Le multilinguisme est un atout
**Docteur d’Etat, maître de conférences, responsable de l’antenne doctorale de français de l’université de Tizi Ouzou, Tahar Zaboot vient de publier deux ouvrages, l’un portant sur les théories linguistiques et l’autre traitant des méthodes d’élaboration de thèses de doctorat.
Actuellement, chef de département de français, l’auteur évoque, dans cet entretien, les raisons qui l’ont poussé à s’investir dans ce travail. Les préoccupations et le niveau inquiétant des étudiants ne le détournent pas, pour autant, de la situation linguistique nationale. Nous l’avons questionné sur le multilinguisme en Algérie.
L’Expression: Comment est née l’idée d’écrire ces deux ouvrages?
Tahar Zaboot: Concernant le premier ouvrage, c’est-à-dire, celui relatif à l’élaboration d’un travail de recherche, d’une thèse, l’idée m’est venue à la suite d’un stage effectué en France, dans le cadre de l’école doctorale de français. Les intervenants nous ont longuement parlé de la conduite à tenir afin de mener à «bon port» un travail de recherche. Il y avait parmi les collègues algériens, des enseignants anciens et expérimentés, et les échanges étaient fructueux et intensifs.
Des documents nous ont été remis à cette occasion et certains sont insérés dans le document dont je parle et que je viens de publier. Celui-ci pourra servir de guide aux étudiants qui seront amenés à, justement, élaborer un travail de recherche. Moi-même, lorsque je préparais mon doctorat, j’avais été confronté aux difficultés liées à l’élaboration de ma thèse. Le deuxième ouvrage est né, lui, d’un constat, d’une observation. En effet, à chaque cours magistral (ou CM) en amphithéâtre donc, les étudiants vivent un véritable dilemme: prendre note ou suivre les explications de l’enseignant. Faire les deux s’avère être une tâche difficile. Je présume que le problème se pose à un grand nombre de collègues. Cela est dû, comme chacun le sait, à la baisse de niveau des étudiants. Il est vrai que ceux-ci se débrouillent pas mal à l’oral, mais le passage à l’écrit demeure problématique pour beaucoup d’entre eux. Le travail que je mets à leur disposition leur permettra, je l’espère, de se libérer de la prise de note et de faire davantage attention à ce que dit l’enseignant. Je profite de l’occasion pour préciser quelque chose que j’avais pourtant signalée dans le manuscrit remis à l’édition et que je ne retrouve pas dans le livret consacré à l’élaboration d’une thèse, notamment.
J’avais donc signalé que quelques pages jointes au dossier provenaient d’un stage effectué à Tours en France. Par ailleurs, dans le deuxième livret consacré aux théories linguistiques, de nombreuses erreurs ont été commises lors de l’édition, qui devraient être corrigées par une page d’errata, qui devrait être jointe au livret. Notre pays, étant plurilingue, considérez-vous cela comme positif?
Oui, je considère le multilinguisme comme un atout concernant les Algériens dans leur communication au quotidien mais, pas seulement. A l’exception de monolingues et pour cause, aucun Algérien, qu’il soit arabophone ou berbérophone, ne parvient à entretenir une conversation dans une seule langue: l’arabe algérien, le berbère et/ou le français à l’exception des deux autres. Si l’on observe la fréquence d’emploi dans les échanges communicatifs quotidiens des locuteurs algériens, on constate que l’alternance des langues est bien plus présente dans leur pratique langagière que les trois principales langues présentes dans le pays. Par ailleurs, les échanges internationaux imposent aux Algériens la maîtrise d’autres langues.
Il faut d’ailleurs se rappeler que, du contact des populations donc des langues, sont nés d’innombrables modes d’expression et de communication comme le pidgin, le créole, le sabir et autres. Le sabir, justement, qui peut être considéré comme un auxiliaire, un compromis linguistique, a permis des échanges communicatifs qui ont abouti à des transactions commerciales entre des individus n’appartenant pas à une même communauté ethnique et ne partageant pas de ce fait une même langue. La pratique du sabir, née du contact des langues, remonte aux échanges commerciaux dans les ports méditerranéens comme ce fut le cas à Bône, actuelle Annaba et ce, bien avant 1830. En outre, le multilinguisme permet et favorise l’accès à d’autres cultures, civilisations, modes de pensée et d’autres visions du monde. Pouvez-vous nous parler des contacts qui peuvent survenir dans un contexte bilingue ou multilingue?
La situation de contact des langues est propice à l’émergence de divers phénomènes linguistiques. On peut citer entre autres l’interférence considérée comme un transfert inapproprié, non voulu, donc individuel. L’emprunt, est, lui, un transfert voulu qui supplée un déficit, donc collectif. Il y a le calque qui est une traduction littérale. Il y a des mélanges de langues ou «code-mixing» qui dénote un manque de maîtrise suffisante des langues sollicitées. Et enfin, l’alternance des langues ou «code-switching» pour reprendre l’appellation anglo-saxonne qui, elle, dénote, une maîtrise suffisante des deux langues. Concernant l’emprunt, le locuteur et/ou la société se retrouvent devant un dilemme: emprunter ou produire des néologismes. Dans les deux cas, il faut être dans la juste mesure. Il ne faut pas emprunter à l’excès et ne pas s’adonner excessivement à la néologie. L’alternance des langues, quant à elle, lorsqu’elle est pratiquée pour les besoins de la communication, acquiert un statut de stratégie langagière mise en place par un locuteur plurilingue. Elle permet à celui qui la pratique de s’adapter à la situation de communication et à l’interlocuteur. Elle signifie une maîtrise suffisante des langues sollicitées. De façon générale, les contacts de langues permettent et favorisent l’évolution, la mutation des états de langues à travers le temps et l’espace.
Que pensez-vous de la recherche linguistique dans notre pays?
De manière générale, la recherche linguistique est toujours vivante en Algérie. Des colloques sont organisés dans certaines universités, des magisters en sciences du langage sont soutenus, des revues (très peu) publient quelques travaux d’enseignants et d’étudiants, comme Synergies de l’école doctorale de français. Néanmoins, la recherche demeure insuffisante, les conditions générales, n’étant pas réunies. Il faudrait encourager et faciliter les échanges interuniversitaires, y compris internationaux (octroi de bourses pour enseignants, chercheurs et étudiants, développer les abonnements aux revues spécialisées, permettre aux enseignants étrangers, en déplacement en Algérie, d’assurer des séminaires.
Et concernant l’accès aux nouvelles technologies?
Pour être honnête, nos universités n’ont pas toutes accès à l’ensemble des nouvelles technologies. Autrement dit, hormis Internet qui permet de consulter certains travaux de collègues linguistes, l’accès à des ouvrages purement linguistiques s’avère très difficile. Seuls sont présentés des résumés d’ouvrages. Les vidéoconférences, par exemple, qui pourraient permettre de tenir des réunions à distance et débattre de questions linguistiques entre collègues, ne sont pratiquement jamais possibles, faute d’équipement. Tout reste à faire en ce domaine donc et j’espère que les responsables concernés se pencheront sur la question. (L’Ecpression-13.04.2010.)
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