Mixité à l’école : la fin d’un dogme
L’établissement Saint-Jean de Passy a fait le choix de conserver des classes non mixtes au collège.
Les effets pervers de la cohabitation filles-garçons sont mis en avant par des travaux de sociologues. Des expériences de séparation sont menées dans les autres pays développés, mais en France, la mixité est une valeur aussi ancrée que la laïcité.
Elles sont trois filles, assises sur la balustrade, devant le portail de leur lycée parisien. Jean serré, bouche maquillée. Ultraféminines. «S’il n’y avait pas de mecs? On y penserait encore plus, lance Julie avec un rire provocateur. Et puis entre filles, c’est supermesquin: jalousies, commérages…» Mais à côté d’elle, Mylène tempère: «En fait, ce serait peut-être moins dur. Les filles moches, ou celles qui ne sont pas populaires, ça doit être très violent pour elles, le regard des garçons.» Et la troisième de conclure, philosophe: «Ça dépend ce que tu cherches au lycée. Si tu veux bosser, c’est sûr que c’est mieux de pas être trop distrait par le reste. » Julie et ses copines ont du mal à imaginer ces temps lointains et barbares où filles et garçons vivaient séparés. Elles ne savent même pas que c’est une revendication de mixité dans la cité universitaire de Nanterre qui finit par embraser le printemps 1968. La mixité est pour elles une évidence. Comme elle le fut longtemps en France, depuis que la loi Haby la rendit obligatoire en 1975, faisant d’elle un élément aussi important que la laïcité dans l’édifice républicain français.
Mais la plus lumineuse des évidences finit un jour par être mise en question. Et la mixité ne fait pas exception. Quand la très sérieuse sociologue Marie Duru-Bellat, auteur d’ouvrages vantés par l’ensemble des tenants du progressisme scolaire, et insoupçonnable de dérive réactionnaire, publie cet été dans la revue de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) un article intitulé «Ce que la mixité fait aux élèves», le débat, très vite, s’anime. D’autant que la Revue française de pédagogie s’apprête à publier à son tour, sous la direction de la même chercheuse, un numéro consacré à ce sujet.
**Meilleurs résultats pour les filles
Avant cela, toute remise en cause, et même toute interrogation sur les effets de la mixité, semblait intolérable. Michel Fize, auteur en 2003 des Pièges de la mixité scolaire (Presses de la Renaissance) en a subi les conséquences. Depuis, son argumentation a pourtant fait florès: toutes les études le prouvent, les filles obtiennent de meilleurs résultats à l’école, toutes catégories sociales confondues -même si les écarts se creusent au fur et à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale- mais elles ont une moindre estime d’elles-mêmes que les garçons, se perçoivent comme moins brillantes, et s’orientent majoritairement vers des filières peu valorisées. «Tous les professeurs vous le diront, remarque François Portzer, professeur d’histoire-géographie, les filles sont moins dans une attitude d’opposition contre le système. Il faut dire que les images de réalisation de la virilité qu’on offre aux garçons passent par le foot, pas par l’école.» Résultat, des garçons plus turbulents, et des professeurs qui leur accordent 56% de leur temps, contre 44% aux filles.
Pire, certains s’inquiètent de l’effet potentiellement délétère de la mixité scolaire sur les garçons. «Il faut arrêter de croire que les enfants sont des anges asexués, proteste Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil et auteur de Sauvons les garçons! (Descartes & Cie, 2009). Dès l’apprentissage de la lecture, on voit que les filles s’en sortent mieux. Parce que l’apprentissage se décompose en différents moments, énoncé, exécution, vérification, correction et finition. Or les petites filles apprennent très tôt à exécuter des tâches, comme aider à mettre la table… Elles ont intégré ce processus. Les garçons, surtout dans les milieux populaires, sont souvent élevés comme des petits rois et ne sont donc pas préparés au métier d’élève. Au moment de la découverte de la différence des sexes, vers 5-6 ans, le garçon est tenté d’en conclure que l’école est faite pour les filles.» À cette différence culturelle, on peut ajouter une différence naturelle, celle d’une puberté plus précoce chez les filles, qui peut, à l’adolescence, perturber certains garçons.
«En 2003, se souvient Michel Fize, j’avais été conspué parce que j’avais écrit qu’il y a des différences physiologiques entre filles et garçons, et qu’on pouvait en tenir compte à certains moments du développement. Mais de toute façon, la donne a changé.» Car beaucoup l’ignorent, mais depuis 2008, la mixité n’est plus obligatoire en France. La retranscription d’une directive européenne sur les discriminations avait permis d’introduire dans la loi l’autorisation d’aménagements de la mixité pour certains enseignements.
La loi du 15 mai 2008 a ému les défenseurs de l’égalité homme-femme car elle coïncidait avec des revendications de groupes religieux pour revenir sur ce principe fondamental de l’organisation de l’école. C’est encore cette crainte qui limite la réflexion sur la question. Et qui fait de la France une exception puisque les écoles non mixtes ont fait l’objet, dans les années 2000 d’expériences diverses aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, ou en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, c’est George Bush qui avait autorisé ces expériences dont les résultats ont été jugés très positifs pour les filles issues des minorités. Encore ces jeunes filles étaient-elles toutes volontaires, ce qui fausse l’évaluation. Mais la revendication émanait autant de féministes radicales voulant sortir les filles des déterminismes sexués que d’extrémistes religieux. En Allemagne, où il s’agissait de développer des enseignements non mixtes, en sciences physiques ou en informatique, les résultats étaient très positifs pour les filles, même si leur réinsertion dans des classes normales, où elles se heurtaient à des stéréotypes renforcés, était difficile.
En France, où n’existe pas la tradition anglo-saxonne de séparation des sexes dans l’espace social, seul le privé hors contrat développe, de façon très marginale, des classes non mixtes. Dans l’enseignement catholique sous contrat, où la non-mixité est peu à peu devenue rare, on se veut prudent. Pour Claude Berruer, secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique, «il faut avoir conscience que la mixité ne contribue pas forcément à une égale dignité garçon-fille. Mais un retour en arrière ne serait pas la solution. Bien sûr, nous avons des familles, notamment musulmanes, qui expriment des réserves et mettent le doigt sur des façons de vivre la mixité qui ne respectent pas la pudeur. On se désole du machisme, mais il faut réfléchir sur ce qu’on donne à voir du rapport au corps dans nos sociétés.» Et de fait, les quelques classes non mixtes de l’enseignement privé sous contrat sont plébiscitées.
**Respecter la sensibilité des adolescents
Ainsi, le célèbre établissement Saint-Jean-de-Passy, dans le XVIe arrondissement de Paris, ancien lycée de garçons, s’est ouvert aux filles pour le primaire, puis pour le collège et le lycée. Mais le choix a été fait, au collège, de conserver des classes non mixtes. «Nous avons toujours pensé qu’il y avait une complémentarité des sexes, plaide Marie-Odile Idrac, qui dirige l’établissement depuis un an. Nous aménageons de longs moments de mixité, pendant les repas, les récréations, mais nous avons voulu développer une approche originale, respectant la sensibilité des adolescents.» Et dans les examens qui sont mixtes, les filles s’en sortent avec en moyenne deux points de plus que les garçons.
Au collège Stanislas, dans le VIe arrondissement, on laisse le choix aux élèves. Philippe, dont le fils est entré cette année en 4e, raconte: «Dans son ancien collège, Clément était classé “intello”. Il était harcelé par des garçons, souvent poussés par des filles plus mûres qu’ils voulaient impressionner. Mais à Stanislas, il est finalement dans une classe mixte, et cela ne pose aucun problème. Pour une raison simple: tout le monde est là pour travailler, pour apprendre. Garçons et filles jouent le jeu parce qu’ils savent que sinon, ils sont virés.»
De l’autre côté de l’échelle sociale, Mourad Rebrab, professeur à Belfort, observe lui aussi que les problèmes liés à la mixité révèlent surtout des carences de l’école. «Les filles sont en moyenne meilleures, mais elles sont plus fragiles. On en voit qui basculent et deviennent ingérables à la suite de problèmes familiaux graves, parce que personne n’est là pour les écouter. Chez elles, elles n’existent pas. On n’a pas de solution, on les exclut parce que le collège unique ne sait pas prendre en charge les élèves déviants.» Les garçons, eux, s’enfoncent dans l’échec et dans la frustration. Les filles ont gagné le droit d’être instruites au moment où l’école renonçait à la transmission au profit de nouvelles pédagogies. Mieux préparées à une absence de cadre, elles s’en tirent mieux, mais au prix de relations dégradées et violentes avec les garçons. (Le Figaro-13.09.2010.)
**Mixité à l’école, un principe à revoir ?
01/09/2003 —-
ÉDUCATION … Les grandes problématiques de la rentrée scolaire
Mixité à l’école, un principe à revoir ?
Révélée par les médias de gauche et la hiérarchie de l’enseignement catholique, la crise de la mixité scolaire l’on dit, plus pudiquement, les « ratés » vient s’ajouter aux grandes misères de l’école Ferry (Jules).
« Mixité scolaire » : serions-nous ici face à l’une de ces données sociales « intouchables » ?
La sociologie réelle se moque des tabous, il ne saurait y avoir pour elle de sujets défendus. Aucun principe, aucune institution fussent-ils les plus prestigieux ne sauraient échapper à son regard critique. La famille « bonne-en-soi », la mixité des élèves, préposée à toutes les vertus, sont leurres sociaux, rien d’autre. Soumettons donc à l’examen scientifique la cohabitation des filles et des garçons à l’école.
Car il y a bel et bien crise de la mixité scolaire à tout le moins dysfonctionnements. Il reste à en identifier les symptômes. Deux séries de faits sont avancées, qui paraissent la mettre directement en cause : la réussite inégale des garçons et des filles celles-ci se révélant plus performantes, tant dans l’enseignement primaire que scondaire , et les violences sexistes, voire les agressions sexuelles des garçons sur les filles.
Mais existe-t-il un vrai rapport de causalité entre ces faits et la mixité censée les produire ? Pas sûr. Il semble d’abord que l’inégalité sexuelle des succès scolaires tienne avant tout aux plus grandes capacités d’adaptation des filles au système, à la conscience aiguë des enjeux chez ces dernières (le diplôme favorise l’émancipation familiale et facilite l’insertion professionnelle). Quel que soit le contexte d’enseignement, école mixte ou école séparée, les filles obtiennent donc de meilleurs résultats que les garçons ; il semble également pour ces derniers que le contexte importe peu : mélangés ou séparés des filles, leurs résultats demeurent le plus souvent inférieurs à ceux de leurs camarades.
S’agissant des violences masculines dont l’enceinte scolaire mixte est, de plus en plus souvent, le théâtre, leur origine paraît moins imputable à la mixité elle-même celle-ci donne évidemment l’occasion du passage à l’acte qu’à un dérèglement général des relations entre les sexes. On voit alors les limites d’une action qui viserait l’élimination des violences sexistes à l’école et ne s’attaquerait pas, parallèlement, aux violences dans les cités, ou dans la rue : le traitement des violences sexistes et sexuelles suppose bien un traitement global.
Pourtant, il y a bel et bien crise de la mixité scolaire.
Faisons ici une courte incidente. Il faut d’abord sortir des faux-semblants et de l’hypocrisie ambiante. Généralisée en France depuis la fin des années 1960, la mixité n’est pas partout dans les écoles, n’est pas pour tous les élèves. Si les élèves du primaire et des collèges (à quelques exceptions près) en bénéficient, nombre de lycéens en sont exclus. Par le jeu des sections dans l’enseignement général ou des filières professionnelles dans l’enseignement technique, la mixité est parfois introuvable. Faut-il rappeler, par exemple, que 82,4 % des élèves de section L (littéraire) sont des filles et 92,4 % des élèves de section sciences et techniques industrielles sont des garçons ? Que 99,7 % des élèves inscrits en première année de BTS sont des filles et 99,1 % des élèves de mécanique-automobile sont des garçons (chiffres pour l’année 2000-2001) ?
Il faut ensuite signaler qu’un peu partout en Europe, sans que soit remise en question la « règle » de la mixité, des « aménagements » et des correctifs lui sont apportés. Ainsi certaines disciplines comme l’EPS (éducation physique et sportive) ou l’« éducation sexuelle » se soustraient-elles volontiers à une application brutale de la mixité, ménageant des temps de séparation, pour le meilleur épanouissement personnel, et la meilleure performance, de l’un et l’autre sexe. A quoi bon, en effet, mêler, dans le sport collectif, des garçons et des filles dont les aptitudes, les capacités, l’expression technique divergent ?
C’est ici évoquer le champ des différences entre les sexes, un sujet qui fâche. Or, toutes les études scientifiques attestent de ces différences. L’on sait aujourd’hui que les garçons ont une meilleure perception de l’espace et de la place qu’y occupent les objets que les filles. Que ces dernières, en revanche, réussissent mieux dans les tâches qui font intervenir le langage. Force physique, vélocité semblent plutôt du côté des garçons, grâce artistique et souplesse du côté des filles. Question : que fait-on ici de ces différences ? Si l’on naît bien homme ou femme la biologie tord ici le cou à la philosophie beauvoirienne l’on ne naît pas, dans l’espèce humaine, dominant ou dominé. L’existence d’une essence masculine ou d’une essence féminine ne saurait donc justifier une situation sociale hiérarchique entre les hommes et les femmes. Qu’il en soit ainsi est affaire de culture, non de nature.
Entrée par la petite porte, en catimini, et sans débat préalable, dans le système français, la mixité scolaire ne saurait être considérée comme un grand principe de la République, au même titre, au même rang, que la laïcité ou l’égalité des chances. La mixité est un outil peut-être d’abord pédagogique dont la légitimité dépend de l’efficacité. Mais à quoi sert-il exactement, cet outil ? Que vise-t-on avec lui ? Un meilleur épanouissement des individus ? De meilleures performances de la part des élèves ?
Mixité-égalité : voilà bien la confusion sémantique par excellence. N’a-t-on pas longtemps pensé que la première engendrait nécessairement la seconde ?
Mixité-respect : voilà bien une autre association majeure. N’a-t-on pas longtemps affirmé que la fréquentation des sexes, amenant leur connaissance mutuelle, apaiserait leurs rapports ?
Mixité-émulation : encore une évidence énoncée. N’a-t-on pas longtemps soutenu que la coexistence des sexes permettrait à l’un et à l’autre de se transcender ?
Les faits démentent toutes ces associations. Il faut donc en finir avec la mixité « bonne à tout faire ». La coéducation ne porte pas en elle-même tous les bienfaits. C’est pourquoi nous suggérons un usage prudent de l’outil. Si la règle de la mixité dans l’enseignement primaire et au lycée ne doit pas être remise en question il conviendrait même de l’étendre là où elle n’existe toujours pas, dans la cour de récréation des écoles, par exemple n’est-elle pas à atténuer au collège, là où dans les petites classes (6e, 5e) l’avance de « maturité » des filles peut contrarier l’avance scolaire des garçons ? Pourquoi ne pas la rendre optionnelle, permettre le temps d’une année scolaire, à des garçons et filles volontaires, de faire le choix de la séparation ?
Chacun aura compris que le véritable combat pour demain est celui de l’égalité réelle des chances entre garçons et filles, à l’école bien sûr, mais aussi dans la vie sociale et professionnelle. Chacun aura compris que ce dont il est vraiment question pour l’école, c’est la réalisation de l’apprentissage des valeurs de respect, de tolérance, la préparation du bien-vivre ensemble. (Le Figaro)
* Sociologue au CNRS, auteur de l’ouvrage Les Pièges de la mixité scolaire venant de paraître aux Presses de la Renaissance.
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