Témoignage sur la lutte de Libération nationale

            *Appui militaire aux négociations politiques

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Appui armé des combattants de l’ALN aux négociateurs du GPRA lors de la rencontre algéro-française de Lugrin (du 20 au 28 juillet 1961).
*Rappel du contexte

Nous sommes en été 1961, après la suspension de la première rencontre algéro-française d’Evian I qui a lieu du 20 mai au 13 juin 1961, dont la cause était l’exclusion par la partie française du Sahara (soit plus 80% du territoire national) dont elle voulait garder les richesses du sol et du sous-sol et l’intransigeance de la partie algérienne quant à l’intégrité du territoire national, il fut décidé d’un commun accord la reprise des négociations qui, cette fois, auront lieu à Lugrin et s’étendront du 20 au 28 juillet 1961. Avant d’évoquer l’action militaire à laquelle j’ai participé et qui se déroula durant le face- à-face diplomatique de Lugrin, une brève rétrospective s’impose pour mieux éclairer le lecteur.

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L’action armée au service du but politique

La proclamation du 1er Novembre 1954 faite au nom du Front de Libération Nationale avait clairement défini le but politique de la lutte et fait de l’Armée de Libération Nationale le principal instrument de cette lutte. Jusqu’en 1958, l’ALN, grâce aux énormes sacrifices qu’elle a consentis, n’avait cessé de monter en puissance. Durant cette même période, on assista également à un redéploiement sans précédent des forces ennemies. Le potentiel militaire, économique et démographique auquel l’ALN était confronté était celui de la quatrième puissance mondiale. La détermination française s’exprima par le rappel de plusieurs classes de réservistes, le transfert sur l’Algérie du corps expéditionnaire d’Indochine, ainsi que l’engagement des forces qui étaient jusqu’en 1956 en Tunisie et au Maroc. A toute cette mobilisation venaient s’ajouter des moyens auxiliaires (milices recrutées dans les rangs des Européens d’Algérie, ainsi que des dizaines de milliers de mercenaires autochtones, harkis ou goumiers). Pour isoler les combattants des Wilayas de l’intérieur de leurs bases logistiques situées chez nos voisins, l’ennemi érigea le long des bandes frontalières Est et Ouest des lignes fortifiées sur lesquelles il déploya d’énormes moyens humains et matériels.

Les méthodes de la lutte antiguérilla mises en œuvre par les Français passèrent rapidement des « ratissages » engageant des forces territoriales, sur des aires géographiques et sur une période relativement limitées, à des actions de plus grande ampleur engageant de puissantes forces de réserve qu’il concentrait sur chaque Wilaya sur de longues périodes, fouillant le moindre buisson à la recherche de nos combattants, ne leur laissant aucun répit pour reprendre leur souffle. Ces grandes opérations, qui furent baptisées des noms de Challe, Etincelles, Jumelles, Emeraudes, Pierres précieuses, Marathon, etc., s’exercèrent sans relâche sur nos combattants et soumirent nos populations aux pires exactions. Elles étaient accompagnées par des regroupements massifs de nos paysans dans des camps dans le but de couper le lien ombilical les reliant aux combattants. On vida de ce fait les campagnes de leurs habitants en constituant des zones interdites où l’aviation avait pour mission de tirer sur tout ce qui bougeait, y compris les animaux domestiques. Parqués hâtivement et sans état d’âme dans ces camps appelés pudiquement de regroupement, privés du jour au lendemain de leurs moyens de subsistance, bon nombre d’entre eux périrent de famine. Comme en témoigne Michel Rocard, qui fut chargé à l’époque par les autorités françaises d’enquêter à ce sujet. Il a confirmé les faits lors d’une émission en 2009 sur la chaîne « Histoire », estimant qu’il y a eu de graves négligences dans la prise en charge du ravitaillement de ces populations par les autorités concernées.

Toutes ces actions répressives n’ont pas été sans affaiblir le potentiel de lutte de nos combattants de l’intérieur, notamment dans certaines zones. La mise en place des barrages aux frontières dont le franchissement devenait de plus en plus difficile a fait que des milliers de combattants provenant des Wilayas de l’intérieur, de la communauté algérienne vivant à l’étranger (France, Maroc, Tunisie essentiellement) se sont trouvés massés à l’extérieur des frontières Ouest et Est, attendant l’opportunité de passer à l’intérieur. Le commandement a, tout au long des années 1957 et 1958, tenté des franchissements avec de gros effectifs, la grande bataille de Souk Ahras d’avril 1958, et l’opération « Amirouche » de novembre 1959 à laquelle j’ai moi-même participé en tant que jeune chef de bataillon sont les pics marquants de ces tentatives.

Toutes deux n’ont pu atteindre leurs objectifs, à savoir l’envoi de renforts conséquents d’hommes et d’équipements aux Wilayas qui en avaient tant besoin et se sont soldées, la première, par de lourdes pertes après des combats héroïques, et la seconde fut stoppée net par l’ennemi qui, renseigné au préalable, avait déployé d’énormes moyens pour la contrer (j’aurais l’occasion, si Dieu me prête vie, de la relater ultérieurement). Il ne restait plus au commandement que de revenir aux infiltrations de petits détachements qui parvenaient non sans peine à destination. Aussi, le commandement se devait de prendre en charge ces combattants tant au plan logistique que de leur emploi. Avec la création du GPRA, en septembre 1958, et la nomination des ministres des Forces armées, de l’Armement et du ravitaillement et des renseignements et liaison, on marqua la volonté d’une meilleure prise en charge de la conduite de la lutte armée sous ces différents aspects. En parallèle furent désignés deux chefs d’état-major, l’un pour la partie Est (Colonel Mohammed Saïd, dit Si Nacer) et l’autre à l’Ouest (Colonel Boumèdiene).

Un premier effort de valorisation du potentiel militaire fut entrepris grâce à l’arrivée de dizaines d’officiers venant de l’armée française (dont certains apportaient l’expérience de leur participation au dernier conflit mondial et celui de l’Indochine) ainsi que de ceux sortis des écoles du Moyen- Orient à partir du deuxième semestre de l’année 1958. Ils fournirent l’encadrement des écoles et centres d’instruction et ont servi dans les structures tant logistiques qu’opérationnelles ainsi que dans certains ministères engagés dans l’effort de guerre. Cet effort s’amplifia durant toute l’année 1959 où des milliers d’hommes furent formés et intégrés, toutes origines confondues, à de nouvelles unités constituées sur des bases modernes. Cet amalgame renforça l’esprit national. Mais c’est avec la nomination d’un état-major général dirigé par le colonel Boumédiene, assisté de trois adjoints à partir du début de l’année 1960 qu’allait se constituer progressivement un puissant appareil de combat avec lequel l’ennemi (qui considérait être proche de la victoire militaire) devait désormais compter. C’est à partir de ce moment qu’on assista à une montée en puissance de ces forces devenues de plus en plus nombreuses grâce à l’apport humain venu de toutes parts, de mieux en mieux organisées, aguerries, entraînées, équipées et soutenues.

Elles purent mener des actions permanentes contre le dispositif ennemi déployé aux frontières, en combinant actions décentralisées du style guérilla, relevant des échelons subalternes, aux grandes attaques généralisées décidées par l’échelon supérieur. Elles constituaient pour l’ennemi un abcès de fixation qui l’amena à mobiliser de plus en plus de moyens, ce qui allégea quelque peu sa forte pression sur les Wilays de l’intérieur. Pour permettre aux représentants de la partie algérienne de négocier en position de force, l’état-major général décida d’intensifier les actions militaires sur l’ensemble des frontières. C’est ainsi que les missions furent réparties sur les forces des zones opérationnelles Nord et Sud, lesquelles les répartirent à leur tour sur des sous-zones dont le commandement était confié aux adjoints des commandants de zone.

Appui militaire aux négociations politiques lors de la rencontre de Lugrin (du 22 au 28 juillet 1961

Je faisais partie d’une sous-zone placée sous les ordres du capitaine Mohamed-Ben Ahmed Abdelghani laquelle comprenait essentiellement, outre mon bataillon (19e), le 39e bataillon (Abderazak Bouhara), le 10e bataillon (Abdelkader Kara) et la 3e compagnie lourde zonale (équivalent du bataillon disposant des armes lourdes) de Si Abdelmalek Guenaïzia. Ce dernier, à l’époque, en stage d’artillerie en Tchécoslovaquie, le commandement par intérim était assuré par son adjoint Abdelmajid Boutouil. Nous reçûmes en renfort, outre la 5e CLZ de Si Mokhtar Kerkeb, une batterie d’une vingtaine de mortiers de fabrication artisanale appelé LTZ (initiales de trois hauts responsables tombés au champ d’honneur) arme d’un calibre d’environ 200 mm conçue pour lancer sur courte distance (200 à 300 m) une sorte de grosse grenade contenant une dizaine de kg d’explosifs. Les servants de ces armes, qui avaient reçu une formation sur leur emploi, étaient tous de jeunes recrues venant d’un centre d’instruction et qui allaient subir leur premier baptême de feu.

Description du dispositif ennemi de la sous-zone opérationnelle

Entre la ligne fortifiée à hauteur de Souk Ahras et la frontière algéro-tunisienne à hauteur de la localité de Sakiet Sidi Youcef (connue pour avoir été sauvagement bombardée par l’aviation française début février 1958), l’ennemi disposait de quatre postes avancés qui portaient le nom du « 28 », de Bourenane, d’El Gouard et d’El Hamri (ou Bordj M’Raou). Ces postes étaient situés dans un espace leur permettant d’être à portée d’artillerie les un des autres pour se couvrir mutuellement lors de nos attaques. Celles-ci n’avaient pas cessé depuis leur implantation, et j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un article paru en novembre 2000 dans les journaux Le Matin et El Khabar, la prise d’assaut par mon bataillon (19e) de la partie du poste d’El Hamri qui m’était affecté dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960, que nous avons investi, capturé des prisonniers et récupéré des armes. J’ai été moi-même blessé grièvement à l’abdomen au cours de l’assaut.

Intentions du commandement de la sous-zone

Il s’agissait de rééditer, à peu de chose près, l’action du 28 novembre 1960 qui avait concerné les quatre (04) postes précités, mais le poste d’El Hamri n’était plus l’objectif principal (à investir) et les trois (03) autres à neutraliser. Il a été décidé de faire cette fois du poste d’El Gouard, l’objectif principal (à investir) et les trois autres à neutraliser.

La mission d’assaut était encore une fois confiée à mon bataillon (19e) appuyé en grande partie par la 3e et 5e CLZ et de la batterie des 20 LTZ, tandis que la neutralisation des autres postes revenait aux 10e et 39e bataillons partiellement appuyés par les deux CLZ. L’opération devait se dérouler en deux phases. La première consistait à tester le dispositif ennemi et mesurer la capacité de nos unités chargées des missions secondaires à neutraliser, même momentanément, l’artillerie des postes ennemis qui leur étaient affectés en réaction au puissant harcèlement de l’objectif principal par des éléments du 19e bataillon et de deux CLZ. On devait saisir cette occasion pour effectuer des tirs de réglage de quelques pièces de mortier à partir d’une position choisie pour l’attaque principale. Les LTZ ne devaient se manifester que lors de cette dernière.

Caractéristiques du poste d’El Gouard (objectif principal)

Situé à quelques dizaines de mètres des frontières algéro-tunisiennes, ce poste avancé qui avait déjà résisté à de nombreuses attaques des forces de l’ALN des années durant, se présentait comme une forteresse entourée de hautes murailles surmontées de blockhaus bétonnés abritant des mitrailleuses lourdes et hissées de miradors pourvus de projecteurs, qui à la moindre alerte balayaient de leur feu tout le terrain environnant. Il disposait à l’intérieur d’armes lourdes, notamment des mortiers de divers calibres. Il était donc à l’épreuve de la panoplie d’armes qu’on avait utilisées jusque-là contre lui. Il était entouré de plusieurs lignes de barbelés truffées de mines explosives, bondissantes et éclairantes. Il disposait d’une seule entrée comportant des portes blindées séparées par des sas. Ainsi, sa pénétration ne pouvait avoir lieu qu’à travers cette entrée en faisant sauter les portes à l’aide de puissantes charges d’explosifs. Tel n’avait pas été le cas du poste d’El Hamri que mon bataillon avait réussi à investir (dans la partie qui lui revenait) parce qu’il était situé sur un mamelon hérissé de blockhaus entourés de barbelés et de champs de mines à travers lesquels nous pûmes effectuer des brèches à l’aide de bangalores (tubes en plastique de plusieurs mètres bourrés d’explosif) et détruire les blockhaus avec nos bazookas (lance-roquettes anti-chars). Ceci donne une idée sur la complexité de cette nouvelle mission et des énormes risques auxquels on allait s’exposer au regard des infimes chances de réussite.

Jour J : opération destinée à tester la réaction du dispositif ennemi

Comme convenu, le harcèlement du poste d’El Gouard par des éléments de mon bataillon ne devait débuter qu’une fois l’achèvement de la mise en place du dispositif des troupes amies chargées du harcèlement des trois (03) postes ennemis, soit vers 21h00. Mes hommes déclenchèrent leur action comme prévu à l’aide de petits groupes armés de mortiers légers, de lance-roquettes antichars et d’armes automatiques légères pour les rendre moins vulnérables aux tirs ennemis. De loin, nous parvenaient des bruits d’échanges de coups de feu. La réaction de l’ennemi ne tarda pas à se produire. D’abord, nos éléments furent soumis à un tir nourri des mitrailleuses nichées dans les blockhaus, puis des mortiers légers, puis subirent un déluge de feu d’artillerie lourde venant des postes voisins. Nous ne nous attendions pas à la riposte immédiate de cette dernière, pensant qu’elle allait être neutralisée par l’attaque de nos unités ne serait-ce que durant une dizaine de minutes en étant bien conscients de la disproportion des forces en présence. Leur mission de harcèlement correctement remplie, mes hommes réussirent à décrocher en bon ordre. Les comptes rendus des trois chefs de compagnie qui me parvinrent durant la nuit ne me signalèrent aucune perte dans nos rangs. Ce fut la seule bonne nouvelle de cette nuit, préoccupé comme j’étais par notre impuissance à museler l’artillerie lourde ennemie même durant quelques minutes.

Briefing de la matinée de J + 1

Comme prévu, le capitaine Mohamed Ben-Ahmed Abdelghani (futur ministre de l’Intérieur de l’Algérie indépendante) présida dans l’après-midi du lendemain du jour J une mission pour écouter les comptes-rendus des chefs de bataillon, tirer des enseignements des actions entreprises et décider des dispositions à prendre pour les actions futures.A cette occasion, j’ai appris que l’unité qui devait harceler le poste qui se trouvait non loin de celui qui m’avait été affecté n’avait pas réussi à déployer son dispositif d’attaque suite, selon leur dires, au signalement par leurs patrouilles de reconnaissance de la présence de forces ennemies placées en embuscade sur leurs axes de progression. Quant aux autres unités, elles avaient bien soumis leurs objectifs à leurs actions de harcèlement, mais n’avaient pas réussi à museler l’artillerie. J’imputais cela, au fond de moi-même, à l’insuffisance de préparation mais surtout à la disproportion flagrante des moyens mis en œuvre de part et d’autre.

Quoi qu’il en soit et malgré ces graves lacunes, le capitaine Abdelghani insistait à maintenir, comme prévu initialement la prise d’assaut du poste d’El Gouard, moyennant quelques correctifs dans l’exécution des actions secondaires. La mission principale revenant à mon bataillon, appuyé en grande partie par les deux CLZ, j’ai rappelé au cours du débat qui ne manqua pas d’être houleux et néanmoins fraternel, la disproportion flagrante entre le risque et l’enjeu. J’insistais sur le fait qu’on allait exposer nos hommes à subir d’énormes pertes sans disposer de la moindre chance d’investir le poste. D’autant que la neutralisation de l’artillerie ennemie s’avérait hypothétique. Je lui proposais alors de remplacer l’assaut par une série de puissantes attaques espacées dans le temps avec une panoplie d’armes non négligeable pour faire subir le maximum de pertes à l’ennemi tout en minimisant les nôtres. Finalement, ce mode d’action, soutenu par mes autres collègues, emporta l’adhésion du capitaine Abdelghani qui fut sensible à l’argument du coût humain et fit preuve à cette occasion d’une grande sagesse. L’action principale devait se dérouler en quatre vagues : première vague : 21h00, bombardement du poste avec une vingtaine de LTZ ; deuxième vague : 22h00, attaque des blockhaus avec une douzaine de canons sans recul (CSR), 57 mm ; troisième vague : 24h00, attaque des blockhaus avec une douzaine de CSR, 75 mm ; Quatrième vague : 0h30, bombardement du poste avec une douzaine de mortiers 81 mm avec utilisation d’obus de grande capacité (produisant le même effet que l’obusier de 105 mm). Toutes ces actions devaient avoir lieu sous la protection de nos sections de voltigeurs tout au long de leur déroulement. Les autres bataillons chargés des actions secondaires devaient effectuer leurs premiers harcèlements dès le déclenchement du bombardement de l’objectif principal et tenter de poursuivre des harcèlements sporadiques aussi longtemps que possible. Tandis que les éléments chargés de la sûreté lointaine (installation de bouchons de mines et embuscades sur des axes d’interventions éventuelles de l’ennemi) ne devaient commencer leur décrochage qu’à partir de 1h30 du matin pour s’assurer du repli général de nos troupes. Il fut décidé de mettre en œuvre ce plan opérationnel dans 4 jours. Par Sélim Saàdi. (El Watan-28.07.2010.)

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(suite et fin) 

En attendant, les troupes qui n’étaient pas du secteur (19e et 5e CLZ) devaient préparer, dans la discrétion la plus totale, les positions qui devaient leur servir de base de départ et de repli en aménageant le terrain situé dans un massif boisé non loin de leur objectif de telle sorte à être à l’abri de tout bombardement ennemi préventif.

Les détachements affectés à chaque phase se constituèrent, leurs chefs furent désignés et les modalités de leur mise en place furent fixées. Nous nous consacrâmes, Si Mokhtar Kerkeb, commandant la 5e CLZ et moi (puisque nos unités allaient agir ensemble), à faire des tournées auprès de nos troupes pour nous assurer qu’elles étaient bien imprégnées de leur mission et que leur moral était au plus haut. Nous avions remarqué la veille de cette grande opération qu’un de mes adjoints, Si Moussa Hamadache, souffrait d’une sérieuse inflammation de l’œil. Compte tenu de son état, nous lui fîmes remarquer qu’il était dans l’impossibilité de participer à cette action. Il nous rétorqua sur un air désinvolte que son mal était passager et que le lendemain tout allait rentrer dans l’ordre. Et il ajouta que l’on ne pouvait le priver de l’honneur de participer à un pareil événement qui lui rappelait sa brillante participation, l’année précédente, à la prise d’assaut du poste d’El Hamri avec les résultats que l’on sait. Quoi qu’il en soit, je lui ai laissé entendre qu’il devait considérer cela comme un ordre, tout en essayant de ménager son amour-propre. C’était le temps où il y avait des hommes qui revendiquaient le droit d’affronter la mort.

Déroulement de l’opération

A la tombée de la nuit, nous nous portâmes, le commandant de la 5e CLZ et moi-même vers l’emplacement où était installé le PC du capitaine Abdelghani. Nous y rencontrâmes un certain nombre de moudjahidine parmi lesquels se trouvaient des responsables qui venaient de la Wilaya V, et une équipe de jeunes opérateurs radio (j’ai appris, quelques années après l’indépendance, de la bouche même de l’intéressé, que parmi ces combattants se trouvait l’actuel général Mohamed-Toufik Mediene). Quelque temps après, nous eûmes la surprise de voir arriver le docteur Franz Fanon. Nous étions loin d’imaginer rencontrer le grand militant des causes justes en un tel endroit.

Première vague, 21h00 :

Les premières salves de ces fameux LTZ (sorte de mortier artisanal) déchirèrent le silence et les ténèbres de cette première nuit, suivies de fortes explosions qui jaillirent de l’intérieur du poste. Puis, ce fut le crépitement des armes automatiques dont les tirs se croisaient, de plus en plus nourris, entre les positions adverses. Quelque temps après, ce fut le tour de grosses explosions d’artillerie dont les flammes formaient une ceinture de feu autour du poste. Très vite, on assiste à un déluge de feu et un vacarme assourdissant, sorte d’orchestre infernal au sein duquel chaque membre exécutait sa partition macabre. Bientôt, au milieu de ce vacarme épouvantable, on vit s’élever du poste une épaisse colonne de fumée traversée par intermittence de flammes. Un incendie s’était déclaré au sein du poste et son développement continu laissait supposer que ses occupants avaient du mal à le maîtriser. Tout près de nous, le poste d’écoute qui s’était mis sur la fréquence du réseau radio ennemi pour suivre des communications en clair, saisit un passage émanant du poste ennemi : une voix qualifiant les obus qui s’abattaient sur eux de “bombes soufflantes”. En effet, ces projectiles se différenciaient nettement des obus de mortier qu’on utilisait habituellement, ce qui explique la perplexité de l’ennemi à identifier l’arme employée.

Tandis que les tirs de l’artillerie ennemis se poursuivaient tant autour du poste que dans les profondeurs, notamment sur les axes de repli que nos troupes étaient supposées emprunter pour rejoindre leurs bases, le crépitement des armes automatiques diminua progressivement. Quelques rafales de mitrailleuses lourdes partaient sporadiquement des blockhaus ennemis, continuant à balayer nos positions d’attaque, déjà évacuées en quelques minutes par nos troupes. Sachant à l’avance que l’action de nos troupes allait se dérouler en terrain peu accidenté, à partir pratiquement de la clôture de barbelés du poste, compte tenu de la faible portée de nos LTZ, il fallait la mener d’une manière brève et brutale, puis pour ne pas donner prise aux tirs ennemis, s’évanouir dans la nature par petits paquets et dans plusieurs directions. Les consignes étaient strictes quant au ramassage des blessés et des morts qu’il fallait à tout prix diriger sur les postes de secours implantés en conséquence. A ce moment, nous vîmes passer à proximité du PC un petit groupe de combattants qui venaient de participer à cette action et l’un d’eux soutenu par deux de ses camarades avait le visage noirci par ce qui semblait être une brûlure. Nous apprîmes qu’il avait été touché par inadvertance par la flamme provoquée par le départ de l’obus de son LTZ. Le Dr Fanon, qui était présent, se porta vers le blessé et fit le geste de lui enfoncer les doigts dans les yeux. La réaction du blessé se traduit instantanément par un recul de la tête, ce qui fit comprendre que sa vue n’avait pas été atteinte par la brûlure. C’est alors qu’il lui tapota amicalement l’épaule et lui dit en souriant : “Tu t’en es bien sorti, va maintenant te faire soigner pour tes brûlures”, en l’assurant qu’elles étaient superficielles  » Bientôt, les tirs des armes automatiques se turent et seules quelques explosions d’artillerie déchiraient ça et là le silence de la nuit, y compris des détonations plus lointaines qui nous parvenaient des postes voisins que les autres unités avaient soumis à leurs harcèlements. Pendant ce temps se mettait en place le dispositif d’attaque de la deuxième vague. Des colonnes de fumée et des lueurs de feu continuaient à s’élever du poste.

Deuxième vague : 22h00

Déclenchement des tirs de canons 57 mm S/R qui frappèrent de plein fouet les blockhaus ennemis qui furent simultanément soumis aux tirs de nos armes automatiques pour assurer la couverture de nos canons facilement repérables. Nos combattants devaient coller au plus près du poste de telle sorte à échapper pendant l’attaque à l’artillerie de l’ennemi qui devait, pour des raisons de sécurité, observer une certaine distance par rapport aux positions de ses troupes. Les blockhaus qui se distinguaient nettement du haut de la muraille du poste, notamment durant les tirs de leurs mitrailleuses, étaient soumis à de puissants matraquages de nos canons, dont on pouvait remarquer les impacts à chaque explosion de leurs roquettes. L’artillerie ennemie redoubla de férocité en balayant tous les environs du poste, débordant largement sur le territoire tunisien où les habitants des campagnes à portée de canon s’enfuyaient de leurs lieux d’habitation dès qu’ils entendaient au loin des grosses détonations qui pouvaient être le prélude à leur propre bombardement. Tandis que les tirs directs allaient en diminuant, un nuage de fumée auquel se mêlaient des flammes continuait à s’élever du poste. On supposait que les hommes qui s’étaient chargés d’éteindre le feu durent se mettre à l’abri lors de la deuxième attaque, ce qui raviva davantage l’incendie. L’écoute des conversations radio de l’ennemi faisait ressentir le climat de panique qui régnait à l’intérieur du poste. Puis, comme après la première attaque, les armes légères et semi-lourdes se turent à nouveau et seules des explosions d’artillerie continuaient à s’abattre ça et là, tentant probablement d’atteindre nos combattants. Pour faire croire à l’ennemi qu’il s’agissait de la dernière attaque et disposer d’un peu plus de temps pour le lancement de la troisième vague, qui allait mettre en action des armes plus lourdes, nous nous accordâmes un délai de presque deux heures entre le décrochage de la deuxième vague et la mise en place du dispositif d’attaque de la 3e vague.

Troisième vague : 00h00

Entrée en action des canons de 75 mm S/R des deux CLZ. Tandis que l’incendie du poste n’était pas encore maîtrisé puisque une épaisse fumée continuait d’y échapper, nos canonniers accompagnés de groupes de protection déclenchèrent à l’unisson leurs tirs sur les blockhaus qui subissaient à nouveau un violent matraquage, mais cette fois avec des armes plus puissantes compte tenu de la plus grande portée de ces armes et de la visibilité des cibles que l’incendie éclairait. Les hommes purent mieux choisir leur position de tir en fonction de la topographie des lieux en tentant d’obtenir un maximum d’efficacité tout en réduisant leur vulnérabilité. Ceci, d’autant qu’il fallait également éviter d’utiliser les mêmes positions que les vagues précédentes déjà repérés par l’ennemi.

Celui-ci, à travers ses communications radio manifestait de plus en plus son inquiétude, persuadé que la puissante attaque qui se déroulait constituait une préparation de feu qui allait être suivie d’un assaut final. Ce dernier donc était attendu d’un moment à l’autre. Cette impression se vérifia par le survol des lieux de combat d’avions “B26” qui larguèrent à tour de rôle des lucioles (fusées) qui en descendant lentement du ciel éclairaient toute la contrée, comme si on assistait au lever du jour. Tandis que leur ronde se poursuivait, on nous signala un mouvement de colonnes blindées venant des postes implantés sur les barrages électrifiés. Elles avançaient prudemment par petits bonds sachant qu’elles pouvaient à tout instant sauter sur une mine et tomber dans une embuscade. Cette manœuvre semblait plus viser à rassurer les occupants du poste ravagé par l’incendie, qui vivaient dans l’espoir d’être secourus, que constituer une menace réelle pour nos troupes. Sur le chemin qui nous conduisait, Si Mokhtar Kerkeb et moi, vers les positions où nous devions mettre en batterie les mortiers du bataillon et ceux de la 5e CLZ pour exécuter la 4e vague prévue à 0h30, nous croisâmes un groupe de djounoud qui faisaient partie de la vague des canons 75 S/RT, qui transportaient un corps sur une civière. Quelle fut notre surprise d’apprendre que ce corps était celui de mon adjoint Si Moussa Hamadache, qui avait rendu l’âme au cours de la dernière attaque. Alors qu’il dirigeait, nous dit-on, un groupe de canons 75 S/R, il avait reçu une rafale de mitrailleuse lourde en pleine poitrine. Sous l’éclairage des lucioles qui continuaient à être larguées par les B26, je pus voir le visage serein d’un homme portant un pansement à l’œil et qui semblait dormir paisiblement. Et dire que la veille je lui avais recommandé avec insistance de ne pas participer à cette action. Il venait de compléter la longue liste des martyrs de notre unité et ceux de notre révolution. Nous reprîmes peu après le chemin qui nous conduisait vers nos positions, installâmes nos mortiers et procédâmes à leur réglage sur le poste ciblé qui apparaissait nettement à la lumière des lucioles et de l’incendie qui continuait à sévir. Il ne restait plus qu’à attendre l’heure fixée.

Quatrième vague : 00h30

Entrée en action des mortiers 81 mm. A l’heure prévue, les 12 mortiers ouvrirent le feu, chacun tirant une quinzaine d’obus dits “de grande capacité”. En l’espace de 3 minutes, ce fut un déluge de feu qui s’abattit sur le poste. Le lieu ressemblait au cratère d’un volcan en pleine éruption. Aussitôt après, l’incendie reprit de plus belle et c’est carrément d’énormes flammes qui s’élevèrent dans le ciel. Une fois la mission accomplie, les armes furent démontées et nous nous repliâmes rapidement avant la riposte ennemie. Celle-ci ne tarda pas à se manifester, ciblant les positions que nous venions de quitter avec une rare violence. Cette concentration de tirs d’artillerie se voulait être la réplique à ce que nous venions de leur faire subir. Notre avantage sur l’ennemi résidait dans notre extrême mobilité, alors que lui était dans une cage certes très fortifiée mais dont il était prisonnier. Sur notre chemin de repli, nous rencontrâmes un groupe faisant partie de la vague de canons 75 S/R qui accompagnaient des blessés dont un était porté sur le dos de l’un d’entre eux. Extenués par les efforts qu’ils venaient de faire, en se relayant pour porter le blessé, ils déposèrent un moment leur lourd fardeau pour reprendre leur souffle. M’approchant de lui, accompagné toujours du commandant de la 5e CLZ (Kerkeb), je m’aperçus que c’était un de mes chefs de section d’armes lourdes qui, atteint par un projectile dans la colonne vertébrale, n’avait plus l’usage de ses membres inférieurs. Conscient du fardeau qu’il présentait pour ses camarades qui étaient à bout de force, il les exhortait à le cacher dans un buisson et à poursuivre leur chemin avec les autres blessés qui eux, à ses yeux, avaient plus de chance de s’en sortir. Je leur ordonnai de le hisser sur mon dos et en nous relayant avec Mokhtar Kerkeb, sous le pilonnage incessant de l’artillerie ennemie, nous parvînmes, exténués, à notre tour jusqu’au poste de secours de la frontière où il fut pris en charge.

Il devait être 2h du matin environ, alors que nous marchions Si Mokhtar et moi, le long de la route qui longeait le frontière algérienne, légèrement au nord de la localité tunisienne de Sakiet Sidi Youcef, nous vîmes s’arrêter un véhicule roulant tous feux éteints. “Alors, nous dit un des passagers, tout va bien ?” Nous reconnûmes la voix du colonel Boumediène qui nous avait également reconnu (puisqu’il connaissait personnellement tous les chefs d’unité de combat et souvent même leurs adjoints). Poursuivant : “L’opération s’est-elle bien passée ?” Il avait suivi de quelque part son déroulement et, probablement, était fortement impressionné par la violence des combats et la vue de ces lucioles que larguaient sans cesse les avions B26 sur le champ de bataille et les lueurs d’incendie du poste qu’on voyait de très loin. Tout cela présentait un spectacle qui rappelait quelque peu certaines scènes du dernier conflit mondial. Nous lui répondîmes que toutes les modalités de l’opération ont été exécutées et que l’objectif principal qu’on s’était fixé, à savoir infliger le maximum de pertes à l’ennemi, semble avoir été atteint, comme on pouvait le voir sous nos yeux. Quant à nos pertes, nous sommes en train de rejoindre nos troupes et le bilan définitif sera connu dans la matinée. Sur ce, nous nous séparâmes non sans avoir remarqué sur son visage souriant un air de satisfaction.

Malheureusement, vers 3h du matin, au moment où les éléments du 19e bataillon et de la 5e CLZ se regroupaient sur la piste pour faire mouvement vers leur secteur d’origine, ils furent surpris par un bombardement de l’artillerie ennemie qui nous causa quelques pertes. Arrivé sur les lieux de notre implantation habituelle, nous pûmes établir un bilan de nos pertes qui, n’eut été le dernier bombardement surprise, auraient été réduites eu égard au volume des forces engagées et à l’ampleur de l’opération. Quant aux pertes de l’ennemi, elles ont dû être lourdes, notamment sur l’objectif principal, puisque en plus des gros dégâts matériels dus notamment à l’incendie provoqué par nos bombardements, on a pu les mesurer dès le lever du jour à travers l’arrivée des colonnes de secours et les nombreuses rotations d’hélicoptères chargés entre autres de l’évacuation des blessés. Enfin, le signe le plus patent de l’effet de notre opération fut l’évacuation définitive, deux à trois mois après, du poste et sa destruction par l’ennemi. Conséquences politiques de l’action militaire, notamment lors des négociations de Lugrin (20 au 28 juillet 1961) Comme je l’ai évoqué au départ, l’action miliaire de l’ALN et de nos fidayïne en France n’avait pas d’autre but que politique. Comme le disait le célèbre stratège allemand (Von Clausewitz) du XIXe siècle dans son livre De la guerre, “celle-ci est la continuité de la politique par d’autres moyens”.

Il faut rappeler aux jeunes générations que la puissance coloniale qui avait utilisé tous les moyens pour garder l’Algérie française ne dut se résoudre à prendre langue sérieusement avec son adversaire, longtemps affublé de tous les noms les plus méprisants (fellagha, hors-la-loi, terroriste, criminel, bandit, etc.) qu’une fois convaincue que la solution militaire était impossible, puisque le peuple était résolu à la poursuivre quel qu’en soit le prix et la durée (l’action qu’on vient d’évoquer en est si besoin la preuve). Il ne restait plus que la solution politique qui ne pouvait être que le fruit de négociations entre les deux parties. Et c’est dans cette optique que fut décidée la rencontre dite de Lugrin qui devait durer du 20 au 28 juillet 1961. C’est à cette occasion, et bien avant, que furent lancées ces grandes opérations pour conforter nos négociateurs. Pourtant, la partie française a, à cette occasion, décrété un cessez-le-feu unilatéral dans le but de nous amener à en faire autant. Nous nous sommes bien gardés à ne pas rentrer dans ce jeu, en lui signifiant, à travers la poursuite des actions militaires : pas d’arrêt des combats tant que nous n’avions pas atteint le but fixé par la proclamation du 1er Novembre, à savoir l’indépendance du pays. Il ne fait pas de doute que les forces combattantes dont disposait l’ALN, notamment aux frontières, soit une trentaine de bataillons à l’Est et une dizaine à l’Ouest auxquelles s’ajoutait un système logistique performant, ont constitué incontestablement un appui non négligeable à l’action politique, qui a été elle-même menée de manière remarquable et ce, en dépit du différend qui opposa, à partir de l’année 1961, l’état-major général au GPRA. La crise qui régnait entre les deux parties n’avaient en rien entamé notre ardeur au combat qui fut mené avec abnégation jusqu’à son terme.

Conclusion

Il faut donc rendre un hommage unanime à tous ceux qui ont participé à cette grande épopée sur tous les fronts, avec une mention particulière à ceux qui versèrent leur sang, endurèrent les pires souffrances, et consentirent le sacrifice suprême. Il y a ceux qui restèrent handicapés à vie, parmi lesquels ce brave chef de section gravement blessé, que nous avons Si Mokhtar Kerkeb et moi porté tour à tour sur nos épaules lors de cette bataille, et que j’ai eu le bonheur de revoir après l’indépendance, certes dans un fauteuil roulant et qui malgré son invalidité respirait la joie de (sur) vivre. Je voudrais enfin associer à mes pensées le regretté docteur Mohammed Seghir Naccache qui vient de nous quitter récemment, qui, en tant que directeur de la santé militaire aux frontières Est, a su rendre d’éminents services en mettant en place un système sanitaire efficient, sauvant ainsi la vie de milliers de blessés dont j’eus l’honneur de faire partie. En tant que notre aîné, il a toujours été pour nous un exemple d’abnégation et de grande rigueur morale, même si l’ingratitude humaine s’est, à certains moments de sa vie, acharnée sur lui. Pour ceux qui l’ont connu, son souvenir restera impérissable. J’ose espérer, à l’automne de ma vie, voir un jour un grand établissement hospitalier porter son nom. (El Watan-29.07.2010.)

Par Sélim Saâdi

-  L’auteur est : ancien officier, chef de bataillon de l’ALN, ancien colonel de l’ANP, Commandant de Région militaire, ancien ministre.

**guerre des RG contre le FLN

Soutien du CIA, présence de mouchards, conflit avec le MNA sont parmi les aspects les plus intéressants de documents inédits que publie, à partir d’hier, Médiapart sur la guerre d’Algérie.

Une compilation de plusieurs notes de synthèse de la Sûreté nationale française, dont faisaient partie les Renseignements généraux, qui ont été rédigées au long de l’année charnière 1961. Ces notes, explique le journal en ligne, ont été adressées, à l’époque, au ministre de l’Intérieur, Roger Frey, au Premier ministre, Michel Debré, et au président de la République, Charles de Gaulle. Ces rapports confidentiels concoctés par les RG renseignent sur l’attention toute particulière que portait la Sûreté nationale aux activistes de la Fédération de France du FLN. Ces documents lèvent un pan du voile sur la guerre secrète menée par les Renseignements généraux contre le Front de libération nationale en métropole. «La septième wilaya» est alors sous le microscope des services de police français, renseignant au jour le jour le pouvoir exécutif sur l’évolution de la guerre d’Algérie sur le sol français. Pourtant, ces rapports restent étrangement épurés de toute mention à des actes de torture, de menaces ou de chantage pour extorquer des informations et ne fait aucune allusion aux morts d’Octobre 1961. Présentés dans un ordre chronologique, la note du 4 juillet 1961 sur la journée du 5 juillet, «anniversaire de la prise d’Alger », soupèse les risques d’une possible extension en métropole des manifestations en faveur de l’indépendance qui doivent être organisées le lendemain en Algérie par le FLN. Les RG se veulent rassurants en observant qu’en France, la Confédération Générale des Travailleurs ne soutient que «prudemment toute action de masse des Algériens en faveur de l’autodétermination et contre le partage », mais s’inquiètent, en revanche, d’une éventuelle «action terroriste » de l’Organisation spéciale (OS), le bras armé du FLN. La note du 20 octobre 1961 revient sur les manifestations du 17 octobre sans pour autant mentionner la féroce répression policière qui a fait près de 300 morts à Paris. Des manifestations pacifiques organisées par le FLN contre le couvre-feu imposé depuis peu aux Algériens de France entraînent un déchaînement de violence policière sans précédent, faisant de cette date la manifestation la plus meurtrière dans une démocratie occidentale après la Seconde Guerre mondiale. La Sûreté nationale voit dans ces manifestations «le début d’une action d’ensemble, où l’organisation, maintenant en partie découverte, va s’engager à fond pour démoraliser l’opinion publique et créer un climat «favorable» à l’ouverture des négociations ». Les renseignements généraux s’alarment quant à ce fameux «coup de boutoir final» évoqué dans le premier rapport général de la Fédération, saisi sur Ben Bella en octobre 1956. Toujours sur la journée du 17 octobre, la note du 24 octobre 1961 évalue le degré de mobilisation de la«masse musulmane algérienne de métropole

En effet, la police redoute de nouvelles démonstrations de force du FLN, qui impose «une discipline de fer » aux immigrés algériens. La note reparle de ce coup de boutoir sous forme d’une «action d’envergure» menée par le FLN. «Tout arrêt partiel ou généralisé des actions rebelles », prédisent les policiers à la fin de leur rapport, ne serait qu’une «manœuvre tactique toute provisoire que le FLN ne manquerait pas de mettre à profit pour combler, sur les plans idéologique, territorial et paramilitaire, les lacunes de son organisation ». Une dizaine de jours plus tard, une note datée du 4 novembre 1961, sur la journée du 1er novembre, anniversaire du déclenchement de la lutte armée, inspire de l’inquiétude aux forces de police. Vigilants, ils préviennent que «le calme qui a marqué la commémoration du 7e anniversaire de la rébellion ne doit pas être interprété comme marquant une quelconque régression de l’empreinte frontiste sur les travailleurs algériens de métropole». La note souligne la «cotisation exceptionnelle» parmi les travailleurs et la «mobilisation silencieuse » qui se poursuit. Jamais publiés jusqu’ici, ces documents proviennent de vieux dossiers longtemps sous scellés au ministère de l’Intérieur. Confiés, dans un premier temps, à Benjamin Stora au début des années 1980, ils ont été redécouverts par le journaliste Laurent Chabrun, auteur d’un ouvrage sur la lutte des services de renseignement français contre le FLN (La Guerre de l’ombre, Jacob-Duvernet). La lecture de ces notes et de l’ouvrage de Laurent Chabrun fait également découvrir le suivi très précis, par les policiers, des rivalités et règlements de comptes au sein de la communauté algérienne de France, entre le MNA et le FLN. Une guerre dans la guerre qui fit environ 4.000 morts, selon les historiens. Ces documents éclairent aussi sur l’état d’esprit des services de renseignement avant le 17 octobre 1961. Paranoïa, peur des attentats, l’envie latente de venger la cinquantaine de policiers tués depuis 1958, date de la prise de contrôle de la Fédération de France par le FLN, racisme et adhésion aux thèses ultra de l’Algérie française sont présents parmi les forces de police. On découvre aussi, dans «La Guerre de l’ombre», l’étonnement des services de renseignement français face au soutien bienveillant dont semble alors bénéficié le FLN de la part de la CIA à travers l’aide de Washington à l’UGTA. (Quotidien d’Oran-03.12.2011.)

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Ces lettres qui disent la face noire de la guerre d’Algérie

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le 08.03.18 

Les lettres d’un prisonnier algérien, Derradji Bouharati, à sa femme, publiées par l’Harmatan, en disent plus sur la guerre d’Algérie que beaucoup de recherches universitaires. Une chronique de Sadek Sellam.

Fin mars 1956, dans quartier populaire à l’est d’Alger, un jeune père de famille, Derradji Bouharati (1922-1998), est arrêté au milieu de la nuit par des militaires français.

Les perquisitions et arrestations sans mandat d’amener viennent d’être autorisées par les «pouvoirs spéciaux», votés par la majorité du Front républicain et signés le 15 mars par François Mitterrand, le garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet. Le premier article de cette loi d’exception stipule que «les libertés sont suspendues en Algérie». Cette arrestation fait partie du démantèlement d’un réseau du FLN chargé de la collecte des fonds et de l’impression des tracts, que L’Echo d’Alger appellera le «groupe de Leveilly», du nom de la cité voisine. Les lettres de prison, dûment conservées par la mère et sa fille aînée, viennent d’être rassemblées, présentées et publiées par sa fille cadette, Samia(1).

Après des interrogatoires musclés, Derradji Bouharati est interné dans la prison de Barberousse, avant d’être transféré dans le «camp d’hébergement» de Berrouaghia, à 100 kilomètres au sud d’Alger où il fait très froid l’hiver. De dures conditions de détention s’ajoutent aux rigueurs du climat : baraquements mal chauffés, promiscuité, malnutrition malgré de légères améliorations consécutives aux visites de la Croix-Rouge, etc. En plus de ces difficultés, les «hébergés» subissent les pressions de l’Action psychologique du Ve Bureau, qui deviendra un véritable «Etat dans l’Etat», selon Paul Delouvrier, le délégué général arrivé en décembre 1958.

Les officiers d’Action psychologique demandent aux «hébergés» de moucharder contre leurs frères et cherchent à retourner les plus fragiles. Ce service considère tout djoundi de l’ALN et tout membre de l’OPA (organisation civile clandestine) du FLN comme des cas pathologiques nécessitant une action de désintoxication, au besoin par des séances d’électrochoc pour les mineurs afin de les aider à oublier les idéaux pour lesquels ils se sont engagés.

Derradji Bouharati souffre beaucoup plus que la plupart des autres «hébergés», en raison de ses sept enfants laissés à sa jeune femme et de son extrême sensibilité d’artisan-artiste. Il fait face, mettant sa connaissance du français acquise à l’école communale au service d’une intense activité épistolaire. Il écrit régulièrement des lettres à sa femme illettrée qui se les fait lire par sa fille aînée. Il faut avoir à l’esprit la grande pudeur des familles musulmanes, et spécialement des relations père-fille, qui empêche d’extérioriser les sentiments amoureux.

«Je ne tiens que grâce à la foi en Dieu et à mon amour pour toi», répète-t-il à son épouse. Celle-ci dicte à sa fille les réponses aux questions sur l’évolution de la scolarité de tous les enfants qui se trouvent stimulés à distance par tant d’insistance paternelle.
Nombreux sont les lecteurs de ces lettres émouvantes qui commencent par rendre hommage aux instituteurs et institutrices français qui sauvèrent l’honneur français mis à mal par la colonisation.

Car le lecteur attentif qui compare avec le niveau atteint par l’enseignement en Algérie est impressionné par la qualité du français et la clarté de la rédaction de cet ancien élève appliqué, mais qui n’a fréquenté que l’école primaire. Ce livre aux dimensions modestes, comme la fille cadette qui a contenu son émotion pour rassembler, classer et commenter les lettres paternelles, contribue à combler une lacune de la recherche historique sur les grandes difficultés, morales et matérielles, de la vie des dizaines de milliers de détenus, souvent innocents, dans la centaine de «camps d’hébergement».

Car, hormis «le Camp», consacré par Abdelhamid Benzine au camp Morand de Boghar pour les «PAM» (Pris les armes à la main), et celui, en arabe, de Ahmed Azoui sur le camp du Djorf (dans les Aurès), il n’y a pratiquement rien sur le phénomène concentrationnaire qui fut un des principaux dispositifs de la répression pour le «maintien de l’ordre» (l’usage du mot «guerre» étant soigneusement évité) en Algérie entre 1954 et 1962.

En mai 1961, un journaliste posa une question directe à Pierre Mendès-France : «Y a-t-il des «camps de concentration en France» ? L’ancien président du Conseil (de juin 1954 à février 1955) n’hésita pas à reconnaître ce qui était soigneusement dissimulé. Ce livre inspiré par une mémoire familiale, ravivée par une cadette qui était la préférée de son père, pourrait amener les historiens inspirés par le courage de Mendès-France à sortir des limites étroites de «l’historiquement correct» pour étudier la vie dans les «camps d’hébergement» et les «centres de tri» en Algérie.

D’abondantes et précises archives le permettent, pourvu que soient surmontés les blocages idéologiques, comme la crainte des comparaisons jugées déplacées avec les méthodes de l’Allemagne nazie.

Pour être exhaustives, de telles recherches ne devraient pas omettre les centres de détention qui, pour être maintenus secrets, n’étaient visités ni par les commissions d’enquête, dont les rapports édulcorés servaient à «sauter l’obstacle annuel de l’ONU» (Ferhat Abbas). L’existence de ces centres secrets a été révélée, entre autres, par le regretté Jacques Berque, qui avait été très actif, à partir de 1956, dans le Comité des Universitaires sur l’Algérie.

our sa part, Bernard Deschamps, ancien député communiste du Gard, révèle dans son livre Le fichier Z, sur la puissante organisation du FLN dans son département, l’existence de prisons secrètes dans les Cévennes, où l’on faisait venir d’Algérie des DOP(équipes d’officiers de renseignements spécialisées dans les interrogatoires musclés) pour interroger les suspects de la Fédération de France du FLN.

La mémoire contribue à rattraper les retards de la recherche universitaire.  

1) Samia Ziriat Bouharati : économiste de formation, fondatrice d’une association franco-algérienne, Origin’Al

**El watan / mercredi 08 mars 2018

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plus de 80 morts et des centaines de blessés

Oran se souvient du carnage perpétré par l’OAS en 1962

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le 01.03.2018 | 

***commémoration du 56e anniversaire du carnage commis par la sinistre organisation criminelle, l’organisation armée secrète (OAS), le 28 février 1962, au quartier populaire de Mdina Jdida.

L’attentat a été commis le mercredi 28 février 1962 vers la fin de l’après-midi à quelques heures de la rupture du 23e jour de Ramadhan. Il était un peu moins de 17 heures quand deux terribles déflagrations se sont fait entendre: les deux obus 105 placés dans les deux voitures piégées venaient de semer la mort la plus horrible. Des deux voitures piégées, on n’a pu trouver que la partie avant d’une Peugeot 403 camionnette bâchée, quant à la deuxième, elle était difficilement identifiable, entièrement pulvérisée par la charge explosive qu’elle transportait. Le bilan a fait état de plus de 80 victimes et des centaines de blessés. Un véritable carnage : des corps déchiquetés, des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants horriblement mutilés, du sang et des morceaux de chair humaine projetés sur plus d’une centaine de mètres. *el watan / 01 mars 2018

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** Aux origines du MALG,

l’incroyable aventure de la naissance du renseignement algérien, ses secrets et ses coups les plus réussis.

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	Groupe d&rsquo;officiers au centre d&rsquo;instruction de l&rsquo;ALN &agrave; Kebdani (Maroc) : on reconna&icirc;t Boussouf regardant Boumedi&egrave;ne  » src= »http://www.elwatan.com/images/2015/02/20/histoire_2601121_465x348.gif » /></p>
<p><strong><span style=Abderrahmane Berrouane, un compagnon d’armes du fondateur des «services», Abdelhafid Boussouf, raconte dans un livre, Aux origines du MALG, l’incroyable aventure de la naissance du renseignement algérien, ses secrets et ses coups les plus réussis.
Saphar était son nom de guerre.

Abderrahmane Berrouane était, en 1958, responsable de la direction de la vigilance et du contre-renseignement, sur décision de Abdelhafid Boussouf, Si Mabrouk, fondateur du Ministère de l’armement et des liaisons générales (MALG). Né à Relizane en 1929, Saphar avait rejoint les rangs de l’ALN le 6 août 1956 dans la Wilaya V, après avoir abandonné ses cours de sciences politiques à Toulouse, en France, suite à l’appel à la grève générale lancé par l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), en mai de la même année.

Dans Aux origines du MALG, témoignage d’un compagnon de Boussouf, qui vient de paraître à Alger aux éditions Barzakh, Abderrahmane Berrouane revient sur son parcours de membre du MALG. L’éditeur souligne que les «Malgaches» sont très peu à avoir témoigné publiquement sur leur expérience. «Il lui aura sans doute fallu un certain courage pour oser écrire à la première personne et tenter de se défaire des réflexes de silence et de secret associés à ce groupe réputé pour son opacité», est-il noté.

Abderrahmane Berrouane prévient, dès l’avant-propos, que son témoignage est une simple contribution au rétablissement de la vérité. «Selon les vœux de nombreux frères, et de Si Aboulfeth (de son vrai nom Bouzid Abdelkader) en particulier, mon témoignage a pour objectif de “compléter, rectifier ou confirmer’’ le récit des frères — encore peu nombreux — qui ont témoigné sur leur expérience personnelle au sein du MALG, depuis l’origine jusqu’à l’indépendance du pays», écrit l’auteur dans l’avant-propos.

Bouzid Abdelkader, dit Aboulfeth a, pour rappel, publié en 2013 L’arme des transmissions, aux éditions Lazhabi Labter/Pixal. Une prudence qui apparaît entre les lignes de ce livre de 317 pages. L’auteur semble s’être retenu, n’a écrit que ce qu’il a bien voulu dire. Autocensure ? Possible. Abderrahmane Berrouane rapporte que l’idée d’écrire sur le MALG remonte à 1973. La proposition a été faite au colonel Houari Boumediène.

«La réponse laconique de Si Boumediène tomba comme un
couperet : il est trop tôt pour écrire l’histoire.» Le colonel Boumediène, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat contre Ahmed Ben Bella, a tout fait pour interdire l’écriture de l’histoire du mouvement national pour des raisons politiques évidentes. Encouragé par son ami Hadj Belkacem Boudouh, ancien consul d’Algérie en Arabie Saoudite, Abderrahmane Berrouane a décidé de «passer à l’acte» d’écriture.

Il relate son enfance à Relizane, évoque sa famille, son père marchand de grains, sa mère d’origine arabo-turque, revient sur sa scolarité à Sidi Bel Abbès et à Oran. «Tout était planifié pour que les indigènes ne puissent pas arriver jusqu’au lycée et, à plus forte raison, à l’université (….) Notre détermination à poursuivre nos études était néanmoins plus forte, et ce n’est qu’en France que j’ai pu décrocher mon deuxième bac», a-t-il noté. Abderrahmane Berrouane a rejoint le FLN/ALN à partir d’Oujda, au Maroc, en passant par l’Espagne. Il fut aidé par Omar Gherbi, alors responsable de l’UGEMA à Oujda.

L’auteur dresse un portait des «figures marquantes» du MALG : Abdelhafid Boussouf, le commandant Omar, Saddar Senoussi dit Si Moussa, Bouzid Abdelkader, Abderrahmane Laghouati dit Laroussi, Messaoud Zeghar dit Rachid Casa, Mohamed Rouaï dit Hadj Barigou, Mostefa Benaouda dit Ammar, et Benali Boudghène dit le colonel Lotfi.

Conflit Boussouf-Boumediène

Abderrahmane Berrouane, qui semble avoir une grande admiration et un grand respect pour Boussouf, prend la défense de Si Mabrouk et dénonce «les contrevérités» dites à son propos. «Si Abdelhafid Boussouf a été incontestablement le grand architecte des services spécialisés de l’ALN. A lui seul, il incarne toute l’histoire de ces services qu’il a créés et dirigés d’une main de maître.

Son génie, c’est d’avoir réussi à construire, à partir de rien, puis avec des moyens modestes, une œuvre colossale», a-t-il écrit, rappelant la mort brusque de Boussouf en décembre 1980 à l’âge de 54 ans. Il est revenu sur le parcours de Boussouf, membre du Comité de coordination et d’exécution (CCE), puis membre du Comité permanent de la Révolution (CPR), «instance très secrète, peu connue du grand public». Le 19 septembre 1958, Boussouf a été nommé Ministre des liaisons générales et des communications (MLGC) du premier GPRA.

Le MLGC deviendra MALG en janvier 1960. Selon Abderrahmane Berrouane, Boussouf aurait demandé aux Soviétiques et aux Chinois de détruire les lignes électrifiées Challe et Morice. «Si Mabrouk, qui ne reculait devant aucune difficulté, accepta la solution d’utilisation d’hélicoptères et commanda plusieurs appareils aux Russes, tout en programmant la formation immédiate des pilotes sous la responsabilité de Aït Messouadène Saïd», a-t-il révélé. Ce projet n’a jamais abouti en raison du début des négociations du GPRA avec les Français en prélude aux accords d’Evian. «Après la crise état-major-GPRA, ce fut pratiquement la stagnation dans l’évolution des services du MALG.

Boussouf était stoppé dans son élan créateur. Ses plus proches collaborateurs tentèrent à plusieurs reprises la réconciliation entre lui et Boumediène, en vain. Zeghar Messaoud et Delleci Noureddine, par exemple, parvinrent à réaliser un tête-à-tête entre les deux hommes, mais Boumediène avait la rancune tenace. Il reprochait, semble-t-il, de n’avoir pas réussi à rallier le GPRA à la position de l’état-major.

En réalité, Boumediène, conforté par ses forces armées dont il disposait, estimées à près de 50 000 hommes très lourdement armés, et par la complicité des commandants Kaïd Ahmed, Tayebi Larbi et Ali Mendjeli, se sentant en position de force, restait sourd à toute forme de négociation et s’éloignait le plus possible de ceux qui lui faisaient de l’ombre ; il n’hésita pas d’ailleurs à employer la force pour prendre totalement le pouvoir», rapporte l’auteur.

Selon lui, Boussouf, qui avait connu et combattu la subversion ennemie pendant huit ans, s’avoua vaincu face à la subversion intérieure, «provoquée cette fois par ses anciens élèves et subordonnés». Retiré de la vie politique après l’indépendance de l’Algérie en raison de son conflit profond avec Boumediène, Boussouf faisait parvenir des informations sensibles au pouvoir, selon Abderrahmane Berrouane, par le canal de Kasdi Merbah.

D’après l’auteur, les services français (SDECE) avaient liquidé, dans les années 1960 et 1970, certains amis étrangers de Boussouf comme Enrico Mattei, patron de la société pétrolière italienne ENI, et le prince Jean de Broglie. Saphar dément dans son livre l’existence de rapports conflictuels de Boussouf avec certains dirigeants de la Révolution. «Si Mabrouk était en excellents termes avec tous les membres du GPRA, qui l’admiraient, et plus particulièrement avec Bentobal et Krim Belkacem (…).

Je n’ai jamais entendu dire qu’il y avait quelque friction ou malentendu entre eux, contrairement à ce que des esprits chagrins essaient aujourd’hui de faire croire, à savoir notamment que Boussouf et Krim Belkacem étaient engagés dans un jeu de rivalité constante pour le leadership de la Révolution», souligne-t-il. «Visionnaire, Si Mabrouk avait prévu qu’après l’indépendance, des opportunistes et de faux cadres, à l’instar des faux moudjahidine qui ont défrayé la chronique, viendraient se réclamer indûment du MALG. Il eut alors l’idée de faire établir un “livret individuel’’ contenant toutes les données personnelles de chaque membre, qu’il a signé de sa propre main», a-t-il ajouté. Et depuis, le dossier des faux moudjahidine et des faux «Malgaches» reste toujours ouvert…

«L’intox»

«La majorité des historiens français sont, le plus souvent, frappés de cécité intellectuelle et incapables d’objectivité. Quand il s’agit de relater les événements de la guerre de Libération algérienne, le filtre de la critique historique est, la plupart du temps, absent chez eux», relève Abderrahmane Berrouane, citant l’exemple de Guy Pervillé. Les Français gardent, selon lui, des opinions préconçues et des préjugés sur la guerre de Libération nationale.

La raison ? «Un passif colonial non purgé», précise-t-il. Après avoir évoqué les enfumades, la torture, les massacres au napalm, la corvée de bois, l’auteur pose ces questions : «Pourquoi les historiens algériens ne s’intéressent-ils pas à ces exactions, innombrables, commises par l’armée coloniale dans leur pays, au lieu de nourrir les controverses inutiles sur telle ou telle “dérive’’de notre Révolution ? Certains crimes contre l’humanité ne sont-ils pas plus importants à dénoncer que “les visions’’ et “divergences’’ entre chefs du FLN ? (…) Pour l’écriture de l’histoire de l’Algérie par les Algériens, et principalement par ceux qui l’ont vécue, la réappropriation des témoignages de tous les moudjahidine est indispensable.» D’après lui, les anciens officiers français continuent de falsifier l’histoire du conflit.

Il cite l’exemple de «la bleuite». «La France a consacré un énorme budget et mobilisa une pléthore d’officiers pour les opérations d’intoxication, dites “action psychologiques.’’ L’intox sera érigée en système, en même temps d’ailleurs que la torture qui, au summum de la guerre, était ordonnée, supervisée et parfois même pratiquée en personne par les plus hauts gradés. Tous les généraux français mériteraient d’être traduits devant le Tribunal international pour tortures !», note-t-il.

L’état-major de l’armée française à Alger tenta, selon lui, d’exploiter la «coupure» qui existait à un moment entre l’état-major de l’ALN et les wilayas de l’intérieur pour semer la zizanie dans les rangs des moudjahidine, en essayant par exemple de manipuler certains officiers de la Wilaya IV. «Mais le commandement de la Wilaya réussit à déjouer le piège tendu (…). La “bleuite’’ fit certes des ravages en Wilaya III, mais à un degré moindre en Wilaya IV. L’état-major français, pour nous intoxiquer, martelait que la “bleuite’’ avait atteint toutes les wilayas, ce qui était absolument faux. Le deuxième gros mensonge, dans leur stratégie “d’intox’’, c’est le nombre de victimes de ce complot.

Les Français avancent un nombre qui dépasse de loin le total des effectifs de l’ALN de ces deux Wilayas», écrit-il. Dans son livre L’intox et les coups fourrés, André Roger Voisin (cité par l’auteur) a avancé le chiffre de 15 000 morts parmi les moudjahidine, dont 6000 en Wilaya V. L’historien Mohamed Teguia a, pour sa part, rapporté que «la bleuite» a fait entre 350 et 400 morts. Pour Abderrahmane Berrouane, «la victoire militaire des Français» relève également de l’intoxication. «L’armée française était certes bien implantée dans certaines régions, mais elle était démoralisée, épuisée.

L’ALN n’avait pas d’aviation pour bombarder et raser au napalm des régions entières, comme l’a fait en toute impunité l’armée française», appuie-t-il. Abderrahmane Berrouane est revenu sur la création en Wilaya IV du Service de propagande et d’information (SPI) par l’ALN qui a fonctionné comme un appareil de contre-propagande. Le SPI a, entre autres, confectionné des lettres ronéotypées destinées aux jeunes militaires français et aux légionnaires les incitant à déserter. Plus de 5000 désertions auraient été enregistrées, selon l’historien Mohamed Teguia.*Fayçal Métaoui–El Watan/ 20/02/2015

*bonnes feuilles: 

Affublé par certains auteurs, notamment algériens, du statut de «chef des services secrets égyptiens», Fethy Dib n’était en réalité qu’un commandant de la sécurité, chargé des relations entre le Maghreb et Le Caire. Ses supérieurs hiérarchiques étaient Salah Nasser, chargé des affaires militaires, et le général Izzet Souleymane, chef des services secrets ou Moukhabarate. Il avait été consul général d’Egypte à Genève, où il avait appris les rudiments du français.

C’était donc l’homme idoine pour les relations avec les Algériens et, tout particulièrement, avec Abdelhafid Boussouf. Ce colonel appliquait un système de renseignement à la «soviétique» : tous les chauffeurs de taxi et concierges étaient systématiquement recrutés comme informateurs (…). Ce Dib n’avait rien trouvé de mieux que de faire appel à un colonel à la retraite — un homme à lui, bien entendu — en qualité de chaouch, à l’entrée du siège du GPRA, pour surveiller mes entrées et sorties.

Outre le colonel-chaouch, deux autres Egyptiens servaient comme chauffeurs-espions, secondés par un gardien de parking souterrain, auxquels s’ajoutaient deux hommes de peine chargés de la maintenance. Tout ce beau monde avait pour instruction de surveiller étroitement les lieux, de rendre compte des allées et venues, et d’avoir à l’œil les hommes du MALG tout particulièrement.

Au début, nous nous en amusions un peu et usions de divers déguisements pour tromper leur vigilance, surtout Si Mabrouk qui cultivait l’art du camouflage. Il entrait et ressortait en tenue militaire, puis réapparaissait, saluant ostensiblement le préposé au contrôle, avant de ressortir une demi-heure plus tard, vêtu différemment et coiffé tantôt d’un chapeau, tantôt d’une casquette, ou arborant une barbe postiche ! Mais ce petit jeu n’a pas duré et la tension est montée d’un cran.

Dib s’est très vite montré envahissant, à tel point que le président du GPRA s’est plaint très respectueusement au colonel Nasser de ces agissements. Un jour, comme le rapporte Si Ali Chérif, à deux heures du matin, un groupe d’agents des services secrets égyptiens a débarqué dans deux des appartements du siège où résidaient tous les effectifs du MALG, se livrant à une fouille méticuleuse sous prétexte de rechercher des armes.

Le groupe repartit bredouille, mais notre irritation n’a fait que croître. Après l’affaire Amira Allaoua, les mesures d’intimidation et les provocations se sont multipliées au fil des jours, et principalement après l’affaire des agents français que nous avions démasqués et signalés au gouvernement égyptien. En fin de compte, le Conseil des ministres du GPRA a décidé de se retirer du Caire pour se replier dans la capitale tunisienne, mais progressivement et en ordre dispersé. Le MALG devait partir le premier, parce que c’était le ministère sur lequel se concentraient l’hostilité et la rancœur de Fethy Dib.

(…) Fethy Dib, se sentant personnellement visé et mis en cause, n’a jamais «digéré» notre décision de départ. Et c’est probablement son amour-propre blessé qui lui a inspiré les livres qu’il a publiés par la suite et où il multiplie les divagations et les élucubrations sur notre compte (Fethy Dib avait notamment évoqué «le système de terreur de Boussouf», ndlr). Oui, Fethy Dib était l’ennemi de la Révolution algérienne ! Il croyait pouvoir manipuler ses responsables, mais n’était pas à la hauteur de ses ambitions.

- Le mythe de la promotion «Tapis Rouge»

Gagnée par la lassitude morale et intellectuelle, après quatre années d’un travail ininterrompu, la majorité des cadres éprouvaient le besoin de se perfectionner, de voir s’ouvrir un nouvel horizon, d’explorer d’autres perspectives, d’élargir le champ de leurs connaissances, d’autant plus que celles-ci avaient été acquises sur le tas et dans l’urgence : chiffre, renseignement, contre-renseignement… Au cours d’un débat avec Si Mabrouk, toujours soucieux de progrès dans l’organisation, il nous informa qu’il avait l’intention de sonder les pays amis pour une éventuelle coopération technique dans le domaine du renseignement (transmissions, télécommunications…).

A priori, cela nous parut utopique dans un domaine aussi fermé et très réservé. Il prit cependant contact avec l’ambassade de l’URSS à Tunis, qui saisit son gouvernement de notre demande. Moscou donna son accord rapidement et désigna un spécialiste que Si Mabrouk rencontra à Tunis, pour constituer une promotion qu’on devait par la suite baptiser «Tapis Rouge ».

Aïssa Gaouar, qui en mon absence assurait l’intérim de la DVCR à Tunis, fut désigné comme responsable de cette formation : il sélectionna 21 des meilleurs éléments de la DVCR, du chiffre, dont Ouddane Lahbib, Mimouni Ali, Azzouz Chérif, Benachenhou Mourad, Hamlat Ali, Malek Ahmed, Faredhab Farid, Hellal Abdelhamid (qui devait devenir Directeur national du Chiffre, direction dont il fut évincé en 1985 par Larbi Belkheir dans la foulée du démantèlement des services par l’éloignement de Kasdi Merbah, Zerhouni Noureddine, Zerhouni Ahmed, Hamlat Ali, etc.).

Le stage dura de novembre 1961 à avril 1962. (…) Certains historiographes ont mythifié le stage «Tapis Rouge», prétendant que les services de Boussouf étaient formés par le KGB ! Or, d’une part, ce stage s’est déroulé à la toute fin de la Révolution (et n’a donc pas été utile à son déroulement), d’autre part, nos cadres n’y ont puisé que des notions rudimentaires, parcellaires, d’un intérêt réduit. Par exemple, les Russes ne nous ont jamais appris les techniques du renseignement ni, surtout, les méthodes de formation d’un service ou d’un agent de renseignement.

Nous savions que c’était tout un art, que chaque service avait son mode de travail, et nous aurions bien aimé y être initiés. Mais ce ne fut pas le cas. Nos cadres sont revenus en avril 1962, c’est-à-dire un mois après le cessez-le-feu, en majorité déçus, désenchantés et convaincus que le renseignement est un domaine fermé, très secret, où les portes ne sont jamais complètement ouvertes, mais à peine entrebâillées, avec les étrangers.

Il n’y a jamais eu d’autres stages que celui-ci, ni en Egypte ni ailleurs, comme le bruit a pu en courir ici et là. Après l’indépendance, nos services n’ont compté que sur eux-mêmes, pratiquant l’autoformation et la formation continue grâce à la lecture intensive d’ouvrages spécialisés et à la pratique.

*El Watan/ 20/02/2015

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**Noureddine Yazid Zerhouni apporte son témoignage sur la Révolution

   3,5 millions d’Algériens ont vécu dans des campements

Témoignage sur la lutte de Libération nationale

La conférence sur «le déplacement des populations algériennes dans des camps de regroupement» sous le colonialisme français traité hier, au forum du quotidien El Moudjahid, a été marqué par la présence de Noureddine Yazid Zerhouni. Pour la circonstance, le vice-Premier ministre a troqué sa casquette de représentant du gouvernement pour témoigner de la guerre de Libération nationale.
«Je suis parmi vous pas en tant que témoin mais, pas en qualité de ministre», prévient Yazid Zerhouni. Dan son intervention, il a tenu a rappeler quelques pans de son parcours de moudjahid. «Je fais partie du groupe des militants chargés d’organiser les services de renseignement de l’ALN dans le maquis», dira-t-il pour étayer ses propos sur le nombre d’Algériens retenus dans les campements. Sur ce point, «la population algérienne qui vivait dans les campements érigés par l’armée française est estimée à 3,5 millions», souligne Zerhouni.
Ce n’est pas tout. Il ajoute un autre chiffre non moins important. Il s’agit de la population ayant fui l’armée française. «1,5 million d’Algériens ont quitté leurs domiciles pour se réfugier ailleurs et dans les villes», selon l’orateur. En tout, «près de 5 millions sur les 8 millions d’Algériens ont été déplacés sous le colonialisme», conclut l’ex-ministre qui était en charge du renseignement au profit de l’ALN dans la région de Mostaganem durant la Guerre d’Algérie. Ce nombre  émane de l’armée française dont les communications sont interceptées quotidiennement par les cellules de renseignements de l’ALN. «Nous interceptons quotidiennement les communications de la gendarmerie, de l’armée et de la police françaises», révèle Yazid Zerhouni pour appuyer  la véracité de ses statistiques relatives à la population algérienne barricadée dans les campements de l’armée coloniale. «Nous avons des informations sur l’armée coloniale en temps réel», s’enorgueillit Nourddine Yazid Zerhouni. Ces campements dans des zones faciles à surveiller obéissent à une logique militaire française. Elle vise à contrecarrer la Révolution algérienne, en séparant la population des moudjahidine. «Pour tuer un poisson, il suffit de retirer l’eau où il vit.
Pour tuer l’action des moudjahidine, il faut les séparer de sa population», explique Yazid Zerhouni. L’orateur est revenu ensuite sur la nécessité de relire les ouvrages écrits par des historiens étrangers, notamment français. Dont des contre-vérités sont prises pour des faits réels et admis par tous. «J’espère que les historiens algériens se pencheront davantage sur cet épisode colonial», souhaite Yazid Zerhouni lequel conseillera aux «jeunes chercheurs algériens la maîtrise de la langue française pour mieux comprendre le contenu des archives de l’armée française. En paraphrasant Kateb Yacine, «la langue française est un butin de guerre», rappellera Yazid Zerhouni. Sur le contexte de contre-vérité qui se résume à «l’inexistence de l’Etat algérien» avant la colonisation. Yazid Zerhouni s’inscrit en faux et réfute «ces mensonges» pris pour une vérité absolue. Si on parle de la naissance d’un Etat algérien, «il faut placer cette problématique dans le contexte de l’époque», affirme l’intervenant en citant  l’Italie et l’Allemagne. «L’Etat allemand a été fondé en 1870. l’unification de l’Italie a eu lieu en 1830», alors que «le Roi Massinissa a unifié le pays et les peuples d’Afrique du Nord depuis l’Atlas jusqu’en Egypte, avant l’ère chrétienne.» (L’Expression-01.07.2012.)

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6 réponses à “Témoignage sur la lutte de Libération nationale”

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