Le 25 Août 1958,ouverture du 2ème front en France
*Déclenchement historique de l’action armée en France
Dans la nuit du dimanche 24 août au lundi 25 août 1958, la France s’embrase. A Paris, en région parisienne, dans le sud comme au nord de la France, à l’est, à l’ouest, la Fédération de France du FLN actionne ses groupes armés. Les jeunes «fidayîn» de l’OS (Organisation Spéciale), «La Spéciale», comme la désignent avec affection encore aujourd’hui ses anciens membres.
L’OS était un appareil paramilitaire constitué de cadres et de commandos armés, les fidayîn spécialement entraînés qui ont prêté le serment de servir la patrie et mourir pour elle s’il le falllait. Ce sont ces fidayîn qui, cette nuit du 24 au 25 aout 1958, vont s’attaquer partout en France aux installations pétrolières et militaires, à la préfecture de police de Paris, aux commissariats, aux cars de police, et mettre le feu aux forêts.
La France et le monde sont médusés devant l’ampleur de l’offensive du FLN qui vient d’ouvrir son «second front» en France. Cette offensive qui a ébranlé toute la puissance coloniale, a surpris par sa soudaineté, l’audace de nos commandos et par la simultanéité des opérations. Vaste et violente offensive militaire déclenchée sur le sol français qui fera la «une» de toute la presse du lendemain matin, 26 août 1958, don je vous livre ci-dessous quelques titres : Le Parisien Libéré : «Les raids terroristes dans la métropole :
«02h05, Bvd De l’Hôpital (Paris), attaque du garage de la préfecture de police, 2 policiers tués, un blessé…».
«Attaque avortée contre la cartoucherie de Vincennes, un brigadier tué…».
«02h30, Vitry : attaque d’un dépôt d’essence BP».
«03h, Ivry : attaque d’une usine de camions»
«04h, attaque d’une jeep de la police parisienne, 3 agents blessés».
«Gigantesque incendie de Mourepiane : vers 02h30… une violente explosion déchira l’air… l’incendie tourna brusquement à la catastrophe…».
«Port-La-Nouvelle (Aude) : à 03h précises, dans la nuit de dimanche à lundi, deux fortes détonations retentissent à Port-La-Nouvelle, à 25 km de Narbonne. En l’espace de 4 heures, dix réservoirs sur douze ont été détruits et 17 000 m3 de pétrole furent la proie des flammes».
«Toulouse : 1 200 000 litres de carburant détruits à Toulouse dans un dépôt de la Mobil-Oil».
«Le Havre : vers 02h du matin, une explosion s’est produite aux raffineries de la société Esso-Standard à Notre-Dame-de-Gravenchon, à 40 km du Havre».
Le Monde :
«Toulouse : …2 bacs ont flambé… les dégâts sont évalués à 150 millions de francs».
«Marseille : 1 incendie et quatre tentatives… au total, on estime à 3 millions de litres la quantité de carburant perdue».
«Carcassonne : 6 réservoirs de la société Purfina sont la proie des flammes… l’intervention d’un commando FLN ne fait aucun doute pour les enquêteurs».
Le Figaro : «Agression meutrière et sabotages du FLN à Paris et en Province :
Explosion des bacs du parc pétrolier de Mourepiane (près de Marseille) dévasté par un gigantesque incendie. AGIR-VITE».
«Quatre policiers tués Bd De L’Hôpital et au Bois de Vincennes. Deux Algériens abattus».
«Engins explosifs et incendiaires dans les raffineries et dépôts d’essence».
«Incendie catastrophique et explosions au parc pétrolier de Mourepiane».
«Quatre autres tentatives de sabotage dans les Bouches du Rhône».
«Flammes de cent mètres de haut à Toulouse».
Combat : «Le FLN déclenche une série de sabotages dans toute la France :
3 policiers tués, un blessé Bd De l’Hôpital, un policier mortellement blessé dans le Bois de Vincennes, des incendies à Vitry, Ivry et Gennevilliers, des millions de litres de carburant en flammes à Port-La-Nouvelle, à Toulouse …».
«Le dépôt pétrolier de Mourepiane près de Marseille en flammes».
L’Humanité : «Fusillade hier dans Paris, 4 policiers et 2 Algériens tués.
Des dizaines de millions de litres d’essence flambent à Marseille, Toulouse, Narbonne. 17 marins pompiers blessés à Mourepiane dont 3 grièvement. Plus que jamais, Paix en Algérie». «Fusillades à Paris entre des policiers et des Algériens qui attaquent le garage de la préfecture de police».
«Incendies monstrueux provoqués par des charges explosives dans les dépôts d’essence à Marseille, Toulouse et au Port-La-Nouvelle près de Narbonne…. Pourquoi cela ?
Parce que la guerre s’aggrave en Algérie».
26 août 1958, le CCE revendique son offensive armée sur le territoire français
Le CCE (Comité de Coordination et d’Exécution) à la tête du FLN et la Fédération de France, revendiquent cette grande offensive, prévue de longue date et répondant au refus des gouvernants français de reconnaître la Nation algérienne et l’indépendance de l’Algérie dans l’intégrité de son territoire, Sahara compris. Le CCE précisera que c’est une guerre engagée contre le potentiel économique et les forces répressives du régime colonial, et non pas une guerre contre la population civile française.
Dans un appel du FLN du 26 août 1958 : «Le FLN entend d’ores et déjà affirmer solennellement que les civils ne seront pas visés, malgré la responsabilité quasi unanime du peuple français, complice par passivité de la poursuite barbare de la guerre d’Algérie… De nombreux Français ont prêté main forte aux gens de la répression et se sont livrés à plusieurs reprises à de véritables lynchages d’Algériens».
Et la presse française clame de son côté la stupéfaction de l’opinion publique française qui réalise qu’il s’agit-là d’une offensive puissante, bien préparée, concertée, généralisée, témoignant d’une véritable organisation politico-militaire capable de frapper la métropole «où elle veut, quand elle veut».
Le journal Combat du 28 août 1958 écrit :
«Le réveil est brutal. Avons-nous donc oublié les déclarations de guerre de nos adversaires ? : «La lutte pourra être portée sur le territoire métropolitain», avait déclaré Khider en mars 1956. Nous nous préoccupons d’étendre une partie de nos activités sur le territoire de la France. C’est notre second avertissement», avait déclaré Ouamrane en mai suivant». « S’il le faut, les Algériens iront jusqu’à l’opération suicide en métropole», aurait déclaré Boumendjel en août 56». En effet, pour Paul Schoeur, dans la même feuille : «Il serait temps de comprendre que c’est une véritable guerre qui nous est faite, et même une guerre totale».
Le 1er septembre 1958, le FLN, à partir du Caire, déclare dans un communiqué : «Dans la nuit du 24 au 25 août, les commandos algériens en France ont attaqué un certain nombre d’objectifs stratégiques situés en territoire français selon un plan préétabli… Comme le 1er novembre 1954, la nuit du 24 août ouvre un chapitre nouveau de la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Une force de près d’un demi-million d’hommes valides se mobilise pour l’action sous la direction du FLN. La première offensive des commandos algériens s’est fixé un objectif essentiellement pétrolier, primo pour frapper les réserves de carburant destiné à l’aviation ennemie, secundo pour prolonger sur le territoire français lui-même la guerre que nos vaillants combattants de l’Armée de Libération Nationale mènent méthodiquement en Algérie. Une année auparavant le FLN avait promis de détruire le pétrole saharien en France même… Il a tenu sa promesse».
CCE 1956 : choix stratégiques et audace révolutionnaire d’Abbane Ramdane.
La décision du CCE de porter la guerre en métropole aurait été envisagée dès 1956, quand Abbane Ramdane impose avec autorité sa vision révolutionnaire de la lutte de libération : «Combattre l’ennemi partout et par tous les moyens».
L’extension de la guerre de Libération au territoire métropolitain s’est imposée pour les objectifs suivants :
- soulager la pression sur les maquis ;
- maintenir des troupes françaises sur le sol de la métropole ;
- détruire les réserves de carburant ;
- rendre coup pour coup, au corps de répression policier ;
- démontrer que le FLN est à même d’instaurer l’insécurité sur le sol de son ennemi et ne lui laisser aucun répit.
Abane désigne donc Rabah Bouaziz dit «Saïd», Commissaire politique dans la Wilaya IV sous le commandement du Colonel Sadeck (Slimane Dehiles) qui lui remet un ordre de mission pour se rendre en France et intégrer le Comité Fédéral alors en pleine réorganisation ; ses membres venant d’être incarcérés, victimes d’une grande vague d’arrestations.
Sa mission sera de restructurer, d’étoffer l’OS ainsi que le Service de Renseignement pour être prêt à attaquer dans les meilleures conditions d’efficacité les installations énergétiques et l’appareil de répression français. Avant l’arrivée de Rabah Bouaziz en France, les premières structures de l’OS avaient été mises sur pied par Ahmed Doum, Moussa Kebaïli et le regretté Abdelkrim Souissi, arrêté puis rapidement relâché (membre du Comité Fédéral jusqu’à l’indépendance).L’OS, mode opératoire
Le secret absolu a entouré la préparation et la mise à feu de ce «second front» par l’état-major de la Fédération de France (Wilaya VII) en concertation avec le CCE. Pendant des mois, des hommes et des femmes sélectionné(e)s sur des critères sévères — en tête desquels celui de l’engagement patriotique — ont été pris en charge et encadrés pour une formation politique, physique et militaire.
En parallèle, des Algériens structurés dans l’organisation FLN, travaillant et/ou ayant accès dans l’administration centrale et certaines entreprises stratégiques métropolitaines ont, avec les Français engagés à nos côtés, répertorié des cibles économiques au premier rang desquelles les installations pétrolières et des objectifs policiers et militaires. Et ils en ont dressé les plans de situation et les schémas stratégiques pour leur sabotage.
Valeurs universelles et soutien
Rendons hommage à ces Français qui, révoltés par la guerre abjecte que mène leur Etat contre notre population qui se bat pour sa liberté et sa dignité, se sont associés à notre combat pour la libération. Au nom des Droits de l’Homme et du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ils ont vigoureusement dénoncé la barbarie coloniale et ont résolument décidé de nous apporter leur soutien sous toutes les formes. Ils en ont assumé les contraintes, les risques, les sacrifices, pour le triomphe de notre juste guerre et l’honneur d’une France autre que celle embourbée dans sa «sale guerre». C’est l’occasion de rappeler que durant les presque huit années qu’a duré notre lutte, des femmes et des hommes Français(es), se sont rangés à nos côtés. Intellectuels reconnus, savant émérites, artistes célèbres, avocats, enseignants, prêtres de la Mission de France, jeunes «appelés» insoumis ou modestes citoyens, se sont dressés contre la guerre coloniale et nous ont manifesté leur précieuse disponibilité pour nous aider dans notre lutte en acceptant les règles strictes de l’organisation et du commandement du FLN. Ils ont été des «justes». Qu’ils soient assurés de notre reconnaissance fraternelle. L’Algérie ne peut les oublier. Sans leur participation inconditionnelle à nos côtés, défiant leur gouvernement et ses forces de répression, acceptant les arrestations et la prison —certains n’ont obtenu la prescription de leur condamnation qu’en 1966 — «La mission» aurait-elle été possible ?
L’OS, redoutable armée de l’ombre
A la tête de l’OS dès février 1957, Rabah Bouaziz était assisté par le valeureux Nacereddine Aït Mokhtar dit «Madjid», dit «Paul»… étudiant en médecine qui avait effectué une solide formation militaire durant son service. Ceux qui ont connu «Madjid», ont pu apprécier sa personnalité hors du commun, son intelligence, sa résistance physique, son efficacité. Infatigable, il était aussi exigeant avec les militants qu’avec lui-même. Son courage le disputait à sa modestie. Activement recherché par la police pour laquelle il était l’«ennemi public n°1», sa photo s’est étalée sur toute une page du journal France Soir de l’automne 58, avec la mention «tirez à vue !». Il a pourtant échappé aux filets de la police française. Grâce à son expérience de la clandestinité, grâce aux «filières» assurées par les amis français du «Réseau Jeanson», il a réussi à sortir de France par la frontière franco-suisse, à travers la forêt, à pied dans la boue, sous une pluie battante. Après quelques péripéties, il est arrivé à Duisbourg, en Allemagne, habillé d’un costume tyrolien, pantalon court en cuir et chapeau à plume ! C’est tout ce qu’avait à lui proposer le pasteur suisse-allemand qui l’a réceptionné au sortir de la forêt, pour remplacer ses vêtements trempés. Ainsi accoutré, et parlant l’allemand sans accent, personne ne pouvait soupçonner qu’il était un important «chef terroriste algérien».
Au lendemain de l’indépendance, ce valeureux cadre de «La Spéciale», moudjahid exemplaire a regagné la faculté de médecine. Malgré l’insidieuse et implacable longue maladie qui finira par l’emporter, il a brillamment conquis les grades de chirurgien puis de professeur d’anatomie pathologique. Il a exercé sa noble profession à l’hôpital au service des malades et enseigné plusieurs années à l’Université d’Alger. En ce jour anniversaire, je salue toute sa famille qui peut être fière de lui.
La préparation de fidayîn de l’OS s’est développée et affinée au fil du temps. Ses responsables se sont attachés à réunir des moyens de plus en plus adaptés à la constitution d’un corps d’élite. Une «Ecole de Cadres» a été mise sur pied en Allemagne grâce au soutien de la DGB, puissante confédération intersyndicale, qui n’a pas hésité à mettre à sa disposition des locaux. Les instructeurs étaient des militants de haut niveau d’instruction et de politisation ; quant au programme, il avait été élaboré en concertation avec le Comité Fédéral. La formation physique et militaire (close-combat, maniement des armes, connaissance et maitrise des explosifs…) s’est effectuée dans les camps de l’ALN au Maroc dès que cela a été possible. Les futurs commandos ont été envoyés au Maroc à travers les filières du Réseau Jeanson passant par l’Espagne. Les fidayîn s’engageaient à respecter un code de conduite, code consigné plus tard dans un petit manuel, «Le Guide du Fidaï de l’OS», distribué à chacun. Voici quelques-unes des recommandations relevées dans ce guide : « A l’intérieur de son organisme, le fidaï doit être l’exemple vivant des valeurs morales et humaines qu’il incarne en tant que révolutionnaire. A l’extérieur, sa conduite doit être digne de la nation dont il fait partie, afin de forcer le respect de son entourage». Et aussi : «Si la cause pour laquelle on combat, pour le triomphe de laquelle tant des nôtres ont tout donné, si cette noble cause exige de nous de ne ménager aucun sacrifice, y compris le sacrifice suprême, le fidaï doit cependant aussi savoir vivre. Le courage révolutionnaire n’est pas l’inconscience du danger ou le mépris de la mort.
Il consiste au contraire à affronter le risque dont on a une claire et juste conscience, à frapper fort et bien et à savoir esquiver la riposte de l’ennemi pour sauvegarder au maximum nos précieuses richesses humaines. Chaque fidaï qui tombe aujourd’hui est un pionnier de moins pour l’édification d’une Algérie libre et démocratique de demain».
Les combattants de l’OS, venus pour la plupart des rangs de l’Organisation «mère» étaient très jeunes, certains n’avaient pas 20 ans, les autres dépassaient à peine cet âge, il en allait de même de leurs responsables. En vue du déclenchement des actions du «Second Front», ces responsables à l’échelle régionale et à l’échelle locale ont reçu la directive de réunir tous les moyens en hommes et en logistique (armes, explosifs, véhicules, locaux…) et d’étudier avec soin la situation des cibles à attaquer, leur dispositif sécuritaire, leurs voies d’abord, les voies de repli, etc. pour être prêts à passer à l’action le jour «J» (date gardée secrète jusqu’à J-3).
L’Algérie ne doit pas les oublier…
J’ai conscience qu’il y a une injustice à évoquer certains et pas tous les acteurs de la formidable guerre déclarée à la France par notre émigration sous la conduite de la Fédération de France. Ces héros de la lutte de libération ont été pour la plupart «laissés-pour-compte», dès l’indépendance recouvrée, quand nos espoirs se sont envolés. L’éclatement de la direction du Front de Libération Nationale l’été 62 et l’affrontement fratricide qui a suivi, ont sapé à la base le projet d’une Algérie démocratique, l’Algérie de paix, de justice pour tous, d’émancipation et de progrès pour laquelle le sang des martyrs a coulé, pour laquelle tant de souffrances ont été endurées pendant des décennies. Il serait temps pour la patrie de rendre justice à chacun, en reconnaissant son engagement total et son sacrifice, en citant les noms de tous dans un ouvrage consacré à l’apport de l’émigration. En effet, si son rôle par la généralisation des cotisations (plusieurs milliards de francs par an dans les années 60) dans le financement de l’effort de guerre est connu, l’opinion publique ignore dans sa majorité que ces Algériens ont combattu l’ennemi sur son territoire, sans répit, par les armes et les bombes.
Pour être juste, il faudrait rendre hommage ici à tous les fidayîn de l’OS, martyrs que l’histoire a oubliés. Au cours des sabotages et des attentats qu’ils ont exécutés, de nombreux frères combattants sont morts. Soit, sous les balles de la police française lors d’affrontements. Soit victimes de l’engin explosif qu’ils transportaient. D’autres ont disparu après leur arrestation, comme en Algérie, comme à Paris le 17 octobre 1961. Achevés par les tortionnaires des forces de répression françaises, jetés dans les rivières, enfouis dans les forêts… leur famille n’a, à ce jour, pas de sépulture pour se recueillir. Gloire à nos chouhada ! Certains combattants blessés ont survécu à l’hôpital, et à la prison ou au camp d’internement. Saluons-les ! Ils sont de moins en moins nombreux. Discrets, modestes, ils pensent et disent qu’ils n’ont fait que leur devoir. Pourtant, cette guerre portée par notre émigration sur le sol de l’ennemi, parmi une population en majorité hostile, est un fait unique dans l’histoire des mouvements de Libération.
A tous ces jeunes patriotes martyrs tombés en France, nous devons vouer reconnaissance et respect à leur mémoire, par la pensée et par nos actes de tous les jours. Les Algériennes et les Algériens qui n’ont pas connu le régime colonial et le statut d’«indigène» doivent graver dans leur conscience de citoyens que leurs aînés se sont battus et sont morts sur le sol de l’ennemi pour leur offrir l’indépendance, chèrement payée et le statut de citoyen dans leur patrie libérée, l’Algérie. Leur exemple devrait être rappelé dans la culture de nos familles, dans les programmes scolaires. Ils ont offert leur vie pour restaurer la dignité confisquée à notre peuple colonisé.
L’OS, des hommes et des femmes
Les combattants de l’OS, venus pour la plupart des rangs de l’Organisation «mère» étaient très jeunes, certains n’avaient pas 20 ans, les autres dépassaient à peine cet âge, il en était de même de leurs responsables. Des jeunes filles et des femmes complétaient le corps de l’OS et activaient étroitement avec les groupes de choc. Leur participation sous forme de tâches multiples a été indispensable à la conduite des opérations ; citons les liaisons à travers les villes et à travers la France, avec les pays limitrophes de la France, avec la Tunisie, le Maroc… Elles ont assuré le transport des blessés et les premiers soins, le transport de fonds, des armes et des explosifs, le renseignement, l’hébergement, la «boîte aux lettres», la conduite de voitures… Quelques-unes ont assuré les travaux ingrats parfois, mais essentiels, de secrétariat. En même temps qu’elles détectaient et signalaient toute femme susceptible d’être mise à contribution.
Elles ont aussi déposé des bombes, telle celle du troisième étage de la Tour Eiffel (par la regrettée Aïcha Bouzar), ou de la préfecture de Marseille (par mon amie Yamina Idjeri), l’intrépide et si active Nadia Seghir-Mokhtar était aux côtés du commando qui a fait sauter le dépôt pétrolier de Mourepiane, qui a détruit une énorme réserve de carburant, l’une des opérations les plus spectaculaires, le commando dirigé par les responsables Mohand Aïssaoui (décédé de maladie quelques années après la victoire) et Abderrahmane Meziane Cherif qui vient de publier un émouvant témoignage sur son combat dans le «second Front». Ces deux «frères» ont été condamnés à mort par le tribunal militaire, à deux reprises en ce qui concerne Meziane Cherif. Quant à Zina Haraïgue qui a participé à l’attentat contre Soustelle, son palmarès dans les rangs de l’OS est impressionnant, il s’est terminé avec panache par sa spectaculaire évasion de la prison de la Roquette.
La présente évocation amène à mon souvenir l’image de la jeune Zahra Benbourenane, dite «Jacqueline», âgée d’à peine 16 ans et que je revois transportant de si lourdes valises d’armes entre Alès, Marseille, Paris. Boudjemâa, son frère, à peine plus âgé, était fidaï. Leur engagement, à l’image de celui de leur maman, était sans limite. La participation des femmes au sein de la Fédération de France est un aspect important de l’histoire de la participation de l’émigration. Pour mesurer la détermination de ces combattantes, la puissance de leur engagement dans les rangs du FLN, il faut se rappeler qu’à cette période, les femmes émigrées étaient peu nombreuses, moins d’un millier d’après des statistiques. Elles ne connaissaient de la France que le coin où elles habitaient et ses environs, généralement situé en banlieue, dans les «zones», à la campagne, dans des cités ouvrières et minières. Peu ou pas scolarisées, elles ne se mêlaient pas à la population française, ne voyageaient pas. A l’exception des quelques étudiantes militantes dans l’UGEMA, qui avaient plus d’aisance pour se fondre dans la population des villes et passer inaperçues dans les moyens de transport, la majorité des militantes de la Fédération de France du FLN ont opéré une véritable mutation, pour se transformer en combattantes «tout terrain». Ces vaillantes militantes, comme leurs sœurs en Algérie, se sont fondues dans l’anonymat après l’indépendance. Il est grand temps pour notre Nation de leur reconnaître la place qu’elles méritent. A leur évocation, à près d’un demi-siècle de distance, je revois en pensée le sourire juvénile de Baya Agtaï, Nadia Guendouz, poétesse sensible et généreuse, brutalement arrachée à la vie à la force de l’âge, Fatéma Ferahi, Jeanine Haroun, Fatéma Bendissari, Oudda Benacer (emportée trop tôt par la maladie) , Djamila Kebaïli, Akila Ouared, Dahbia Takla, Mimi Maâziz, Tassaâdit Baouz, Louisa Maâcha, Farida Amghar et celles dont je n’ai connu que le prénom, Asma, Tassaâdit, Kheïra, Farida… nos chemins se sont croisés au hasard de nos activités militantes, au sein de «La Spéciale» ou de l’organisation «mère». J’en oublie certainement quelques-unes après si longtemps, qu’elles me pardonnent.
Comme «un poisson dans l’eau» l’OS change la donne ce 25 août 1958, la France panique
Durant près de huit années, commeen Algérie, le combat n’a pas fléchi face à une répression de plus en plus féroce, brutale, aveugle, sans foi ni loi. Après le second front ouvert en août 1958, toute personne «basanée» était traquée par la police et ses supplétifs harkis. Ainsi, des Portugais ou des Antillais ont été victimes par erreur des tirs de policiers ou de gardes, sans compter nos frères tunisiens et marocains… Les autorités françaises, De Gaulle à leur tête, ont multiplié les arrêtés et autres décrets, illégaux et racistes, comme le couvre-feu «pour les Maghrébins», pour venir à bout du «terrorisme». Il y a eu des milliers d’arrestations et tant de morts !
Le choc est rude pour l’organisation du FLN et l’OS en particulier. Malgré cela, les cadres et les militants, chaque jour plus aguerris, ont mobilisé davantage leur ingéniosité et leur esprit d’initiative pour maintenir leur force de combat, appliquant les consignes strictes de la clandestinité : vigilance, cloisonnement, le secret : continuer à se battre. Ainsi, ils reconstituent les groupes, malgré les arrestations et les disparitions, déplacent les armes et les documents, déménagent les «planques»… Mais l’organisation du FLN en France comme en Algérie était engagée dans un combat sans retour. Chaque jour, plusieurs attaques de policiers, de militaires et des sabotages, sont exécutées malgré le renforcement du dispositif répressif, les arrestations, les morts, les disparitions, les descentes dans les locaux des Algériens. Des rafles massives, comme celle du Vel d’Hiv et du gymnase Japy où la police entasse des milliers d’Algériens, les laissant sans eau ni aucune commodité, provoquent l’indignation d’une partie de l’opinion publique française. Ces rafles leur rappelant ce passé douloureux, peu glorieux des années «40» quand la police de Vichy exécutant les ordres nazis, raflait les Français et les juifs et les entassait dans le même «Vel d’Hiv» pour les expédier dans les camps d’extermination. Le Monde du 29 août 1958 écrit à ce
propos : «Après les rafles de Paris, Lyon et Belfort, dans le Vel d’Hiv transformé en centre de triage, près de 3000 Algériens ont été contrôlés». «En Algérie, la barbarie coloniale continue sa sale besogne : jour de l’ouverture du «Second Front» deux condamnés à mort, Mohammed Aouifi et Bachir Aouifi ont été exécutés à la prison civile d’Alger». L’Humanité du 26 août. Allah yerham echouhadda !
En France, l’offensive de l’OS continue aussi. Citons, pour leur retentissement médiatique, la bombe découverte le 23 septembre 1958 au troisième étage de la Tour Eiffel, au niveau du centre des transmissions, relais central névralgique des communications des ministères de l’Intérieur et de la Défense, en plus d’être utilisé par la télévision, ou l’attentat contre Jacques Soustelle, Ministre et inconditionnel de l’Algérie française, qui avait sévi très durement à Alger. L’attentat a eu lieu à Paris en plein carrefour de l’Etoile, le sinistre Soustelle, blessé, n’a dû son salut qu’aux vitres blindées de son véhicule et à son instinct qui l’a fait se coucher entre les banquettes. Le commando était constitué de jeunes Fidayîn, Mouloud Ouraghi et Abdelhafidh Cherrouk qui ont été tous les deux torturés pour être ensuite condamnés à mort par le Tribunal militaire de Paris. Et, Abdelkader Bakhouche, Mabrouk Benzeroug, Smaïn Addour, qui après avoir été torturés pendant plusieurs jours par la DST, ont été incarcérés jusqu’au cessez-le-feu. Aujourd’hui, ils coulent des jours tranquilles, bien mérités, entourés de leurs enfants et petits enfants. Citons encore l’explosion dans la chaufferie du paquebot Le Président de Cazalet stationné au port de Marseille, qui a semé la panique parmi les passagers et surtout au sein des ministères de la Marine et de la Défense français, qui n’ont plus su comment protéger la flotte et en particulier les transporteurs de troupe pour l’Algérie. A ce propos, le quotidien Le Parisien du 8 septembre fait le commentaire suivant : «L’explosion survenue à bord du Président de Cazalet est due à un attentat… Il apparaît d’ores et déjà qu’un tel engin n’a pu être placé à Marseille que par un spécialiste connaissant parfaitement le navire. Il devait savoir qu’en faisant sauter le ventilateur de chauffe, le paquebot se trouverait immédiatement immobilisé. L’enquête sera évidemment fort longue et il est certain qu’on se trouve, ici encore, en présence d’une vaste organisation terroriste, comme d’ailleurs le confirme le communiqué d’une organisation nord-africaine revendiquant la responsabilité de cet attentat»
La PJ de Metz ignore qu’elle vient de relâcher le chef de l’OS
En septembre 1958, pendant que les commandos placés sous ses ordres mettaient le feu à la France, le responsable Fédéral de L’OS, Rabah Bouaziz, a échappé de peu à l’arrestation. De retour d’un voyage de 2 jours en Allemagne (RFA) où il s’est réuni avec les autres membres du Comité Fédéral, il est intercepté dans un barrage à la frontière, près de Forbach. Transféré par la police à la PJ de Metz, il est mis en garde à vue. Pendant 48 heures d’affilée, il subit et déjoue l’interrogatoire «musclé».
Les policiers finiront par le relâcher faute de preuves. Ces policiers de Metz n’ont compris qu’ils avaient eu entre leurs mains et relâché le «chef» du terrorisme en France, Rabah Bouaziz, qu’après avoir reçu (après coup) les renseignements demandés à son sujet à la DST de Paris et d’Alger. Trop tard, Bouaziz avait regagné Paris et repris le cours de ses activités, qu’il poursuivit jusqu’au cessez-le-feu…
L’OS et l’émigration. Comme un seul homme
Nous n’oublierons pas que notre émigration a été le berceau du mouvement nationaliste. La création et la mise en action de l’OS par le CCE n’ont pu se réaliser que grâce à l’ardente volonté de l’émigration de participer de toutes ses forces à la lutte de Libération. L’histoire nous enseigne que de tout temps, l’émigration a été à l’avant-garde du mouvement nationaliste. L’Etoile nord-africaine est née en 1926 à Paris. Fidèle à son histoire, l’émigration a voulu être digne, solidaire des combattants qui, dans les maquis et dans les villes d’Algérie, faisaient front contre la puissante machine coloniale, bravant ses chars, ses avions, ses hélicoptères, sa gégène ses «corvées de bois», son napalm, ses camps de concentration, sa guillotine… «Elle est décidée à se battre jusqu’à la victoire», comme le déclare Ferhat Abbas dans le journal le Monde du 17 septembre 1958, à la veille d’être proclamé président du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) : «Les attentats continueront… Nous avons atteint notre but dans la campagne que nous avons engagée en France même… La France a été obligée de ramener des soldats d’Allemagne pour faire garder les raffineries et les autres objectifs stratégiques.»
Retentissement international. La France prise au piège. L’inéluctable indépendance (victoire algérienne)
Notre légitime et juste lutte de libération a fini par susciter compréhension, la sympathie, l’adhésion et le soutien dans le monde entier. De tous côtés, des voix se sont élevées pour dénoncer la «sale guerre». Courant septembre 1958, à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU, à laquelle une délégation du FLN devait assister, au terme d’une intense campagne diplomatique qui avait enfin réussi à faire inscrire la «question algérienne» à l’ordre du jour, la France s’est trouvée mise au banc des nations, tandis que le FLN recevait de puissants soutiens. Ainsi, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a demandé avec insistance à l’ONU de reconnaître le droit à l’autonomie algérienne…
Elle a déclaré : «Une fois de plus, nous demandons aux délégations qui assistent à l’Assemblée générale de l’ONU, de prier le gouvernement français de rétablir la liberté d’expression et toutes les activités syndicales, de libérer les personnes détenues et de proclamer qu’il est prêt à ouvrir les négociations avec les représentants qualifiés du peuple algérien sur la base de la reconnaissance par la France de la nation algérienne et du droit de cette dernière à l’autodétermination.» (Combat du 25 septembre 1958). De son côté, le vice-président de l’Union soviétique déclare, péremptoire : «Les Algériens seront vainqueurs.» (Combat du 26 septembre 1958). Mais on était encore loin du cessez-le-feu qui ne fut signé qu’après plus de 3 ans d’un implacable combat, de milliers de morts, de milliers d’emprisonnés, d’indicibles souffrances de notre population. Mais la liberté et la dignité n’ont pas de prix !
Cette brève évocation, en ce 25 août 2010, soit près de 50 ans après l’ouverture du «Second Front», nous rappelle qu’en frappant la puissance française en son cœur et sur son sol, fait sans précédent dans l’histoire des peuples colonisés, la Fédération de France du FLN a écrit une page inoubliable de notre guerre de Libération.
Pourtant, son épopée est peu connue. Les générations qui sont nées après l’Indépendance doivent la connaître, ils peuvent être fiers de leurs aînés qui, à la fleur de l’âge, ont tout donné pour libérer la patrie de l’occupant français et restaurer la dignité de notre peuple qui, jamais, ne se soumet à l’occupant. (publié dans El Watan-25.08.2010.)
- Le 24 août 2010
Salima Sahraoui Bouaziz
Permanente de l’OS (1958/1962).
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