Faut-il brûler les milliardaires spéculateurs?

*Qui sont ces financiers milliardaires qui font chuter l’euro, imposent des plans de rigueur draconiens aux Européens et menacent soixante ans de construction européenne ? Comment agissent-ils ? Et s’ils n’avaient, finalement, pas tout à fait tort… ?

Faut-il brûler les milliardaires spéculateurs? coeur-vignette-euro-5mois
«Cheers !» Ils trinquent au mariage de leur copain qu’ils sont venus fêter à Paris, à la belle vie de banquier à la City, à l’argent facile, aux swifts et aux swaps, et à cette bonne blague qu’ils viennent de jouer à l’Europe. La veille, avant de sauter dans l’Eurostar, ils ont « débouclé » quelques positions et gagné encore plusieurs millions d’euros. «Cheers !» La dette grecque et la chute de l’euro sont désormais de jolis souvenirs. Game over. «Ça fait trois à quatre semaines qu’on est sur les matières premières», glisse un «Cityboy» avec gourmandise. Pétrole, blé, sucre… faites vos jeux !

A Bruxelles, ce week-end-là, pas de champagne. Les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne viennent de se mettre d’accord sur un gigantesque plan de sauvetage de l’euro à l’issue d’une nouvelle soirée harassante de négociations. Sept cent cinquante milliards d’euros pour stopper la spéculation et sauver l’Europe. Ce sont ses citoyens qui règleront l’addition. «Cheers !»

On croyait les spéculateurs assagis, du moins, mieux contrôlés depuis l’humiliation subie en septembre 2008, lorsque leurs turpitudes avaient été exposées à la face du monde. Traînés dans la boue à Washington, à Londres et à Paris, sommés d’abandonner leurs superbonus, ils avaient promis d’être plus raisonnables. On se régalait des images de ce trader faisant la manche à Wall Street ; on se passait en boucle le film de Bernard Madoff arrivant menotté devant ses juges. Cent cinquante ans de prison, bien fait ! Tout juste élu, Barack Obama avait promis d’un air martial qu’il allait mettre Wall Street au pas.

Il n’a pas fallu un an pour que la finance redresse la tête. Exit la pénitence. Le mot d’ordre à Wall Street ? «Big bucks are back !» («Les gros billets sont de retour»). Des deux côtés de l’Atlantique, les projets de régulation sont restés inoffensifs, les prêts accordés dans l’urgence au système financier par les contribuables ont été vite remboursés, les banquiers ont retrouvé leurs habitudes… et leurs bonus. Mieux que cela puisque, en 2009, les banques américaines ont versé un total de 140 milliards de dollars de bonus à leurs employés, plus qu’en 2007, le précédent record. Même le «Wall Street Journal», qui a révélé l’information, a toussé.

077c605a-640e-11df-af84-bff7a66c8dd6

 

Les gestionnaires de hedge funds ces fonds spéculatifs qui parient à court terme sur les marchés n’ont eux aussi jamais gagné autant d’argent que l’an dernier. Selon la revue «Absolute Return», bible de la profession, les 25 premiers ont empoché en 2009 plus de 25 milliards de dollars, 3 milliards de plus qu’en 2007. Le plus riche a touché à lui seul 4 milliards de dollars, juste devant George Soros et ses 3,3 milliards de gains.

Les spéculateurs vous saluent bien ! «La cupidité, c’est bon. Et en plus, c’est légal», proclame Michael Douglas, alias Gordon Gekko, le financier sans scrupule de Wall Street 2, une (pâle) suite du film culte des années 80 concoctée par Oliver Stone, tout juste projetée à Cannes. C’est légal, et c’est aussi tellement facile. Le jeune acteur Shia LaBeouf, qui joue aux côtés de Michael Douglas, a raconté dans ses interviews avoir préparé son rôle en allant se former dans les salles de marché. Se prenant au jeu, il a placé lui-même 20000 dollars en Bourse. Deux mois et demi plus tard, a-t-il raconté, encore stupéfait, sa pelote avait grossi à 300 000 dollars !

Des masses d’argent à investir, une revanche à prendre sur les politiques et l’insolente domination de l’euro face au dollar : il n’en fallait pas plus pour alimenter la théorie du complot contre l’euro. Les déclarations des dirigeants européens, s’en prenant tour à tour avec virulence aux spéculateurs et aux agences de notation, accusées de complicité, n’ont fait que renforcer le soupçon : «Les forces de l’argent» selon l’expression de François Mitterrand sont à l’oeuvre pour liquider l’euro et faire exploser la construction européenne. Rien de moins.

Cette hypothèse est renforcée par un entrefilet publié dans le « Wall Street Journal » mi-février. On y racontait que des dirigeants de grands fonds spéculatifs américains s’étaient réunis dans le plus grand secret le soir du 8 février. Au menu des discussions : l’euro et, tout particulièrement, la dette grecque. Parmi les convives, au moins un représentant du hedge fund de George Soros. A presque 80 ans, le vieux lion de Wall Street fait toujours trembler la Vieille Europe. En 1992, il avait pilonné sans relâche la livre sterling, forçant la Grande Bretagne à sortir du système monétaire européen et empochant au passage un milliard de dollars. Depuis, il est resté «l’homme qui a fait sauter la Banque d’Angleterre». Il a beau consacrer une partie de son immense fortune à des activités philanthropiques, notamment en Europe centrale (il est d’origine hongroise), et philosopher sur l’avenir du monde, c’est le spéculateur le plus craint sur le Vieux Continent.

Le 22 février, il sort du bois et publie une tribune dans le «Financial Times»(1). La construction européenne est «défectueuse», assènet- il, «une monnaie à part entière a besoin non seulement d’une banque centrale, mais aussi d’un Trésor».Pas pour lever des impôts«au jour le jour»,mais pour être«présent en temps de crise». Une véritable leçon aux dirigeants européens, qui sonne comme un ultime avertissement.

Après les sommations d’usage, la spéculation se déchaîne. Et comme sur les marchés, selon l’expression d’un trader, «c’est toujours le premier qui panique qui a raison», l’effet moutonnier est garanti. Les hedge funds ne représentent qu’une petite part des transactions financières internationales, mais ils donnent le ton. Dans un monde largement gouverné par les machines 70% des ordres boursiers dans le monde sont passés par des ordinateurs , ils peuvent créer ces infimes variations de cours qui sont ensuite repérées par les programmes informatiques. D’où l’amplification des mouvements à la hausse ou à la baisse partout dans le monde simultanément. De quoi donner le vertige ! Surtout quand la machine connaît un bug, ce qui s’est produit à Wall Street il y a quinze jours lorsque l’indice Dow Jones a dévissé en pleine séance.

 

353fcb26-640e-11df-af84-bff7a66c8dd6

 

Les ordinateurs ont aussi donné aux avis des fameuses agences de notation l’influence considérable qu’ils ont aujourd’hui. La moindre dégradation d’une note fait réagir dans l’instant les programmes des banques et des fonds sur toute la planète. Pas question d’avoir dans son portefeuille des obligations assorties d’une note BB++, la plus basse, comme celle dont la dette grecque a écopé fin avril quand l’agence Standard Poor’s l’a brutalement décotée. Et s’indigner que ces fameuses notes tombent «à un quart d’heure de la clôture de la Bourse», comme l’ont fait nos dirigeants, fait doucement rigoler les opérateurs de marché. «Quelle Bourse ? Paris, Londres, Hong- Kong… ?» Le soleil ne se couche jamais sur la spéculation.

Un complot des fonds ? «Foutaise ! rétorque un gestionnaire de hedge fund américain. Il n’y a rien dans ce qui se passe qu’on ne pouvait voir venir.» Des dîners comme celui du 8 février sur lequel la justice américaine a tout de même ouvert une enquête , «on en fait tous les jours !». Un avis que partage Tim Scala, directeur adjoint d’un hedge fund à Manhattan :«Les spéculateurs ont bon dos, ils ne font que se protéger des politiques insensées des gouvernements. Le roi nu s’énerve quand il est découvert.»

Le spéculateur est«un bouc émissaire facile», renchérit Charles Gave, conseiller en gestion de portefeuille et chroniqueur libéral(2). Voilà plus de six mois, selon lui, que les opérateurs de marché ont repéré cette faille énorme dans la zone euro : pourquoi les obligations grecques porteraient-elles le même risque et donc le même rendement que les obligations émises par l’Allemagne, meilleure élève de la classe euro ? «La situation était intenable, souligne le financier français, tout le monde savait depuis novembre que ça allait exploser d’un jour à l’autre.» Lorsque Athènes appelle à l’aide une première fois, en janvier, personne ne croit vraiment que la crise est sérieuse. Quatre mois de tergiversations des dirigeants européens ont fait le reste : la spéculation s’est engouffrée dans la brèche.

Mise en cause, Angela Merkel est loin d’être isolée en son pays. Un banquier français raconte : «Quand on appelait nos collègues allemands pour leur demander de bouger, ils étaient sincèrement indignés. Ils nous disaient : “On ne peut quand même pas payer pour ces types-là ! ”» Ces «types-là», ce sont les Grecs, une nation où à peine 30% des foyers payent l’impôt sur le revenu (et seuls 200 acquittent l’ISF), où la majorité des fonctionnaires ont un deuxième travail (au noir), où la corruption est endémique, où deux familles les Papandréou à gauche, les Caramanlis à droite se partagent le pouvoir depuis des décennies, etc. Mais les Allemands, qui réalisent 60% de leurs exportations dans la zone euro, ont fini par surmonter leurs haut-le-coeur. Ils ont même accepté de sacrifier leur sacro-saint dogme anti-inflationniste pour donner à la Banque centrale européenne le pouvoir de racheter directement les dettes des Etats de l’Union. Un encouragement au laxisme, aux yeux des Allemands

Le père de la monnaie unique vit un martyre. Traits tirés, mine de papier mâché, assurance évanouie, Jean-Claude Trichet voit s’effondrer l’oeuvre d’une vie. «Pour toute une génération, celle qui a participé à la création de l’euro, ce qui se passe est un déchirement»,murmure un techno de Bercy. Une bonne partie de ce que George Soros appelait de ses voeux le 22 février s’est finalement réalisé. Même si c’est Barack Obama qui, inquiet du risque de contagion, a sifflé la fin de ce round en persuadant Angela Merkel de dire oui au sauvetage de l’euro, les Américains peuvent être satisfaits. «Jamais ils n’ont accepté que la suprématie du dollar soit remise en cause», analyse l’économiste Jean- Marc Daniel.

Mais les spéculateurs n’en ont sans doute pas fini avec ce qu’ils surnomment«the garlic belt» (les mangeurs d’ail). Les Portugais, les Espagnols, les Italiens… Les Français ? Les plans de rigueur tombent les uns après les autres sur des opinions publiques abasourdies. Chez nous, la baisse de 10% des dépenses de l’Etat sur trois ans et la suppression de quelques niches fiscales, rendues publiques dans l’indifférence quasi générale, s’annoncent comme les prémices d’un tour de vis plus important. Quant à la réforme des retraites, les débats sur l’âge de départ sont devenus surréalistes. «Comment exiger des Grecs qu’ils travaillent jusqu’à 65 ans et s’arc-bouter sur nos 60 ans ?», s’interroge Jean-Marc Daniel.

Et si le marché avait finalement raison ? S’il venait nous rappeler que nous ne pouvons continuer à vivre avec des déficits abyssaux et des dettes publiques colossales ? Bref, vivre à crédit ? C’est la thèse de Flore Vasseur, qui a publié en février Comment j’ai liquidé le siècle(3), un livre quasi prémonitoire sur la crise, et qui prédit aujourd’hui une «crise sociale grave».

Jacques Attali aussi joue les Cassandre dans un essai publié cette semaine(4) . Sa thèse : jamais la dette publique des pays occidentaux n’a été aussi élevée et «jamais les dangers qu’elle fait peser sur la démocratie n’ont été aussi graves».

D’autres veulent croire que les événements de ces derniers mois serviront d’alerte. «Cette crise, c’est l’infarctus de la cinquantaine, pense Michel Cicurel, président de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, celui qui ne tue pas, mais qui nous rappelle qu’il faut changer nos habitudes. Sinon, celui de la soixantaine sera fatal.»

(1) George Soros publie le 3 juin, chez Denoël, le texte de cette tribune en préambule du livre Quelques leçons tirées de la crise, recueil de cinq conférences prononcées à l’automne 2009.

(2) Il a fondé GaveKal, société de services financiers basée à Hongkong, et publie ses chroniques notament dans le Journal des finances. (3) Editions des Equateurs, 315 p., 19 ü. (4) «Tous ruinés dans dix ans ? Dette publique : la dernière chance», Fayard. 240p., 15,90 ü. (Le Figaro-Mag.20.05.2010.)

 

 

54 réponses à “Faut-il brûler les milliardaires spéculateurs?”

1 2 3
  1. 2 11 2011
    liberty reserve (03:47:26) :

    An interesting communication is couturier account. I suppose that you should pen much on this issue, it power not be a sacred human but generally grouping are not sufficiency to verbalize on specified topics. To the succeeding. Cheers like your ELAyam-2 » Faut-il brûler les milliardaires spéculateurs?.

  2. 1 11 2011
    Ty Sidebottom (10:18:02) :

    Usefull facts made on your blog, most I agree with. Remember viewing a similar blog which I will try to post. Definately will bookmark ofcourse I await your next insightful blog post

  3. 1 11 2011
    paper (08:53:49) :

    Im not going to swear, however this is without doubt one of the finest articles Ive seen in quite some time since my careers in the field. I certainly recognize your poin to view and never try to keep bias on particular idea. Keep it up.

  4. 1 11 2011
    Ted Binning (07:28:47) :

    continue with the the great work on the site. I love it. Could maybe use some more updates more often, but im sure you got better things to do , hehe. =)wow gold reviews

  5. 1 11 2011
    Vannesa Bommarito (06:19:25) :

    That is really fascinating, You are a very skilled blogger. I have joined your rss feed and stay up for in search of more of your magnificent post. Additionally, Ive shared your web site in my social networks!

  6. 1 11 2011
    Nella Arquero (03:19:18) :

    Thank you pertaining to sharing that excellent written content on your website. I ran into it on google. I am going to check back again once you publish much more aricles.

  7. 31 10 2011
    Cris Sanschagrin (13:24:41) :

    Aw, this was a really great post. In concept I’d prefer to create like this also – taking time and true energy to generate a fantastic article… but what can I say… I procrastinate alot and never appear to get something performed.

  8. 29 10 2011
    John Hancock (17:20:28) :

    I liked as much as you’ll receive carried out proper here. The comic strip is tasteful, your authored material stylish. nonetheless, you command get got an nervousness over that you want be handing over the following. in poor health without a doubt come more formerly again as precisely the similar just about very often inside case you defend this increase.

  9. 25 10 2011
    Bonsmara SA (22:22:59) :

    What is here it is an interesting piece of information. But first of all I must salute all every one. Hy. And now I must say that I will post http://niarunblog.unblog.fr/crise-financiere-mondiale-ou-lechec-du-capitalisme/les-derives-de-la-finance/faut-il-bruler-les-milliardaires-speculateurs on my Facebook profile. I will do this because finally I found what I was looking for. What you share here is really very good information. When I saw this tittle, ELAyam-2 » Faut-il brûler les milliardaires spéculateurs?, on my google search I was very glad. I think I found something with the same ideea here http://www.bonsmara-action.co.za, I’m not sure but I thing it was the same. Thank you

  10. 22 10 2011
    Shayne S (16:53:20) :

    As I website possessor I believe the subject matter here is very excellent, appreciate it for your efforts.

  11. 20 10 2011
    aqualab-supplies.com (12:31:10) :

    How do you do? our family just loves your gorgeous article and pls keep the ball rolling

  12. 14 10 2011
    Nola Pooler (21:47:50) :

    I went over this website and I conceive you have a lot of superb information, saved to favorites (:.

  13. 12 10 2011
    Sebrina Balckwell (11:28:04) :

    Hey how are you doing? I just wanted to stop by and say that it’s been a pleasure reading your blog. I have bookmarked your website so that I can come back & read more in the future as well. plz do keep up the quality writing

  14. 12 10 2011
    barron thomas (07:53:52) :

    Amazing blog! Do you have any tips and hints for aspiring writers? I’m hoping to start my own website soon but I’m a little lost on everything. Would you suggest starting with a free platform like WordPress or go for a paid option? There are so many choices out there that I’m completely overwhelmed .. Any recommendations? Appreciate it!

  15. 12 10 2011
    węglowodany (03:58:05) :

    You actually make it seem so easy with your presentation but I find this topic to be actually something that I think I would never understand. It seems too complex and very broad for me. I’m looking forward for your next post, I’ll try to get the hang of it!

  16. 11 10 2011
    pharmacie en ligne (02:08:32) :

    Very interesting article. It helps me a lot.

  17. 9 10 2011
    UGG Men Mini 5854 Boots Chocolate (06:58:09) :

    I needed to post you a tiny observation just to thank you over again for the nice strategies you have shared on this website. It was quite tremendously open-handed with people like you to make openly exactly what a few people would’ve offered for sale as an e-book to help with making some cash for themselves, and in particular given that you might have done it in the event you decided. Those tips likewise served to become a easy way to be aware that other people online have the same keenness like my own to know the truth more in respect of this matter. Certainly there are several more enjoyable times in the future for individuals that scan through your website.

  18. 24 09 2011
    Dion Mickey (20:10:56) :

    This is a wonderfully written article. You must have done a lot of research in this area. You have made this topic easy to read, interesting and easy to understand.

  19. 24 09 2011
    Cristal Pulfer (19:53:02) :

    I would like to show my appreciation for your quality article. Your original content has given me reason to think about a lot of this information. Your writing style is original and engaging. Thank you.

  20. 23 09 2011
    1028021 (09:06:48) :

    1028021 beers on the wall. sck was here

1 2 3

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>




évasion |
Généalogies |
vivreavec1handicap |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | ANTI CORRIDA
| dartagnan
| Actualité de la Politique d...