Comment les thérapies peuvent-elles aider ?
Des parents déboussolés et culpabilisés, qui errent de cabinets de médecins en consultations de psychologues ; des enfants qui préparent bien leur cartable le soir mais se tordent de douleurs abdominales le matin après le petit déjeuner et ne peuvent aller en classe… Elle est bien loin, l’image d’Épinal de l’école buissonnière, aventureuse et presque joyeuse, quand on aborde les rives sombres des troubles anxieux entraînant le refus scolaire. Environ 4 ou 5 % des enfants scolarisés, tous âges confondus, en seraient victimes aujourd’hui. Pis, 1 % d’entre eux souffriraient d’une forme extrême de ce syndrome. On les dit alors victimes de «phobie scolaire».
*Angoisses de séparation
Première difficulté : évaluer la nature du problème et poser un diagnostic. Gilles-Marie Valet, pédopsychiatre dans un CMPP de Malakoff et auteur de L’Âge de raison (Éditions Larousse), le constate régulièrement : «Les parents, après avoir vu quelques généralistes pour les nausées ou l’aggravation de l’asthme de leur enfant, et devant l’impossibilité d’expliquer ces maux physiques, pensent ensuite qu’il “fait semblant”. Une opinion souvent partagée par les profs, et qui amène beaucoup de confusion. Quant à nous, professionnels de la psyché, il nous faut distinguer le refus scolaire qui vient d’un trouble des apprentissages, l’absentéisme de convenance, d’un refus vraiment lié à trop d’anxiété. Dans ce dernier cas, l’enfant dit être désireux de suivre les cours, souvent même il est doué, mais il n’y arrive tout simplement pas.»
Ce parcours plein d’embûches, Viviane Chelli, présidente de l’association Phobie scolaire qui informe et oriente les parents, ne pensait pas devoir l’emprunter. Enseignante dans le supérieur, née dans une famille où les «études étaient une évidence», elle avoue que le «ciel lui est tombé sur la tête quand [sa] fille, à partir de la classe de quatrième, a commencé à souffrir d’une sérieuse incapacité à se rendre à l’école». Avec le recul, elle constate qu’il y avait eu toutefois un élément déclencheur : «le décès de sa meilleure amie une année auparavant, suivi d’un déménagement et de l’arrivée dans un grand lycée parisien où la pression était très forte».
Pour Viviane Chelli, aucun doute : «Le refus scolaire anxieux, même s’il repose sur un faisceau de causes différentes, a pour origine un traumatisme.» Ayant demandé à une centaine d’adhérents de son association de répondre à un questionnaire détaillé, elle a constaté que 80 % des enfants souffrant de phobie scolaire ont été victimes d’un harcèlement psychique ou d’une agression physique dans le cadre de l’école. Pour les experts, le refus scolaire est plutôt à envisager en rapport avec les angoisses de séparation nées dans la toute petite enfance et qui se réactivent à la faveur de la scolarisation.
*«Ni meilleurs ni moins bons»
Comment éradiquer ces troubles somatopsychiques ? De rares services hospitaliers existent (dont un à l’hôpital Robert-Debré à Paris) pour les enfants les plus gravement atteints, qui ont besoin d’une scolarisation accompagnée à l’hôpital. Quant aux formes mineures, elles bénéficient particulièrement de deux formes de psychothérapie : la thérapie familiale et les TCC (thérapies cognitivo-comportementales).
C’est qu’il y a urgence : à chaque crise, l’enfant déserte la classe et perd d’autant plus confiance qu’il a manqué de cours. «Les TCC lui donnent des outils pour affronter le quotidien», explique Gilles-Marie Valet. Responsabilisé par un véritable «contrat thérapeutique» avec son psy, réassuré progressivement grâce à des exercices à accomplir dans le cadre de l’école (aller parler à un élève qu’il ne connaît pas, poser une question en classe…), l’enfant lutte concrètement contre l’anxiété qui le clouait jusque-là.
Mais Gilles-Marie Valet reconnaît que les périodes de retour de vacances restent des moments très sensibles : «À chaque longue coupure, l’enfant risque d’être repris par ses difficultés.» Aussi suggère-t-il aux parents de favoriser les loisirs d’apprentissage pendant les journées sans école : «Envoyer l’enfant chercher du pain pour lui apprendre à compter la monnaie, faire un herbier avec lui quand on part en week-end à la campagne sont autant de stratégies qui lui feront comprendre que les compétences, qui se traduisent toujours dans le concret, servent aussi à avoir une vie tranquille.»
À notre époque où les troubles anxieux se nourrissent de l’angoisse de performance, ou «angoisse de résultat», il est vital de montrer aux enfants en difficulté qu’ils ne sont ni meilleurs ni moins bons que les autres, mais juste un peu plus stressés. Et que cela se soigne.(Le Figaro-30.08.2010.)
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«Pour l’enfant, le refus scolaire est la solution à d’autres problèmes»
INTERVIEW – Éric Trappenier, psychologue, psychothérapeute familial, est directeur de l’Institut d’études de la famille de Toulouse et auteur, entre autres, de «Cause toujours ! À quoi on obéit quand on désobéit» (Éditions du Seuil).
LE FIGARO. - Vous affirmez qu’en cas de refus scolaire d’un enfant, c’est la famille tout entière qui doit être prise en charge.
Éric TRAPPENIER. - Lorsqu’on envoie l’enfant seul chez un psychologue ou un pédopsychiatre, on ne fait que «psychologiser» son problème. Or, en tant que thérapeute familial, je sais que tout problème ou symptôme est un comportement adaptatif à un contexte. L’enfant qui ne veut pas aller à l’école le fait parce qu’il dispose là d’une solution à d’autres problèmes. Je me demande donc toujours quels sont les règles et les enjeux familiaux dissimulés derrière son trouble scolaire. Je suis comme Sherlock Holmes et j’ai besoin de tous les acteurs de la situation pour l’éclaircir.
Quels enjeux peuvent se cacher derrière une phobie scolaire ?
La question de l’autorité dans la famille, notamment. On est là dans une situation où l’enfant refuse d’obéir à des règles et ses parents eux-mêmes récusent ces règles en affirmant que l’école est infréquentable pour lui. Alors qui commande ? Il faut donc chercher à quelles loyautés invisibles se plie l’enfant en refusant l’école. Typiquement, on tombe souvent dans un modèle où mère et enfant sont pris dans un lien de grande proximité tandis que le père, très occupé par ailleurs, est dans une relation périphérique avec eux. Du coup, la mère cherche à ramener le père à la maison et le problème de l’enfant lui permet cela. Importante aussi, l’histoire personnelle de chaque parent. Un père qui a brillamment réussi dans les affaires sans aller à l’école aura du mal à inciter son fils à suivre les cours avec assiduité ; une mère qui a elle-même été une élève anxieuse comprendra facilement la phobie de son enfant… J’avance donc comme un plongeur masqué pour comprendre les motivations et respecter le rythme de chacun. Les parents doivent eux aussi se sentir reconnus et accueillis.
Quelles autres raisons cachées cherchez-vous à mettre à jour ?
Il y a parfois d’importants non-dits à deviner derrière l’attitude de l’enfant. Je me souviens d’une famille dans laquelle on ne parlait jamais de l’obésité du garçon. Or celui-ci ne voulait pas aller à l’école car il subissait les moqueries de ses camarades… Dans ce cas, c’est le degré de confiance avec ses parents qui posait question et était à considérer comme la véritable racine de l’échec scolaire de l’enfant.
Combien de séances faut-il pour venir à bout d’une telle difficulté ?
Ça dépend évidemment du stade du problème auquel la famille consulte. Quand on en est aux premiers signes, le thérapeute n’est alors qu’un agent de la circulation qui débloque les forces en place, et les comportements justes peuvent se remettre en action. Quand l’enfant a encore des moyennes de 8,5 ou 9/10, qu’il a encore envie de travailler et s’il n’a pas intégré les prophéties du style «tu es nul» qu’il entend prononcer par son entourage, la situation peut encore s’arranger vite. Mais parfois, le problème et les enjeux des parents sont comme cristallisés. L’enfant est déjà en quatrième ou en troisième, et l’on observe qu’il a comme «symptomatisé» par la phobie un problème relationnel caché dans le clan familial. Dans ces cas, la thérapie doit parfois s’étaler sur une ou deux années. (Le Figaro-30.08.2010.)
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