Littérature et guerre
* Comment un auteur fait-il face à la guerre dans son œuvre ? Comment échapper au manichéisme, moteur principal du conflit ? Comment subjuguer l’horreur à échelle industrielle tout en interrogeant les rouages intimes des acteurs, victimes ou bourreaux ? Plusieurs œuvres fortes se sont essayées à ce challenge, évoquant la guerre de Libération ou les dernières violences des années 1990. Qu’en pensent leurs auteurs ?
Anouar Benmalek. Auteur du Rapt : « La guerre de Libération était indispensable, mais les crimes commis en son nom ne l’étaient pas »
Nous appartenons à une sphère culturelle et religieuse qui, historiquement, magnifie le « puissant » et méprise le « faible ». Le faible n’a que le droit pour lui, tandis que le puissant est réputé jouir de tous les droits, dès lors qu’il possède les attributs de sa volonté de puissance : sa seule et suffisante légitimité réside dans sa capacité de violence à l’égard de ceux qu’il a soumis ou entend soumettre. Peu importe les moyens brutaux, immoraux ou cruels qui lui ont permis d’accéder à sa position de puissance : celui qui veut se hisser au sommet sait que, dans nos pays, si on gagne, alors on est paré de toutes les vertus.
La force sans mesure, sans limitation par un quelconque contrat politique, tient lieu de règle de fonctionnement de nos communautés et, même, au fond, de morale. J’appellerais cela le syndrome Saddam Hussein, si répandu dans nos contrées… Cette morale de la jungle où l’on n’hésite pas à se débarrasser de ses compagnons-adversaires (au besoin en les assassinant) a été trop souvent la règle dans les rangs des dirigeants algériens (ou aspirant à l’être), que ce soit durant le conflit contre la puissance coloniale pour l’indépendance du pays ou dans la période qui a suivi le 5 juillet 1962, quand on a assisté au déchaînement des appétits de pouvoir et de prédation des anciens libérateurs, civils et militaires, oublieux du jour au lendemain de la promesse faite aux martyrs de toujours de s’incliner en dernier ressort devant la volonté du peuple algérien, peuple que les uns et les autres se targuaient si orgueilleusement d’avoir libéré.
On oublie
Ce vieux tropisme d’admiration sidéré pour la force subvertit en profondeur notre inconscient social. Il affecte encore lourdement le regard de l’intellectuel de nos régions, même autoproclamé « démocrate », quand il lui vient à l’idée de participer aux débats (ou, plutôt, ce qui en tient lieu chez nous : les échanges d’insultes ordurières…) autour de notre histoire en général et, en particulier, d’une de ses pointes extrêmes : la guerre de Libération. L’exemple du « débat » autour d’Amirouche en est une illustration frappante. Ce qui me frappe dans ces « échanges » est le mépris absolu dans lequel sont tenues les victimes de la « bleuïte » : on oublie, de manière épouvantablement « facile », qu’il s’agit de lycéens et d’étudiants algériens pleins d’idéal, montés au maquis à l’appel du FLN et torturés et assassinés par ce même FLN.
Je précise bien : FLN et non pas seulement Amirouche, car le FLN n’ayant jamais condamné les crimes de guerre d’Amirouche et de ses adjoints contre ces jeunes gens, il les a de facto cautionnés et repris à son compte ! J’ai lu et entendu bien des justifications plus ou moins embarrassées sur le comportement sanguinaire du chef de la Wilaya III, du type : c’était la guerre, on n’avait pas le temps de finasser, de discerner entre les traîtres et les innocents, toute guerre entraîne des dégâts « collatéraux », la balance entre les faits d’armes d’Amirouche et ses crimes penche du côté positif, on doit pardonner l’impardonnable aux héros parce que le pays a besoin de héros, la fin veut les moyens, etc.
Animaux nuisibles
Je soutiens, quant à moi, que la guerre de Libération était indispensable, mais que les crimes commis en son nom ne l’étaient pas. Si ceux-ci ne sont pas reconnus comme tels, alors ils imprégneront pendant longtemps la substance du présent et du futur du pays et les tueries de Bentalha et de Raïs continueront de tirer une partie de leurs monstrueuses justifications de leurs homologues des années cinquante. Ce même mépris pour les victimes des purges sanglantes, je l’ai rencontré lors de la préparation de mon roman Le Rapt portant sur le massacre de Mellouza : j’ai eu l’impression insupportable que les malheureux habitants du village de Beni Ilemane tués sur ordre du colonel Mohammedi Saïd n’étaient que des animaux nuisibles, de l’espèce du rat ou du serpent venimeux, tant personne ne semble éprouver ou, du moins, exprimer le moindre remords ni envers eux ni envers leurs descendants. Je ne parle évidemment pas du FLN officiel, puisque celui-ci, jusqu’à présent, ne tarit pas d’éloges sur son colonel meurtrier ; je parle du reste du pays, des journalistes, des intellectuels, des hommes de religion…
Les puissants comme Amirouche et Mohammedi Saïd m’indiffèrent totalement, il s’en trouvera toujours quelqu’un pour s’affranchir à bon compte du principe du caractère sacré de la vie humaine et défendre l’indéfendable. Seul m’intéresse le destin des gens ordinaires, à quelque côté qu’ils appartiennent, pris dans les rets funestes de la grande Histoire. Mettre ces inconnus sous la lumière de la mémoire collective et leur restituer cette dignité d’être humain qui leur a souvent été refusée lors de leur mise à mort, telle a été l’ambition (insensée, probablement) qui m’a guidé pendant l’écriture du Rapt, et de manière générale, de mes autres romans. Nous ne disposons pas de portraits individuels des martyrs de la « bleuïte » et de Mellouza. Pourquoi, selon vous ? Serait-ce que nous ne saurions supporter leur regard de reproche ?
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Traduit en dix langues, plusieurs fois primé, Anouar Benmalek est l’auteur, entre autres, des Amants désunis (1998) et de L’Enfant du peuple ancien (2002), ou encore Ô Maria (2006). Le Rapt est sorti chez Fayard en 2009. Ancien professeur à l’université des sciences et de la technologie (USTHB) d’Alger, il fut secrétaire général du Comité algérien contre la torture (CACT) de 1989 à 1991. Il sera présent au Festival culturel international du livre et de la littérature jeunesse d’Alger jusqu’au mardi 3 juin.
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Laurent Mauvignier. Auteur Des hommes : « Ne pas montrer les bons et les mauvais, mais mettre des hommes en situation »
Ce qui m’a intéressé, ce n’est donc pas de faire un roman sur la guerre d’Algérie en montrant les bons et les mauvais, c’est de mettre des hommes en situation. Montrer les relations de cause à effet entre ce qu’ils ont vécu pendant la guerre et ce qui arrive quarante ans après, quand le roman s’ouvre dans le petit village. Et aussi ce passage quand ils arrivent dans une guerre qui a déjà commencé. La question de la causalité entre les Algériens qui attaquent et les Français qui répondent violemment est insoluble. Il ne fallait pas que je fasse croire que les Algériens étaient violents d’emblée et que les Français le devenaient en réaction.
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Laurent Mauvignier est né à Tours en 1967. Diplômé des Beaux-Arts en arts plastiques (1991). Il a publié plusieurs romans aux Editions de Minuit : Loin d’eux (1999), Apprendre à finir (2000), Ceux d’à côté (2002), Seuls (2004), Dans la foule (2006), Des hommes (2009, réédité en 2010 chez Barzakh), et un dialogue, Le Lien (2005).
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Ali Malek. Auteur de Une année sans guerre : « Il est suspect d’écrire sur la guerre en s’efforçant de rester neutre »
La difficulté dont vous parlez est certaine. Mais faut-il chercher à tout prix à l’éviter ? Il m’apparaît même suspect de parvenir à écrire sur la guerre, quelle qu’elle soit, en s’efforçant de demeurer neutre, absolument neutre. Cela peut avoir l’air louable, mais ce n’est qu’une apparence. Je ne vois pas l’intérêt de réussir à rendre par une fiction, par exemple, la guerre israélo-palestinienne, et de traiter sur un pied d’égalité les soldats d’une armée d’occupation dont la motivation est de brimer, de parquer, en un mot, d’écraser l’autre, et les « terroristes » palestiniens qui combattent pour la survie de leur peuple. Ou encore de rejeter dos à dos l’armée américaine en Irak qui a envahi ce pays s’efforce d’en soumettre les habitants et les insurgés irakiens, auxquels la guerre a été imposée et qui risquent leur vie pour défendre leur liberté. Serait-ce une prouesse d’écrire sur ces conflits en gardant un maximum de distance avec les uns et les autres ? Ce ne serait pas non plus louable de tomber dans l’excès inverse, c’est-à-dire d’accabler par tous les moyens une partie des forces en guerre. Il faut faire la part des choses et, à mon avis, pour peu d’être de bonne foi, ce n’est pas excessivement difficile.
Hiérarchiser les souffrances
S’efforcer d’être objectif en écrivant sur une guerre, ce n’est pas forcément se garder d’être de parti pris. Il y a des conflits, comme ceux que nous venons d’évoquer où cette attitude est éminemment suspecte. Il n’y a rien d’objectif dans une relation des faits où le bourreau et la victime sont regardés de la même façon. Etre objectif, c’est rendre la réalité de telle façon que le statut de l’un comme de l’autre devienne plus évident pour le lecteur. Je conçois bien que les GI en Irak soient malheureux et que eux aussi, d’une certaine façon, sont des victimes, mais la dure réalité du monde oblige à hiérarchiser les souffrances. Peut-on comparer la fillette, qui crève sous les décombres d’une maison qui a été prise pour cible par un missile lancé d’un hélicoptère, au pilote de ce même hélicoptère qui n’a certes pas passé le réveillon avec sa copine, mais qui va, une fois rentré à sa base, se vanter devant ses camarades de la justesse de son tir ? Il n’y a pas de difficulté véritable à écrire sur la guerre sans la « manichéiser ». Produire une histoire qui évite, comme vous le dites, « les polémiques de l’histoire », ne doit pas être l’objectif d’un auteur.
| Ali Malek est né en 1968 en Kabylie. Avant Une année sans guerre (2009), il a publié aux éditions Barzakh plusieurs textes dont Les chemins qui remontent (2003) et Le Chien de Titanic (2006). Souhaitant rester dans l’anonymat (Ali Malek est un pseudonyme), nous n’avons pas pu faire son portrait. (El Watan-28.05.2010.)
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Guerre d’Algérie
La torture était massive, meurtrière et honteuse
Au lendemain de la proclamation des accords d’Evian, le 19 mars 1962, qui mettait fin à l’un des plus violents et meurtriers conflits du XXe siècle, le dossier de la guerre d’Algérie, du moins pour les officiels français, sombrait vers un black-out fort déconcertant.
Il aurait fallu l’écoulement de presque 4 décennies pour qu’un parlementaire français se lance dans la défloraison des sujets tabous pour faire adopter légalement et juridiquement – qu’il y eut bel et bien « une guerre en Algérie » et remplacé ou plutôt bannir du lexique officiel ce que l’on s’entêtait de faire passer un conflit ouvert et meurtrier par la ridicule appellation « Evénements d’Algérie ». La loi transformant la qualification officiellement des « évènements d’Algérie » en « guerre d’Algérie » fut adoptée par l’Assemblée nationale française, le 10 juin 1999 sur proposition du député socialiste Jacques Floch (La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Raphaël Branche-Ed. Fayard 2001, p. 428). Il nous faudrait consacrer une étude spéciale à la terminologie employée par les institutions françaises pendant la féroce répression menée à l’encontre d’un peuple insurgé contre une répression sanglante et impitoyable qu’on assimilait, selon le lexique d’alors, à des « opérations de maintien de l’ordre ». De même que les sinistres camps de concentration, de brimades et de torture étaient appelés Centre d’hébergement ou encore ces assauts militaires qui mobilisaient plus de 30 000 hommes (artillerie, batterie, aviation) étaient désignés sous le vocable d’« opération de pacification ». Les combattants de l’ALN, quant à eux, n’étaient que de vulgaires « hors-la-loi » qui portaient atteinte à la souveraineté française et les prisonniers de guerre n’étaient que ces anonymes individus « pris les armes à la main » (PMA). Enfin, nous allons aborder le plus grand drame subi par le peuple algérien, ses résistants, ses combattants et son avant-garde : la torture. Un fait qui persistera durant toute la guerre et nié effrontement par les différents gouvernements français et leurs institutions tant policière que militaire, et ce, malgré les témoignages de soldats du contingent, d’hommes du culte chrétien, d’écrivains de renom tel que François Mauriac et des journalistes, tous détenteurs de preuves irréfutables sur la torture qui se généralisait tous les jours. Le sujet, enterré pendant la guerre, ne surgira lui aussi qu’une quarantaine d’années après l’indépendance, grâce aux déclarations fracassantes de Louisette Ighilahriz, violée et torturée à mort par l’armée française. Mais il est utile de rappeler toutefois que le dossier de la torture fit la « une » de certains journaux français. Il y a plus d’une vingtaine d’années lors du procès qui opposa Le Canard enchaîné à l’ancien lieutenant français Jean-Marie Le Pen accusé d’avoir torturé deux Algériens pendant qu’il était sous les drapeaux français, accusation rapportée par le journal en question et contestée par le fervent adepte de la doctrine des inégalités des races et convaincu justement de la supériorité de la sienne … – l’Européenne, la blanche- sur les autres (arabe, noire et asiatique). L’événement, tel un fait divers, est passé presqu’ inaperçu et ne perturba aucunement l’opinion française. Côté algérien, curieusement, l’on ne se sentait pas Dans ce même contexte, Lakhdar -Toumi Dine déposa une plainte contre le soldat français qui avait tué son père (région de Tiaret), confiant son affaire au célèbre avocat Jacques Vergès. Là aussi, les nôtres étaient absents à l’appel. Rares sont les travaux consacrés au dossier de la torture. Par contre, des publications fort intéressantes nous proviennent d’auteurs français tel : Jean-Luc Einaudi (La ferme Améziane, Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’harmattan, 1991) ou Pierre Vidal Naquet (La torture dans la République, Maspéro, 1975). Nous nous attarderons particulièrement sur la très intéressante et édifiante publication de Raphaëlle Branche : La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, ouvrage de 467 pages (synthèse d’une thèse d’un millier de pages) publié en 2001 aux éditions Gallimard. Raphaëlle Branche est une jeune universitaire française qui se trouve être la première à déflorer les archives militaires et naviguer dans les méandres du corps de l’armée française qui accepta avec plaisir de pratiquer des « fonctions policières » en s’adonnant « corps et âme » à faire souffrir des milliers d’Algériens, sous-prétexte que chacun d’eux était un suspect en puissance et avait, par voie de conséquence, quelque chose à révéler.
Les tortionnaires récompensés
Bien qu’elle accompagna toute la guerre, la torture sera véritablement institutionnalisée à partir de 1956, c’est-à-dire au lendemain du vote des pouvoirs spéciaux par le parlement français, vote auquel le PCF donne sa voix, alors qu’il aurait pu se dispenser de cet engagement déshonorant puisqu’avec ou sans les voix de ses députés, la loi sur les mesures d’exception aurait été adoptée. « Le 12 mars (1956) dans l’après-midi, l’assemblée nationale adopte la loi (portant sur les pouvoirs spéciaux) à une écrasante majorité (…) Il n’est pas inintéressant de noter que sans les suffrages communistes, les pouvoirs spéciaux auraient cependant été entérinés » (Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de Valises, Albin Michel 1979, p.46). En guise « d’avant-goût », un véritable cataclysme va s’abattre sur les habitants de La Casbah (Alger), suite aux pouvoirs de police qui seront confiés à l’armée française. Massu, ses parachutistes, ses collaborateurs tels Bigeard, Trinquier, Argoud se distingueront tristement en déclenchant une répression des plus sanguinaires, des plus féroces et des plus meurtrières pour détruire les réseaux FLN. Cette opération sera menée impitoyablement contre une population désarmée qui sera victime de tous les abus et de toutes les exactions. les arrestations arbitraires et massives suivies de tortures systématiques permettront évidemment à cette gigantesque machine répressive de capturer certaines militantes et militants et chefs FLN, tel Mohamed Larbi Ben M’hidi. Mais au prix de milliers de disparus et de tortures pratiquées dans de sinistres lieux disséminés dans Alger et sa banlieue (villa Sésini, à ne pas confondre avec Susini, ferme Perrin, Clos-Salembier, Diar Essaâda, casernes, Belcourt, Birkhadem…) Cette « victoire » remportée par les plus forts (en quête d’un héroïsme à bon marché) contre les plus faibles, est, selon la terminologie des officiers de l’armée française, l’issue d’une soi-disant « Bataille d’Alger ». Par « bataille » nous entendons la présence sur le terrain de deux protagonistes qui se battent plus ou moins à armes égales. Or, quand des milliers de parachutistes armés jusqu’aux dents débarquent de nuit pour fracasser les portes, terroriser les femmes et les enfants et s’emparent des hommes pour les conduire vers des endroits secrets et les soumettre aux pires atrocités, peut-on alors se hasarder à évoquer quelques indices d’une « bataille ». « Sur les 24 000 arrêtés que Paul Teitgen a signés, 13 000 ont été suivis d’un dossier d’assignation c’est-à-dire d’une assignation se prolongeant en centre d’hébergement et 3024 ont correspondu en fait à des disparitions. Comme la torture, la disparition n’est efficace que si un tiers existe à côté, à l’extérieur de la relation entre le bourreau et sa victime. Comme elle, elle restitue une logique collective, culturelle et politique à la violence. Elle prolonge à l’infini le mur derrière lequel ont été retenues les personnes arrêtées. Privant les morts de lieu, elle prive les vivants de deuil : elle rend définitivement impossible tout acte religieux, toute consolation, tout geste unissant une dernière fois les vivants et les morts. Elle est pour ceux qui restent, la souffrance, assurée d’une angoisse inextinguible ». (R. Branche : La torture et l’armée, p.145). Quand on soumet des milliers de « suspects » aux ignominieuses séances de torture à l’électricité ou à l’asphyxie au moyen de bassines remplies d’eau malsaine, ou encore sodomiser des captifs innocents au moyen de goulots de bouteilles, ou bien les battre violemment à coups de pied, de poing ou de crosse, est-ce honorable et décent de parler de « Bataille d’Alger » ? Certains de nos auteurs (auteurs algériens) continuent de nous parler de « Bataille d’Alger », au lieu de dénoncer les faits tels qu’ils s’étaient déroulés. A savoir, d’un côté, un puissant corps d’armée exerçant tous les pouvoirs et tous les abus dans de l’impunité totale, et de l’autre côté une population sans armes. Mais par le fait qu’elle soit acquise au FLN elle est considérée comme suspecte et par voie de conséquence elle est punie de tous les sévices. Par contre, dans son ouvrage, Raphaëlle Branche, qui a cité une multitude de fois « Bataille d’Alger », a pris toutes les fois la précaution de mettre cette citation entre les guillemets. Les affaires Djamila Boupacha, torturée et violée, Henri Alleg, torturé par les parachutistes et Maurice Audin, enlevé, torturé et porté disparu sont pris en charge en France par des médias et des comités de soutien de même que les avocats du FLN, entre autres, maîtres Vergès, Oussedik et Benabdellah continueront à « semer la panique dans les prétoires » (Les porteurs de valises, p. 282). Simone de Beauvoir, la célèbre épouse du célèbre philosophe Jean-Paul Sartre, se solidarise aux côtés de Djamila. Boupacha, en préfaçant un ouvrage de l’avocate Gisèle Halimi que cette dernière consacre à sa cliente Djamila, Picasso exécute quant à lui le portrait de la torturée. Néanmoins, malgré tout le bruit qui est fait autour de ces cas symboliques et les pressions exercées par des intellectuels français intègres et éclairés, le pouvoir en place persiste et signe. Par sa nature même, ce pouvoir est prédisposé à punir les victimes et ses accusateurs et récomposer les tortionnaires, en décorant notamment le lieutenant Charbonnier, celui qui tortura et étrangla le jeune mathématicien Maurice Audin. A propos de justice coloniale – militaire précisément – R. Branche nous dit : « La majorité des plaintes, pour avoir été moins médiatiques sont moins connues, moins complètes, moins fouillées ; elles sont surtout représentatives du fonctionnement de la justice et ne reflètent que la partie émergée d’un iceberg de crimes judiciairement et juridiquement tus à jamais. Néanmoins, grâce aux arbres Audin et Boupacha, il est possible de s’approcher plus de la forêt des « sans nom patronymiques Mohamed. » (R. Branche, La torture et l‘armée pendant la guerre d’Algérie, Ed. Fayard, 2001, p.386). C’est dire qu’une seule et infirme partie de ces victimes d’abus, d’arbitraires et de tortures est portée devant les tribunaux et l’opinion publique française, pour sauver l’honneur, s’il restait encore une possibilité de le sauver. Mais s’il arrive à l’autorité française de se prononcer miraculeusement sur un « acte illégal », les raisons sont loin d’être humanitaires : « Ces violences illégales sont condamnées, moins pour des raisons morales que pour des raisons politiques : elles sont des erreurs politiques qui gênent le pouvoir. » (La torture et l’Armée, p. 351). La justice militaire, rompue à ne guère abandonner les siens, se prononcera par l’acquittement des cinq militaires français qui assassinèrent Marie-Claire Boyet et son époux Yves Badaroux le 15 octobre 1957 à Tagdempt (Tiaret), sous prétexte qu’ils prêtaient main forte à l’ALN. « Quant aux meurtriers des époux B., ils sont également acquittés par le TPFA. (Tribunal permanent des forces armées) d’Oran en avril 1958. Le couple n’était-il pas, après tout, soupçonné d’aider la rébellion (La torture et l’armée – renvoi 2 – p. 408, voir également Marie-Claire Boyet, La martyre de Tagdempt, de A. Belkhodja, Anep 2003). La torture, les assassinats individuels et collectifs, les lâchetés de la tristement célèbre « corvée de bois », qui consistait à tirer dans le dos des prisonniers auxquels on a demandé de « fuir », les viols et les vols seront pratiqués sans répit par l’armée française jusqu’à la fin de la guerre en 1962. L’armée française qui a pris goût dans la facilité qui proscrit la loyauté et l’honneur dans le combat va généraliser la torture à travers tout le territoire algérien et, selon le mot de Pierre Vidal-Naquet, : « Nous allons assister à la mise en place d’un véritable ministère de la Torture qui ne dit pas son nom. » Par cette facilité, l’armée française et le pouvoir politique qui la dirige tentent de gagner une guerre en utilisant le chemin le plus court. Il est peu coûteux et peut permettre de donner des résultats. Il s’agit bien entendu du renseignement et pour l’obtenir il faut un interrogatoire. Comme l’interrogatoire est toujours accompagné de tortures, tant pis s’il faut torturer le nombre. Dans cette masse, il y aura toujours quelqu’un qui connaît quelque chose ou qui aura quelque chose à dire. Ce « ministère de la torture » occulte fonctionnera grâce aux détachements opérationnels de protection (DOP) dont l’effectif réparti dans tout le pays (2000 hommes environ) est spécialisé dans la pratique de l’interrogatoire et de la torture de « suspects ». un suspect étant : « Un habitant quel qu’il soit est à considérer comme suspect du fait qu’il détient en positif ou en négatif des renseignements sur les activités rebelles, qu’elles soient politiques, administratives ou militaires. » (La Torture et l’armée). Mais cela ne veut pas dire que la torture relève du seul ressort des tristement célèbres DOP. Outre que la police continue à faire son « sale boulot », la torture est aussi encouragée et « tolérée » par un comportement raciste et se pratiquait partout et contre tout un peuple : dans les douars, les camps de concentration, les prisons, les Centres de transit et de tri (CTT). Il était donc légitime pour les institutions coloniales et les hommes qui les servaient de faire souffrir l’autre, surtout lorsque l’autre est un « arabe ». Même les fous n’étaient pas épargnés du mauvais traitement. En effet, les Algériens handicapés mentaux étaient gardés en prison ou dans les camps de concentration au lieu d’être soignés dans les rares établissements de soins psychiatriques. Abdelhamid Benzine nous raconte le récit dramatique de ses compagnons d’infortune : « Les plus nombreux des prisonniers de guerre – rendus fous – traînaient derrière eux les souvenirs atroces de bombardements au napalm, de mechtas en flammes. D’autres avaient eu l’esprit dérangé par les tortures qu’ils avaient endurées dans les locaux de l’armée ou de la police. Enfin, il y avait ceux qui, arrivés en prison dans un état normal, n’avaient pu supporter le régime de terreur qui sévissait à Lambèse et se réfugiaient dans l’inconscience. Les coups, les insultes, le froid, la faim avaient ébranlé leur esprit et petit à petit, chaque jour un peu plus, ils étaient entrés dans la sombre nuit de la folie. » (Lambèse, Abdelhamid Benzine, Anep, Alger 2001 p.p. 109-110). Frapper un Algérien, l’insulter, l’humilier dès les premiers instants de son « inculpation » était devenu une simple banalité. Pendre quelqu’un par les poignets ou par les pieds, la tête vers le bas, à un arbre et l’oublier dans cette posture des heures durant était un spectacle très courant destiné à terroriser sa famille et ses voisins. « Passer dans la cour d’une unité et y voir un homme nu à la tête gonflée de coups, un œil complètement fermé, c’est presque une scène de tous les jours qui n’attire même plus l’attention. » (La Torture et l’armée – p. 60). L’armée française ou du moins certains de ses chefs, pour se lancer dans la pratique de la torture, nous opposèrent les plus absurdes et les plus rocambolesques des théories, soutenant froidement que la torture est « un élément de guerre ». Là-dessus, un tortionnaire comme le lieutenant-colonel Trinquier est catégorique en proclamant : « Entre deux maux, il faut choisir le moindre et ‘’faire souffrir’’ si c’est nécessaire puisque faire souffrir – quand c’est la seule solution efficace – pour punir, pour faire comprendre, pour guérir (sic), sont des procédés ancrés, à juste titre, dans nos mœurs. » La première justification, la principale du moins, adoptée et admise par tous, qui prit corps pendant la féroce répression des habitants de La Casbah d’Alger, pour permettre au tortionnaire qui se trouve au bas de l’échelle d’avoir bonne conscience, c’est cette obsession de la bombe qui risque d’exploser d’un instant à l’autre quelque part et du « souci » d’empêcher sa déflagration pour préserver des vies humaines. D’où la nécessité absolue de torturer et de faire avouer celui qui sait, qui doit savoir où va éclater cette bombe. Cette obsession de vouloir coûte que coûte localiser des « bombes à retardement » qui deviendront par la force des choses imaginaires, servira de prétexte pour généraliser la torture partout en Algérie, tant en zones rurales qu’en zones urbaines. « Un tel scénario ne correspond en rien à la réalité de l’emploi de la torture tel qu’il s’est développé sur tout le territoire algérien et pendant toute la guerre, puisque ses innombrables victimes algériennes n’étaient pratiquement jamais accusées d’être impliquées dans une affaire précise d’attentat qu’il s’agissait de déjouer » (Mariane et les Colonies – Gilles – 2003, p. 285). De toutes les méthodes utilisées pour provoquer la douleur et l’aveu chez l’autre, c’est-à-dire le « suspect », l’Algérien ou l’Algérienne, la « gégène » et la « baignoire » sont les plus courantes. La « gégène » n’est autre que la génératrice qui produit du courant électrique pour faire fonctionner l’appareil de transmission radio. Les électrons dégagés par cet appareil provoquent des brûlures et des douleurs atroces surtout lorsque les cosses des fils conducteurs de courant sont placées sur les parties sensibles du corps, plus particulièrement les parties sexuelles. Mais au préalable, il faut signaler que la première torture subie par le « suspect » est d’abord morale parce que humiliante dès lors qu’elle commence par une mise à nu. Chez nous, les musulmans, la pudeur est une chose essentielle, elle est culturelle, et le fait même que l’on soit contraint à la nudité – même si elle dépend d’une auscultation médicale – ça nous propulse dans une extrême gêne et incommodité. Dans une sinistre geôle où trois ou quatre tortionnaires commencent d’abord par vous dévêtir complètement, constitue par voie de conséquence un acte qui viole terriblement votre intimité, inflige à votre dignité la plus dégradante des humiliations et vous démunit devant des êtres prêts à tous les actes honteux, facilités et encouragés de surcroît par un sentiment racial. On porte d’abord atteinte à votre intégrité morale et à votre dignité d’être humain avant d’agresser votre intégrité physique par la douleur et la souffrance. Cette « mise à nu » est ressentie avec beaucoup plus de douleur morale par les femmes qui, par leur statut de « sexe féminin », sont des cibles fragiles, plus vulnérables et à travers lesquelles on s’acharne à déshonorer la société tout entière. « De prime abord, le prisonnier se voit signifier son appartenance à une autre espèce d’hommes quand les tortionnaires le mettent nu. Dès lors que le stade du ‘’passage à tabac’’ est dépassé, le prisonnier (ou la prisonnière) est systématiquement déshabillé (e) (…) C’est dans la position humiliante du gibier qu’on ramène de la chasse qu’il est frappé à coups de grand bâton, peut-être sur la plante des pieds. La nudité est l’expression pure de l’omnipotence des tortionnaires. Le corps exposé parce que nu, devient, devant des gens habillés, une cible. » (La Torture et l’armée – p. 332). Nous nous limiterons à rapporter quelques récits sur les séances abjectes de torture que nous puiserons dans l’ouvrage de R. Branche dont il est difficile d’en faire une synthèse globale et qui mérite en effet que son traitement aborde chacun des thèmes développés par l’auteur. Nous avons estimé toutefois avoir prélevé les passages les plus choquants sur le drame et la souffrance d’être humains, ces « frères inférieurs ». Ainsi par exemple : « A Aïn Terzine, les interrogations ont lieu dans les douches, ce qui permet de ‘’nettoyer après’’ le sang et les excréments parce que les pauvres, ils faisaient sur eux, ça je l’ai vu, se souvient encore, en soupirant, Jean-Louis Gérard. Dans son journal Alain Maillard de la Marandes décrit les tortures subies par un « suspect ». Après avoir été pressé de questions, il a été attaché comme un animal à une barre de fer et deux cosses lui furent fixées aux lobes des oreilles et deux autres à l’extrémité de la verge. Et l’homme commença à hurler d’une voix rauque, sauvage, quasi inhumaine, étouffée par le pied qui était appuyé sur sa tête. Il rejeta sa tête en arrière sous l’effet des secousses électriques et ses membres attachés se crispaient de façon effrayante. Son ventre se contractait convulsément. Il vomit à plusieurs reprises quelques aliments, du liquide, puis du sang apparut. Les bourreaux arrêtaient quelques instants les décharges pour le questionner. “Je ne sais rien, je ne sais rien.“ Et les hurlements reprenaient. Il est ensuite soumis à la torture de l’eau. » (La torture de l’armée – p. 333.) Un autre soldat français rapporte le récit suivant, à propos de la torture à l’eau appelée communément la séance de la « baignoire » : « Des fois, on leur mettait un tuyau dans leur bouche avec un entonnoir et puis on leur versait de l’eau… pour leur faire avouer. Tous les litres d’eau de la jerrican… ils n’étaient pas absorbés, il en coulait de chaque côté mais c’est bon, il en absorbait au moins… une dizaine de litres, hein ! Ah ! on n’était pas feignant pour y verser. » « Le récit que Raymond fait à Danier Mermet corrobore les témoignages à propos de victimes au ventre gonflé sur lequel les soldats s’asseyent pour leur faire régurgiter l’eau, « on leur bouche le nez au moyen d’un tissu gorgé d’eau ne laissant plus passer un seul filet d’air et on leur maintient la bouche ouverte par un morceau de bois, quand un tuyau ne vient pas directement déverser le liquide dans leur corps » (La Torture et l’armée – p. 329). Combien de victimes ne pouvant supporter la douleur ont vite succombé suite aux tortures ? Combien ont perdu la raison ? Il faudrait bien qu’un jour l’on se mette sur les traces de ce drame collectif pour laisser parler l’histoire, ce que les tortionnaires d’hier tentent de bégayer, quarante ans après, soit pour assumer le forfait sans regret, soit pour libérer une conscience de remords bien encombrants. Déjà en 1952, la torture faisait des ravages au plan mental. C’est le cas du regretté Benaoum Benzerga, qui perdit ses facultés mentales suite aux séances de torture répétitives et impitoyables que lui infligeaient policiers et geôliers. Il s’agit de cet ancien compagnon de Messali Hadj qui participa en 1952 à l’exploit de la poste d’Oran aux côtés de Ben Bella et d’Aït Ahmed. Arrêté au lendemain de cette action, Benaoum fit le tour des prisons et camps de concentration. Intraitable, il méprisait ses tortionnaires qui s’acharnaient sur lui parce qu’il contenait courageusement ses cris malgré l’intensité de la douleur et tout le mal qu’il subissait. Hélas, la torture finira par lui occasionner de sérieuses perturbations au plan mental parce qu’il s’obstinait toujours à ne pas « hurler » sa douleur, en guise d’affront à ses tortionnaires.
BÊTES QU’ON ÉGORGE
Ces pressions psychologiques commencent souvent au moment où le prisonnier est gardé dans une cellule mitoyenne avec les chambres de torture d’où, en attendant son « tour », il pourra entendre les hurlements et les cris de douleur de ses compagnons d’infortune qui se trouvent entre les mains de tortionnaires professionnels au service d’un système qui entrait carrément en compétition avec le nazisme en jurant de le surpasser. Les cris et les hurlements de douleur, voilà des situations qu’il sera difficile à la cinématographie et à la littérature de reconstituer fidèlement. Ces cris signalent déjà que la victime est privée de sa dignité d’être humain. Le parachutiste Pierre Lieulliette parle de « hurlements rauques de bêtes qu’on égorge » tandis qu’un infirmier décrit les « hurlements de douleur rendant méconnaissable la voix des hommes qui en étaient victimes ». (La Torture et l’armée -p.59). A travers la lecture de l’ouvrage de Raphaëlle Branche, nous accédons à des faits inédits et nous constatons, sans risque d’être opposés aux démentis auxquels nous avions été habitués pendant la guerre, que l’armée française avait fait de la pratique de la torture un véritable enjeu par lequel elle souhaitait remporter les succès militaires dans l’espoir de conserver la colonie ou, tout au moins, pouvoir dicter les futures conditions de négociations de la fin des hostilités. C’est plus précisément ce que le général de Gaulle recommandait à ses officiers sur la manière de conduire la guerre, c’est-à-dire par le recours à tous les moyens pour une victoire militaire sur l’ALN. « Le général de Gaulle, qui avait demandé au nouveau commandant en chef de vaincre sur le terrain pour être dans la meilleure position possible pour négocier, a été obéi avec efficacité » (La Torture et l’armée – p.278). Comme au début de la conquête du sol algérien ou en mai 1945, l’objectif- victoire ne devait pas coûter trop cher. Frapper durement la population, c’est affaiblir son avant-garde combattante. Nous assisterons donc à la réédition de la politique de la terre brûlée menée par Bugeaud et ses officiers, premiers innovateurs des fours crématoires et chambres à gaz dans les monts du Dahra où plus précisément Pelissier, Saint Arnaud, Canrobert et Cavaignac avaient exterminé des tribus entières à l’intérieur de grottes où ils entretenaient de grands feux au niveau des accès de celles-ci. C’était en 1845. Un siècle après, le meurtre collectif n’avait pas encore cessé. Il est toujours en vigueur en Algérie. Et c’est encore de Gaulle, que nous retrouverons en 1958, qui avait donné de fermes instructions pour « faire rétablir l’ordre par n’importe quel moyen » lors des émeutes de mai 1945. Bilan : 45 000 morts et des centaines de dechras incendiées et pillées. Pour l’Etat colonisateur, il était hors de question d’évoquer ces pages noires de « l’œuvre civilisatrice française » ; à l’exception néanmoins de quelques auteurs français dont nous vanterons l’indignation et le courage politique qui ont dénoncé le fait colonial. Nous nommerons, entre autres, Michel Habart (Histoire d’un parjure – 1960) ou L’Algérie hors-la-loi de Français Jeanson. Combattants, fidayine, ou simples suspects, la torture n’épargnait personne. Beaucoup d’Algériens « pris les armes à la main » (PAM) ou non étaient exécutés sans aucune autre forme de procès. Marcel Bigeard après avoir sévi dans La Casbah se lança dans la « guerre antisubversive » dans les monts de Saïda et quand ses mercenaires capturaient un élément de l’ALN, Bigeard, pistolet pressé sur la tempe du prisonnier, pose une seule question au captif : « Avec nous ou contre nous. » En cas de refus de se rallier aux troupes de l’armée française, Bigeard lui loge une balle dans la tête sur les lieux mêmes des opérations. Voilà donc de quelle manière un officier supérieur de l’armée française traite les prisonniers de guerre. Aujourd’hui encore on se souvient de ce personnage de triste mémoire. Il faudra bien jour que l’histoire retrace les méfaits des criminels français de la guerre d’Algérie qui sont restés d’ailleurs fidèles aux comportements de leurs ancêtres les Bugeaud, les Lamoricère, les Montagnac, les Rovigo… Cependant, pour revenir au dossier de la torture et au sadisme, rappelons ce que avions appris tout récemment lors de la diffusion sur une chaîne française d’une émission consacrée au sujet. Mais pour cela, en guise de préambule, il est utile de souligner que chez nous en Kabylie lorsque quelqu’un se suicide par pendaison, on dit « qu’il s’est marié avec la mort », en ce sens que la strangulation produit simultanément un ultime orgasme avec éjaculation de sperme. Cela dit, un tortionnaire français n’avait pas trouvé mieux que de vérifier ce phénomène en s’adonnant autant de fois à l’étranglement de la victime sans l’étouffer totalement, histoire de savourer des amusements autour d’un orgasme autant de fois rompu. Dans ce même contexte les parties sexuelles constituent toujours une cible de prédilection pour le tortionnaire qui livre sa victime aux humiliations extrêmes. Les femmes ressentent doublement l’affront qui leur est infligé. Outre les atteintes à leur intégrité physique, c’est d’abord à leur honneur et à leur dignité qu’on porte atteinte, ceci à travers les attouchements ou carrément par le viol assez souvent collectif. « Dans ces séances faites de peur, de cris, d’odeurs et de douleurs, la dimension sexuelle est centrale, physiquement et symboliquement. Les coups d’électricité visent avec prédilection les parties sexuelles : seins brûlés, électrode dans le vagin, sur les testicules, sur la verge. Ces violences sont une manière symbolique de rejouer la guerre et de la gagner sans risque. Tout semble se passer comme si les tortures accomplissaient la conquête d’une population que l’armée peine à réaliser. Elles révèlent à la fois l’échec d’une conquête pacifique et l’impossibilité pour les Français de renoncer à la victoire » (La torture et l’Armée p.p. 333-334). Voilà une sentence qui explique pourquoi certains officiers de l’armée française ayant servi dans la guerre d’Algérie n’ont pas été tendres avec l’auteur au lendemain de la publication d’un ouvrage qui met à nu des pratiques honteuses et inhumaines. De récents ouvrages remettent en cause tout le passé colonial de la France, y compris les sombres années de l’esclavage. Nous citerons plus particulièrement « Les dossiers du colonialisme » sous la direction de Marc Ferro et l’excellent travail de synthèse de Gille Manceron « Marianne et les Colonies » qui résume avec brio le paradoxe et la contradiction que nous retrouvons chez les institutions républicaines françaises et autres personnalités politiques y compris celles de la gauche, à savoir « voir notre pays meurtri par des discriminations et des violences qui sont un écho direct de ce passé (colonial) et l’école républicaine muette et embarrassée pour en parler, il n’y a pas d’autre voie que de tenter de reconnaître et d’expliquer le véritable paradoxe qui a marqué l’histoire de la république : invention des droits de l’homme, d’une part, puis négation de ceux-ci dans son rapport avec ses colonies » (Marianne et les Colonies p.18).
SILENCE DE LA FRANCE
Cette démarche, qui milite pour le reniement du passé colonial par le colonisateur lui-même, nous la devons à une minorité d’intellectuels et écrivains français, démarche qui n’a pas encore fait boule de neige comme d’ailleurs elle n’a pu le faire pendant la guerre d’Algérie. En effet, le FLN n’a jamais été soutenu par des courants politiques français hostiles à la guerre d’Algérie mais par des individualités dont certaines devaient même se désolidariser d’avec la ligne politique de leur propre parti, le PCF notamment, qui choqua plusieurs de ses militants en s’alliant au vote des pouvoirs spéciaux contre les insurgés algériens. Face aux débats qui s’instaurent sur le passé colonial français en général et sur la torture en particulier, les institutions officielles françaises gardent un mutisme fort intrigant. De quelle amitié franco-algérienne – au sens politique – peut-on parler, si officiellement en France on refuse encore de reconnaître qu’en Algérie, de 1830 à 1962, l’armée française a commis, au nom de la monarchie ou de la République ou dans les deux cas au nom du peuple français, des crimes des plus ignobles et qu’il soit admis, en définitive, que les guerres coloniales ont gravement et honteusement déshonoré l’humanité, de même qu’il faut complètement démolir la justification des crimes collectifs perpétrés contre une grande partie de cette même humanité ? Les débats sur la torture qui furent relancés en France en 2000 suscitèrent bon nombre de réactions, notamment de la part de ceux qui s’étaient toujours opposés à ces pratiques alors que la guerre d’Algérie faisait rage. Il s’agit d’un « appel des Douze » parmi lesquels Henri Alleg, Josette Audin, Simone de Bollardière, Nicole Dreyfus, Gisèle Halimi, Pierre Vidal-Naquet, Germaine Tillon…) : « Pour nous, citoyens français auxquels importe le destin partagé des deux peuples et le sens universel de la justice, pour nous qui avons combattu la torture sans être aveugles aux autres pratiques, il revient à la France, eu égard à sa personnalité de condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d’Algérie. » (L’Humanité du 31 octobre 2000). Non seulement cette France, à travers ses représentants officiels, persiste à garder le silence sur un dossier aussi dramatique mais elle accepte d’assumer, sans regret ni honte, les pages noires du passé colonial, notamment en gratifiant les harkis de décorations et se gardant de désavouer les 328 officiers ayant servi en Algérie et qui, dans leur manifeste, tentent péniblement de justifier la torture tout en attaquant honteusement Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault pour leurs livres respectifs La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie et Une drôle de justice : les magistrats dans la guerre d’Algérie ». Mais la police et l’armée françaises qui se faisaient assister dans les séances de torture par des « pieds-noirs » connus pour leur haine viscérale contre l’Arabe, ne limitaient pas leurs tristes besognes uniquement à la torture. Le but poursuivi par les autorités coloniales visait à introduire le peur dans les esprits des Algériens et de ce fait les terroriser pour les désolidariser du FLN. Pour entretenir cette peur, l’armée française innova le spectacle macabre par l’exposition de cadavres sur les places publiques. Ces actes dignes de la barbarie des temps révolus eurent lieu un peu partout en Algérie, notamment à Sougueur, Clos Salembier, Rahouia, Tiaret, Malakoff, Miliana, Khemis Miliana, Berrouaguia. D’autres lieux restent encore méconnus et il faudrait nécessairement recenser et identifier en même temps que tous les corps sans vie jetés dans la rue. Raphaëlle Branche, évoquant ce chapitre, cite quelques exemples d’exposition de cadavres à travers certains espaces dont « quelques secteurs se distinguent, comme celui de Tiaret, où la guerre est plus vive que d’autres endroits de l’Oranais. En février 1959, le cadavre d’un homme responsable d’un attentat est exposé pendant deux heures place Carnot (…). Le Monde publie la lettre d’un de ses lecteurs précisant la mise en scène : « La foule musulmane était canalisée pour voir Marouf Addi. Quand je dis ‘‘canalisée’’, cela veut dire que la police ‘‘‘forçait’’ les civils musulmans à passer devant le cadavre’’ (La Torture et l’armée, p. 284). A ce sujet, nous signalons pour notre part que Maârouf Addi avait rejoint l’ALN après que son véhicule eut servi comme voiture piégée le 30 octobre 1958 à la rue Cambon (Tiaret). La place Carnot (actuellement place des Martyrs) et son kiosque à musique sur lequel on adossait les cadavres servaient désormais à ce genre de spectacle. Plusieurs fidayine avaient fait déjà l’objet de ces actes qui se traduisent par la poursuite des atteintes à la dignité humaine, même à l’encontre de corps sans vie. Le plus choquant de ces actes qui avaient tendance à se généraliser fut commis le 8 juin 1958 et consista d’abord à assassiner trois jeunes Algériens pour les pendre ensuite par les pieds aux arbres de la place Carnot. Parmi ces hommes, on identifiait le célèbre chanteur Ali Maâchi. Pour rendre hommage à l’artiste-martyr, l’Algérie, répondant au vœu de sa ville natale, a décrété le 8 juin comme Journée nationale de l’artiste. C’est aussi l’hommage rendu à tous les artistes qui s’étaient mêlés au combat de novembre ainsi qu’à tous ceux qui, après l’indépendance, ont servi avec amour et talent les arts et la culture. Le fait colonial dans son ensemble aura apporté plus de mal que de bien à l’humanité et en vérité il aura « décivilisé aussi bien le colonisateur que le colonisé », selon la formule clairvoyante du poète antillais Aimé Césaire. Gilles Manceron souligne avec force que « la torture et les assassinats de prisonniers pratiqués sur une grande échelle par un certain nombre de militaires français pendant la guerre d’Algérie ne sont que la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus vaste : celui de la violence coloniale, depuis les débuts de la conquête jusqu’aux affrontements précédant les indépendances. » (Marianne et les Colonies, p. 3123). (El Watan)
***la puissance colonisatrice ne reconnaît toujours pas ses crimes
Quand la France torturait en Algérie
La France coloniale s’est particulièrement distinguée dans les méthodes avec lesquelles elle a eu recours à la violence. Des méthodes qui n’avaient rien à envier à celles des troupes nazies durant l’occupation allemande de l’Europe.
Rafles massives, exécutions sommaires, représailles à l’encontre des populations civiles, camps de regroupements et torture pratiquée de manière systématique par des militaires qui avaient déjà fait leurs preuves en Indochine, et ce, au détriment des conventions de Genève.Là aussi on peut citer à l’envie les cas de violations de masse des droits les plus élémentaires des personnes physiques. Comme ce fut le cas par exemple le 28 novembre 1956 à Cherchell, selon le témoignage rapporté par Mustapha Saâdoune qui, après le démantèlement des combattants de libération dans la région du Chéliff et leur dissolution par le PCA, avait rejoint le Front de libération nationale et intégré l’Armée de libération nationale. Celle-ci avait des difficulté à s’implanter dans la région où le bachagha Boualem, fort de ses 400 harkis, traquait tous les éléments nationalistes (cf, l’entretien avec M. Saâdoune) et n’avait pas, du moins vers la fin de l’année 1956, l’initiative sur le terrain contrairement à la situation en Kabylie ou dans les Aurès par exemple où l’armée française était soumise quotidiennement à un harcèlement continu. Mais toujours est-il que le 27 novembre 1956, l’ALN mène une action militaire en tuant deux colons de la région : Jean Forti et Jules Maitre. Le lendemain, la répression s’abat sur la population civile. Dès le matin, les militaires français procèdent à l’arrestation d’hommes de tous ages et les conduisent près du domicile de la famille Saâdoune probablement dénoncé par quelque mouchard et dans le but évident de représailles en exécutant en masse les prisonniers, une soixantaine environ. Mais au moment de les fusiller tous, les militaires français se ravisèrent et choisirent neuf victimes qui furent abattues froidement sur-le-champ et près du lieu de regroupement. Il s’agit essentiellement de Saâdoun Hamoud, Hocine et Nourredine, Bahria Mohamed, Dadou M’hammed, Riad Abdelkader, Chemli Mohamed, Chemli Abdelkader et Sargen Mouloud. Le lendemain de ce jour funestes, alors que la population s’apprêtait à enterrer les victimes, les militaires français et leurs supplétifs harkis ont voulu rééditer « l’exploit » de la veille et procédé à un bouclage des alentours du cimetière avec l’intention d’effectuer une rafle massive de la population qui assistait à l’inhumation des otages exécutés par l’armée. Fort heureusement, les gens qui devaient assister à l’enterrement échappèrent de justesse au massacre qui les attendait. Quelqu’un avait actionné dans la journée peu avant l’heure prévue pour l’inhumation la sirène du couvre-feu pour donner l’alerte. Les neuf victimes ne furent finalement enterrées qu’après l’alerte et le départ des militaires et des harkis. Mais ceux-ci revinrent peu de temps après dans le même quartier et prirent encore une fois deux otages chez les Saâdoune, deux ouvriers agricoles qui travaillaient sur leurs terres. Hamoud Amar et Izeroukène Badji furent ainsi froidement assassinés devant tout le monde. Plus tard, ce furent les frères Youcef Khodja qui périrent de la même façon et payèrent ainsi de leur vie l’engagement de leur aîné Abderrahmane qui se trouvait au maquis. D’autres otages encore plus nombreux, souvent anonymes, furent assassinés par l’armée française dans les mêmes conditions. Mais le plus surprenant, c’est que depuis l’Indépendance les autorités locales et officielles n’ont jamais rendu hommage à ces martyrs et encore moins commémoré les dates de leur exécution par l’armée coloniale. Plus grave, aucune stèle, ni plaque commémorative n’a été apposée sur les lieux de ces crimes colonialistes pour la mémoire et pour la reconnaissance du sacrifice de ces Algériens. Comme on peut donc le constater, on retrouve dans la manière avec laquelle la France de la quatrième et de la cinquième Républiques toutes les composantes de ce qui constitue un véritable génocide contre le peuple algérien. Et sans doute la raison pour laquelle des voix se sont élevées depuis l’Indépendance de part et d’autre de la Méditerranée pour demander de la France officielle un acte de repentance pour ce qui a été commis au nom du peuple français contre les Algériens durant la guerre pour l’indépendance. (El Watan)
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