Peut-on vivre sans Dieu?
«L’existence est une mer sans cesse agitée par les vagues. De cette mer, les gens ordinaires ne perçoivent que les vagues. (…) tandis que la mer reste cachée sous les vagues.» Jâmî (mystique iranien)
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En ce début du mois de Ramadhan, il nous plait de contribuer modestement par une série de contributions au débat spirituel. Il est connu que l’inquiétude, voire l’angoisse par rapport au monde de l’invisible, a toujours été une constante de l’humain. L’homme de la préhistoire était hanté par le surnaturel et avait la préoccupation de communiquer avec ce monde inconnu. Sur de nombreux sites, les scientifiques ont découvert des pierres dressées vers le ciel, pouvant être un culte, une façon de communiquer avec les dieux en liant ciel et terre, un lieu de sépulture. Il a marqué un fort attachement à ses origines, ses morts, ses ancêtres. Ces expressions sont l’image d’une révolution mentale, psychique de l’homme! Pour Rémy Chauvin: «L’homme est le seul animal qui allume le feu et enterre ses morts.» En 1968, Ralph Solecki découvre un squelette néandertalien abondamment entouré de pollen fossile. Rituel funéraire, geste symbolique destiné à provoquer la guérison du malade, ou à le ressusciter? Il y a donc au moins 30.000 ans, l’homme commençait à prendre conscience de la finitude de son espèce. Il essaie alors de se concilier les éléments naturels en adorant tout ce qu’il ne pouvait pas comprendre. On explique ainsi, les cultes dédiés au soleil. Au fur et à mesure de sa connaissance de la nature, il perfectionne son rapport à l’au-delà.
Pour comprendre d’où nous venons et que représentons-nous à l’échelle de l’univers. Cette réflexion élégante du mystère de l’harmonie de l’univers nous est donnée par une série d’entretiens du philosophe Jean Guitton avec les deux astrophysiciens biens connus Igor et Grichka Bogdanov Ecoutons-les: «À l’échelle macroscopique pense Igor Bogdanov,, la présence de structures ordonnées caractérisant l’univers reste, en dépit de nos connaissances, un mystère. Prenons la question de l’homogénéité des galaxies: l’uniformité et l’isotropie de la distribution de la matière sont stupéfiantes; rappelons-nous que la taille de l’univers observable est de l’ordre de 1028 centimètres; à cette échelle, la matière a une densité uniforme que l’on peut mesurer avec précision de l’ordre de 10-5. Toutefois, à des échelles inférieures, l’univers cesse d’être homogène: il est constitué d’amas de galaxies contenant des galaxies qui, elles-mêmes, sont composées d’étoiles, etc. Or, comment l’inhomogénéité régnant à petite échelle a-t-elle pu engendrer un ordre si élevé à grande échelle?»(1)
Aux origines de la spiritualité
Ce à qui amène Jean Guitton à poser la question fondamentale sur le «moteur» de cette mécanique céleste: «Si un ordre sous-jacent gouverne l’évolution du réel, il devient impossible de soutenir, d’un point de vue scientifique, que la vie et l’intelligence sont apparues dans l’univers à la suite d’une série d’accidents, d’événements aléatoires dont toute finalité serait absente. En observant la nature et les lois qui s’en dégagent, il me semble, au contraire, que l’univers tout entier tend vers la conscience.» «Nous touchons, répond Grichka Bogdanov là au grand mystère: Rappelons-nous que la réalité tout entière repose sur un petit nombre de constantes cosmolo-giques: moins de quinze. Il s’agit de la constante de gravitation, de la vitesse de la lumière, du zéro absolu, de la constante de Planck, etc. Nous connaissons la valeur de chacune de ces constantes avec une remarquable précision. Or, si une seule de ces constantes avait été un tant soit peu modifiée, alors l’univers – du moins tel que nous le connaissons -, n’aurait pas pu apparaître. Un exemple frappant est donné par la densité initiale de l’univers:si cette densité s’était écartée un tant soit peu de la valeur critique qui était la sienne dès 10-35 seconde après le big bang, l’univers n’aurait pas pu se constituer. Aujourd’hui, le rapport entre la densité critique de l’univers et la densité critique originelle est de l’ordre de 0,1; or il a été incroyablement près de 1 au départ, jusqu’à laquelle nous remontons. L’écart avec le seuil critique a été extraordinairement faible (de l’ordre de 10-40) un instant après le big bang de sorte que l’univers a donc été « équilibré » juste après sa naissance. Ceci a permis le déclenchement de toutes les phases qui ont suivi. Un autre exemple de ce fantastique réglage: si nous augmentions de un pour cent à peine l’intensité de la force nucléaire qui contrôle la cohésion du noyau atomique, nous supprimerions toute possibilité aux noyaux d’hydrogène de rester libres, ils se combineraient à d’autres protons et neutrons pour former des noyaux lourds. Dès lors, l’hydrogène n’existant plus, il ne pourrait plus se combiner aux atomes d’oxygène pour produire l’eau indispensable à la naissance de la vie. Au contraire, si nous diminuons légèrement cette force nucléaire, c’est la fusion des noyaux d’hydrogène qui devient impossible. Sans fusion nucléaire, non plus de soleils, non plus de sources d’énergie, non plus de vie. (…)»(1) Jean Guitton pose alors la question du hasard: «(…) Ni les galaxies et leurs milliards d’étoiles, ni les planètes et les formes de vie qu’elles contiennent ne sont un accident ou une simple « fluctuation du hasard. » Nous ne sommes pas apparus « comme ça », un beau jour plutôt qu’un autre, parce qu’une paire de dés cosmiques a roulé du bon côté. Laissons cela à ceux qui ne veulent pas affronter la vérité des chiffres.» «Il est vrai, conclut Igor Bogdanov, que le calcul des probabilités plaide en faveur d’un univers ordonné, minutieusement réglé, dont l’existence ne peut être engendrée par le hasard. Certes, les mathématiciens ne nous ont pas encore raconté toute l’histoire du hasard: ils ignorent même ce que c’est. Mais ils ont pu procéder à certaines expériences grâce à des ordinateurs générateurs de nombres aléatoires. A partir d’une règle dérivée de solutions numériques aux équations algébriques, on a programmé des machines à produire du hasard. Ici, les lois de probabilité indiquent que ces ordinateurs devraient calculer pendant des milliards de milliards d’années, c’est-à-dire pendant une durée quasiment infinie, avant qu’une combinaison de nombres comparable à ceux qui ont permis l’éclosion de l’univers et de la vie puisse apparaître. Autrement dit, la probabilité mathématique que l’univers ait été engendré par le hasard est pratiquement nulle.(…)»(1)
Nous sommes donc en présence du mystère de la création de l’Univers, de la vie sous toutes ses formes et de l’avènement de l’homme ce tard venu dans l’échelle du temps et qui se prend pour le nombril du monde et n’a de cesse comme le montre l’anomie actuelle de perfectionner des armes pour détruire son espèce et détruire la nature par un mode de vie scandaleux. Nous allons aborder maintenant le deuxième questionnement et la nécessité d’un arbitre transcendant Pourquoi a-t-on besoin de croire en un Dieu? Pour trois raisons extrêmement puissantes, trois questions plus exactement, dont la résolution est donnée par les religions: a) d’où je viens? b) pourquoi suis-je sur Terre? c) où irai-je après ma mort? Ces interrogations sont totalement insupportables à tout un chacun, quel que soit son niveau humain (c’est-à-dire de réflexion, d’appréhension de l’univers). Les religions, car il ne saurait y avoir Dieu sans religion répondent à ces trois interrogations: a) je viens de la création du Seigneur qui a désiré ma venue. b) je suis sur Terre pour servir Dieu et préparer. c) ma vie éternelle après ma mort. Sans foi l’athée, a d’autres réponses: je viens de la création qui s’est faite par hasard; je suis là pour vivre ma vie, avec la signification que je lui donnerai; après ma mort, je vais pour l’éternité dans le néant.(2) Peut-on décider qu’un événement est bon ou mal si Dieu n’existe pas? «Si Dieu n’existe pas, qui est en droit de décider de manière absolue de ce qui est bien ou mal?» Personne. Et c’est vrai! Comme le dit bien Dostoïevski dans Les Frères Karamazov: «Mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité? Tout est permis, par conséquent, tout est licite?» Personne n’a rien à nous dire sur notre manière de vivre. En effet, s’il n’y a pas de Dieu, alors il n’y pas de règles objectives qui dictent ce qui est bon ou mauvais. Par conséquent, dans un monde sans Dieu, qui est en droit de dire ce qui est bien ou mal? Qui a le droit de juger que ce qu’a fait Hitler est inférieur à ce qu’a fait l’abbé Pierre? Dire que ceci est bon, ceci est mauvais perd toute signification dans un univers sans Dieu. Car, dire que quelque chose est mauvais parce que c’est interdit par Dieu est parfaitement compréhensible à quelqu’un qui croit en un Législateur divin.(3)
Le concept d’une obligation morale, qui existerait en dehors de l’individu, est parfaitement incompréhensible sans l’idée de Dieu. Dans un monde sans Dieu, il n’y a pas de loi objective qui dicte ce qui est absolument mauvais et ce qui est absolument bon, il n’existe que des jugements personnels ou culturels relatifs. Bien sûr on dit que la philosophie cet «art de vivre» qui n’est pas à la portée du citoyen lambda est un garde-fou mais a-t-elle le même pouvoir dissuasif qu’un pouvoir omnipotent de référence et dont le rôle est justement de «peser» nos actions. Il n’y a rien dans un univers clos qui puisse dicter à l’homme ce qui est bien ou mal. Personne ne peut dire à personne: «C’est vraiment mal ce que vous faites.»
La science et la foi
Dans un sondage réalisé en France, il y a quelques années, 49% des personnes interrogées constatent effectivement que «plus les connaissances scientifiques progressent, plus il est difficile de croire en Dieu». «La moitié des chercheurs du CNRS. déclaraient aujourd’hui avoir la foi ou quelque chose qui s’en approche» et «70% d’entre eux s’accordent à penser que la science ne peut à ce jour exclure ou réhabiliter l’idée de Dieu». Ainsi, même si «on a longtemps pensé que la science allait chasser la fonction religieuse, c’était une erreur», comme le souligne l’astrophysicien Hubert Reeves. Cependant, il faut bien être conscient que science et religion n’abordent pas les mêmes questions: la science décrit les phénomènes, les mécanismes, le comment ça marche les principes auxquels nous sommes soumis. Cependant, «notre soif de signification et d’espérance n’est pas prise en compte par la science car on ne sait pas l’introduire dans les équations!» dixit Pierre Karli de l’Académie des Sciences. La foi, de son côté, s’intéresse aux questions existentielles concernant le sens de notre vie ici-bas et dans l’au-delà, l’existence de Dieu, notre relation avec Lui, en un mot le pourquoi ça marche et le but de notre existence.
Osons donc les vraies questions: Dieu existe-t-il? S’il m’a créé, qu’attend-t-il de moi? Qu’y a-t-il après la mort? Questions essentielles, déterminantes même dans une société moderne…qui donne des signes de déclin du sens? Si nous sommes issus du hasard, comme l’écrit Jacques Monod, ou d’une soupe cosmique bien impersonnelle, nous n’aurons de compte à rendre à personne, et nous resterons les petits maîtres de notre vie, comme l’exprimait Sartre: «11 n’y a rien au ciel, ni bien, ni mal ni personne pour me donner d’ordres, car je suis un homme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin!» Si par contre, nous sommes créés par Dieu, quelles seront les implications dans nos vies? La relation entre science et religions s’est traduite parfois par un engouement autour du créationnisme-concordisme, du dessein intelligent -Intelligent Design- dans les milieux du protestantisme américain. En Islam c’est la thématique des miracles scientifiques du Coran. Pourquoi créationnisme fixiste, dessein intelligent et miracles scientifiques ont-ils eu un tel écho auprès d’un large public? A quoi est dû cet engouement doublé d’une ignorance de la nature du fait scientifique et de sa distinction du phénomène religieux? Comment répondre de manière appropriée et faire entendre la voix des savants? Deux grands types de réflexion nous interpellent; d’une part celle autour du principe anthropique et de ses implications philosophiques et théologiques ensuite celle autour de la façon dont les causes finales nous échappent à travers l’emboîtement successif des théories astrophysiques. Dieu horloger, Dieu ordinateur, Dieu qui joue ou ne joue pas aux dés… Pourquoi les scientifiques posent la question du créateur? Dans quels termes l’énoncent-ils? De quel Dieu est-il question? Sur le chapitre spirituel, la représentation de l’univers et son rapport avec l’incommensurabilité de Dieu interpelle aussi les religions. Les conceptions du monde, issues du progrès des connaissances scientifiques, peuvent elles entrer en résonance avec les intuitions de certaines traditions spirituelles? Sans y voir en aucune façon des preuves, le scientifique peut-il voir des «signes» que le monde n’est pas un pur chaos, mais semble correspondre à un processus ayant une signification? Devant les conquêtes de la science, les savants enivrés par leur désir de puissance sur la matière et aveuglés par les victoires éphémères de la science pensent que tout est démontrable et que tout peut-être mis en équation. A côté de ce manque d’humilité, d’autres pensent au contraire qu’il y a quelque chose qui gouverne à la fois les lois physiques de la nature et celles plus complexes de l’esprit humain. On rapporte l’angoisse d’Einstein qui n’hésitait pas à écrire que «la science s’arrête aux pieds de l’échelle de Jacob». Si Einstein est respecté et écouté, il n’en est pas moins, à la fin de sa vie, en butte avec la jeune génération de physiciens comme Heisenberg, Pauli et surtout Bohr. En effet, Einstein a posé les fondations d’une nouvelle théorie, la théorie quantique, qu’il n’accepte pas. Cette théorie interdit toute représentation réelle des objets physiques élémentaires comme les électrons, les protons, etc. Ils ne peuvent être décrits qu’en termes de probabilité: probabilité qu’ils suivent une certaine trajectoire, qu’ils aient une certaine position, une certaine vitesse. Or, Einstein n’adhère pas à cette vision probabiliste de la réalité. Pour lui, Dieu ne joue pas aux dés. Il refuse que le résultat d’une expérience ne puisse être unique et prédit avec certitude. Pour lui, la mécanique quantique est sinon inexacte, du moins incomplète. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Est-ce que le temps est né avec la création de l’univers? Ainsi «pour expliquer la fabuleuse précision du réglage, il faut postuler l’existence d’un principe créateur et organisateur.» Telle est la conclusion de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Il compare même la probabilité que notre univers soit issu du hasard à celle d’un archer réussissant à planter sa flèche au milieu d’une cible carrée de 1 cm de côté et située à l’autre bout de l’univers. Autant dire que cette probabilité est quasi nulle. De plus, «l’origine de la vie, déclare Francis Crick, prix Nobel de Biologie, paraît actuellement tenir du miracle, tant il y a de conditions à réunir pour la mettre en oeuvre». A ce stade, nous atteignons les limites de la science. L’étape suivante n’est pas de son ressort, mais de celui de la foi et c’est là que les religions apportent un certain secours aux croyants.(4) (L’Expression-12.08.2010.)
Pr Chems Eddine CHITOUR (*) Ecole nationale polytechnique
1.Jean Guitton, Igor et Grichka Bogdanov. Dieu et la science, Entretiens Ed Grasset 1991.
2.http: //comprendre-la-vie.
blogspot.com/2006/11/
3. http://www.questionsuivante.fr/philosophies_et_spiritualite-139.html
4. Chems E. Chitour. Science, foi et désenchantement du monde. Rééditions. OPU 2006
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