le plus grand observatoire du monde

Avec 1 600 capteurs installés dans la pampa, ce projet international inauguré vendredi doit permettre de résoudre l’énigme des rayons cosmiques de très haute énergie.

le plus grand observatoire du monde coeur- C’est près de la ville de Malargüe, au pied de la cordillère des Andes, dans ce Far West argentin sublime et enchanteur, que l’Observatoire Pierre-Auger, la plus vaste installation astronomique du monde, a été officiellement inauguré vendredi. Sur cette immense pampa battue par les vents et couverte d’une herbe rare, 450 physiciens de 17 pays, dont la France, ont collaboré depuis bientôt dix ans au déploiement d’un réseau de 1 600 «cuves» Cherenkov, distantes de 1 500 m les unes des autres. Couplés à 24 détecteurs à fluorescence disposés sur de petits promontoires, ces capteurs, qui ressemblent de loin à de petites huttes rondes surmontées d’une antenne, occupent pas moins de 3 000 km². Soit l’équivalent de trente fois la superficie de Paris intra muros . Leur mission ? Traquer les rayons cosmiques de très haute énergie qui, après avoir voyagé dans l’espace à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par seconde), viennent se fracasser sur l’atmosphère terrestre en provoquant des gerbes de particules (essentiellement des électrons, des muons et des photons) découvertes en 1938 par le physicien français Pierre Auger. Lequel a donné son nom à l’observatoire dont la construction s’est achevée en juin de cette année. Les rayons cosmiques de très haute énergie ont de quoi intriguer. Il s’agit des particules les plus puissantes de l’Univers (de l’ordre de la centaine de milliards de milliards d’électronvolts !) mais on ne sait toujours pas ce qu’elles sont, d’où elles viennent ni comment elles ont pu acquérir un tel niveau d’énergie (voir ci-dessous). Du coup, elles fascinent. Comme le souligne Michel Spiro, directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS, l’une des 67 institutions scientifiques impliquées dans le projet, «les rayons cosmiques ouvrent à l’humanité une fenêtre inédite sur l’univers, notamment sur ses manifestations les plus violentes. Or, pour tester les lois fondamentales de la physique et résoudre certaines grandes questions, comme l’unification de la gravitation et de la mécanique quantique par exemple, nous devons comprendre ce qui se passe dans les conditions les plus extrêmes de la nature avec un grand N». Pour corser le tout, ces événements sont extrêmement rares et ne peuvent être observés que de manière indirecte. «La Terre est bombardée en permanence par des rayons cosmiques. Mais ceux qui nous intéressent, à savoir les plus énergétiques, ne surviennent en moyenne qu’une fois par siècle et par kilomètre carré. D’où la nécessité de disposer d’un très grand nombre de capteurs sur le territoire le plus vaste possible», explique Antoine Letessier-Selvon, responsable scientifique de l’Observatoire Pierre-Auger pour la France.

Disposer d’une carte complète du ciel -  Pour repérer les milliards de particules secondaires générées par la collision d’un seul rayon avec l’atmosphère, et en déduire l’orientation – et donc la provenance – de ce dernier ainsi que son niveau d’énergie, chacune des 1 600 cuves contient un réservoir de 12 mètres cubes d’eau quasiment pure à 100 %. En la traversant, les particules incidentes vont produire un cône de lumière bleue (effet Cherenkov) dont l’intensité est proportionnelle à l’énergie du rayon cosmique initial. Les détecteurs à fluorescence disposés à la périphérie observent quant à eux directement l’ionisation de l’air provoquée par les particules. Leurs mesures, plus précises, permettent de valider, par recoupement, les événements enregistrés par les cuves Cherenkov. Mais ils ne sont opérationnels que pendant les nuits sans lune et sans nuages, soit seulement 10 % du temps. D’où le choix d’installer l’observatoire dans la région de Malargüe où le ciel est pur et à l’abri de toute pollution lumineuse. En outre, le site se situe à une altitude optimale de 1 250 m : «Plus haut, la gerbe n’aurait pas le temps de se former, plus bas elle occuperait une surface beaucoup trop large», explique Antoine Letessier-Selvon. Enfin, dernier aspect non négligeable, l’Argentine dispose d’infrastructures et de ressources humaines de premier plan. «La présence d’Auger sur notre sol a une valeur emblématique pour nous. Elle montre aux yeux du monde que notre pays est capable d’accueillir des projets innovants de cette ampleur» s’est félicité Lino Baranao, le ministre argentin de la Recherche. En comptant les salaires de ses ingénieurs et techniciens, la France, l’un des pays fondateurs, a contribué pour environ 15 % du coût total de l’investissement évalué à 57 millions de dollars. Dans les cinq ans à venir, il est prévu d’agrandir Auger de 70 % et de construire son alter ego dans l’hémisphère Nord, aux États-Unis, en Europe orientale ou en Chine. L’objectif est de disposer d’une carte complète du ciel et d’accélérer la collecte de ces énigmatiques rayons qui ont tant à nous dire sur la matière dont nous sommes faits et sur l’Univers qui nous abrite. (souce : le Figaro)

des rayons cosmiques surpuissants

Pour produire une seule des particules détectées en Argentine, il faudrait construire un accélérateur d’une circonférence égale à 7 000 fois le tour de la Terre !

coeur- Avant même d’être achevé, l’Observatoire Pierre-Auger a livré une impressionnante moisson de résultats. Il y a tout juste un an, les 450 physiciens embarqués dans cette aventure révélaient, dans la revue Science, qu’ils étaient parvenus à détecter 27 rayons cosmiques d’une énergie supérieure à 57 milliards de milliards d’électronvolts (eV). Soit une puissance dix millions de fois supérieure à celle des particules étudiées dans les plus grands accélérateurs, comme celui du LHC à Genève ! «Avec un gramme de ces particules, on pourrait satisfaire les besoins de la France en électricité pendant 6 millions d’années. Mais comme elles sont rarissimes, et qu’il en faut cent mille milliards de milliards pour faire un gramme, il faudrait dix millions de fois l’âge de l’Univers (13,7 milliards d’années, NDLR) pour en recueillir autant !», explique Antoine Letessier-Selvon, responsable scientifique pour la France de l’Observatoire Pierre-Auger. De fait, il «tombe», en moyenne sur Terre, un seul de ces superrayons cosmiques par kilomètre carré et par siècle. Grâce aux 1 600 «cuves Cherenkov» de l’Observatoire Pierre-Auger, les scientifiques espèrent en identifier une centaine d’ici à cinq ans. Et contribuer ainsi à résoudre un casse-tête qui dure depuis plus d’un siècle. «Nous avons déjà beaucoup progressé, poursuit Antoine Letessier-Selvon. Depuis l’an passé, nous savons que les rayons de très haute énergie naissent en dehors de notre Voie lactée, mais à une distance relativement proche de la Terre, qu’ils ne sont pas uniformément répartis dans le ciel et que leur distribution est fortement corrélée avec celle de la matière.» L’hypothèse la plus crédible est qu’ils sont «produits» par de gigantesques accélérateurs naturels à l’œuvre dans les noyaux actifs de galaxies (NAG), les sources de rayons gammas ou certaines hypernovas. Autrement dit, des «objets» cosmiques d’une violence extrême. Mais les astrophysiciens ne savent pas encore laquelle de ces sources privilégier, même si les NAG semblent, pour l’instant, tenir la corde. «Pour avoir des certitudes, il faut recueillir plus de données», martèle Miguel Mostofa, de l’Université du Colorado (États-Unis), qui plaide pour la création d’un second observatoire dans l’hémisphère Nord. Et notamment dans le sud-est… du Colorado, où le projet d’installer 4 000 cuves Cherenkov sur un territoire de 20 000 km² est bien avancé, mais toujours pas financé. Les physiciens ignorent aussi comment ces rayons (probablement des protons ou des noyaux de fer, voire des particules exotiques) parviennent à atteindre des énergies aussi phénoménales. «Pour reproduire sur Terre l’un des 27 rayons cosmiques que nous avons détectés, il faudrait pouvoir construire un accélérateur d’une circonférence de 270 millions de kilomètres, soit 7 000 fois le tour de la Terre à l’équateur !», souligne M. Letessier-Selvon. À titre de comparaison l’anneau du LHC ne mesure «que» 27 kilomètres. De quoi donner le tournis… «Auparavant, les hommes tels que Magellan ou Christophe Colomb, partaient explorer la Terre. Aujourd’hui, l’aventure, c’est d’explorer autrement qu’avec notre œil, des territoires plus abstraits qui élargissent l’horizon de nos connaissances.

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